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<< est le droit donné au roi et aux ministres d'enlever aux citoyens leur liberté et leurs moyens d'existence. » Les agitateurs Desmoulins, Danton, Marat, Fréron, Carra, réunis dans le jardin du Palais-Royal, sous les galeries et dans les cafés, commentaient avec fureur les premières délibérations de l'Assemblée sur cet objet. « Il faut agir, » disaient-ils, « ou dans trois jours la France est esclave, et l'Europe avec elle. »

Pendant une nuit, ils essayèrent, au nombre de quinze cents, de marcher sur Versailles; repoussés par les soins de Bailly et de Lafayette, qui avaient barré les rues. par des détachements de la garde nationale et par des canons; exclus du jardin du Palais-Royal, dont on avait fermé les grilles; refoulés dans les galeries et dans les cafés, ils y couvrirent de signatures une proclamation par laquelle ils annonçaient que malgré tout ils marcheraient sur Versailles.

Alors la municipalité se décida à sévir contre le PalaisRoyal, y interdit les rassemblements et fit arrêter les perturbateurs.

Desmoulins, dans un de ses Discours de la lanterne aux Parisiens, s'indigne de ces mesures, qui mirent fin à la puissance du Palais-Royal. Son langage fait connaître des détails curieux : « Le veto! peut-on rien imaginer de plus liberticide? Le Palais-Royal avait-il si grand tort de s'y opposer? Je sais que la promenade du Palais-Royal est étrangement mêlée, que des filous usent fréquemment de la liberté de la presse, et que maint zélé patriote a perdu plus d'un mouchoir dans la chaleur des motions.... Néanmoins ce jardin est le foyer du patriotisme. Combien de citoyens ne se soucient pas d'aller dans leurs districts! il est plus court d'aller au Palais-Royal. On propose une motion; si elle trouve des partisans, on fait monter l'orateur sur une chaise; s'il est applaudi, il la rédige; s'il est sifflé, il s'en va. Ainsi faisaient les Romains dans le Forum. >>

La municipalité resta inflexible; obligés de quitter leur centre d'action, les agitateurs se répandirent dans les districts, qui étaient déjà fort échauffés et où leur présence attisa le feu. Dans presque tous les districts, au grand déplaisir de la municipalité, il s'établit des discussions sur le veto. Dans la rue, dans les tabagies, dans les cabarets, on ne discutait pas, on vociférait, on menaçait. On se répandait en invectives contre le roi et contre la reine, qui voulaient le veto pour empêcher le bonheur du peuple. On les appelait M. et Mme Veto; on chantait contre la reine des chansons infernales :

Madam' Veto avait promis

De faire égorger tout Paris, etc.

Plus les débats de l'Assemblée sur le veto se prolongeaient, plus la situation de Paris devenait inquiétante; l'Assemblée résolut d'en finir et hâta ses délibérations.

Si jamais Mirabeau fut digne d'admiration, c'est dans cette circonstance. Au risque de perdre sa popularité, il se déclara avec force pour le veto, non suspensif, mais absolu. Il dit à ce sujet des choses admirables.

Mirabeau voulait que la royauté fût forte et puissante; il avait dit dès les premières séances de l'Assemblée nationale qu'il aimerait mieux vivre à Constantinople que dans un pays où le roi ne concourrait pas librement et nécessairement à la confection des lois. Et ce qui est vraiment inouï, c'est qu'en plaidant avec son éloquence accoutumée contre le vœu des démagogues, il resta plus populaire que jamais, et les journalistes anarchiques, tremblant de se compromettre avec lui, firent semblant de croire qu'il avait parlé, au fond, non pour le veto, mais contre. Il ne put obtenir cependant de la majorité de ses collègues le veto absolu et complet. Siéyès, dans son implacable métaphysique, ne voulait en aucune sorte du veto, même suspensif, qu'il appelait une lettre de cachet lancée contre la volonté

générale. Il est impossible,» disait-il, « que le pouvoir législatif cherche jamais à empiéter sur l'autorité royale; cela sera interdit par la Constitution. » Siéyès oubliait alors, et l'Assemblée nationale l'a oublié aussi trop souvent, que l'empire des passions sur les hommes est plus fort que celui de la raison.

Après une discussion longue et désordonnée, on alla aux voix le veto fut admis à la presque unanimité.

673 voix contre 325 déclarèrent que ce veto serait non absolu, mais suspensif; qu'il serait suspensif pendant deux législatures seulement.

On décréta que la législature serait de deux années, et que le renouvellement serait intégral.

Puis l'Assemblée reconnut par acclamations et à l'unanimité des voix :

Que la personne du roi est inviolable et sacrée ;

Que le trône est indivisible;

Que la couronne est héréditaire de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion absolue des femmes et de leur descendance.

Ensuite on décida que les ministres ne pourraient être choisis parmi les membres de l'Assemblée (petite malice à l'adresse de Mirabeau, à qui l'on reconnaissait l'ambition de gouverner la révolution après l'avoir faite). Mirabeau n'en parut nullement ému, et lorsqu'on vota que toute contribution serait supportée également par tous les citoyens et par tous les biens, il fit très-sagement substituer au mot également le mot proportionnellement.

Enfin il fallut décréter une formule pour les promulgations des lois; et Robespierre divertit beaucoup l'Assemblée et le public en proposant la sienne : « Louis, par la grâce de Dieu et par la volonté de la nation, roi des Français, à tous les citoyens de l'empire français: peuple, voici la loi que vos représentants ont faite et à laquelle j'ai apposé mon sceau royal,»

On adopta celle-ci :

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Louis, par la grâce de Dieu et par la loi constitutionnelle de l'État, roi des Français, à tous ceux qui ces présentes verront salut; l'Assemblée nationale a décrété, et nous voulons et ordonnons ce qui suit. »

Ces principes votés furent ce qu'on appela dès lors la Constitution, en attendant que la Constitution fût complète et formât un tout régulier. Ces principes, rédigés en dixneuf articles et précédés de la déclaration des droits, furent présentés à Louis XVI.

Cependant, à Paris, l'agitation qu'avait soulevée la discussion sur le veto et qu'entretenait la crainte de la famine devenait de plus en plus effrayante. L'Assemblée l'attribuait au retard que le roi mettait à adopter les décrets de la nuit du 4 août, retard qu'on attribuait à l'influence de la cour, et qui, disait-on, cachait de nouveaux piéges, de nouveaux complots.

Lally réclama en vain contre les dangers de la précipitation, contre une sorte de violence faite à l'autorité royale. Maury, Malouet, parlèrent dans le même sens que lui; mais Barnave demanda et obtint que le roi fût prié de promulguer immédiatement les décrets, et la demande de Barnave fut accueillie par la majorité.

Le roi adressa à l'Assemblée une lettre par laquelle, en exprimant son adhésion à la plupart des articles, il expliquait sur plusieurs autres les scrupules de sa conscience et demandait une révision. L'Assemblée s'y refusa et insista.

A Paris, on s'occupait moins de ce conflit que de la disette, qui excitait de mortelles alarmes, et l'on disait hautement que la reine et la cour empêchaient les subsistances d'arriver. On peut voir dans le Moniteur à l'aide de quels sophismes on parvint à enraciner cette croyance dans l'esprit des masses.

De toutes parts on ne rêvait que complots. Le peuple

croyait à un complot de la cour pour déterminer le roi à quitter Versailles, laissant Paris se débattre avec la famine, afin de revenir à la tête d'une armée, sûr de réduire aisément une population exténuée.

Et de leur côté, la cour et les royalistes croyaient à un complot du duc d'Orléans pour forcer Louis XVI à fuir, et se faire nommer ou lieutenant général du royaume ou régent ou même roi.

Il est certain que ce prince était entouré d'intrigants qui l'exploitaient. Mais y a-t-il eu de sa part plus que des projets vagues, un véritable complot? Cela est douteux.

Ce qui ne l'était pas, c'est que la population de Paris était surexcitée, et qu'elle allait avoir un second accès de fièvre révolutionnaire, plus homicide que le premier.

VI

JOURNÉES DES 5 ET 6 OCTOBRE.

Au milieu de cette agitation, Versailles s'attendait chaque jour à une invasion parisienne, et, sur la demande de sa municipalité, on fit venir un régiment, celui de Flandre; nouveau sujet de défiance pour les amis de la révolution. Les gardes du corps, selon l'usage, convièrent à un banquet les officiers du régiment nouvellement arrivé; ce banquet fut remarquable par une grande exaltation royaliste; les plus chaudes protestations de fidélité au roi furent échangées. Désireuse d'encourager des hommes qu'elle regardait comme des défenseurs dans les périls dont elle croyait que sa famille était menacée (la suite fit voir si elle se trompait), la reine vint, avec ses deux enfants, visiter les convives, dont l'enthousiasme, se contenant avec peine en sa présence, éclata après son départ. On chanta en chœur le fameux air de Grétry: 0 Richard! 6 mon roi!

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