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pendant plus d'un quart d'heure, la salle retentit de ces cris Vive le roi! vive Louis XVI!

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Après que tous les actes de cette séance ont été arrêtés, lus et décrétés, sauf rédaction ultérieure, l'Assemblée se sépare à deux heures après minuit.

Cette rédaction occupa les séances suivantes. Avant tout fut voté un décret pour le rétablissement de la tranquillité publique; décret qui arme toutes les municipalités, tant des campagnes que des villes, du droit de faire arrêter les perturbateurs de la paix publique, de faire marcher les milices nationales, ainsi que la maréchaussée (on nommait alors ainsi la gendarmerie), et qui enjoint à tous les officiers, tant des gardes nationales que de l'armée, de prêter serment à la nation, au roi et à la loi. De ce jour date la grande puissance des municipalités, qui furent pendant assez longtemps, en France, audessous de l'Assemblée nationale, presque le seul pouvoir reconnu et obéi.

Lorsque, en discutant la rédaction des actes de la nuit. du 4 août, on en vint à l'article si important des dimes, deux opinions se formulèrent l'une voulait le rachat de toutes les dîmes, l'autre leur abolition sans indemnité. Mirabeau soutint la seconde opinion.

L'abbé Siéyès parut après lui à la tribune. On crut que c'était pour appuyer Mirabeau. Nullement, c'était pour le combattre; Siéyès voulait bien renverser tout le reste, mais non les dîmes : il y tenait, car c'était le plus clair de son revenu. Voyant que ses raisons n'étaient que trèsmédiocrement goûtées et que l'avis de Mirabeau était adopté, il prononça avec dépit ces paroles : « Ils veulent ètre libres, et ils ne savent pas être justes! »

Le décret régulateur des principes votés dans la nuit du 4 août fut adopté le 11, et l'Assemblée tout entière se rendit auprès du roi pour le lui présenter; mais, avant de l'approuver, il voulut en faire une étude sérieuse.

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Ainsi la tranquillité se trouvait rétablie dans Paris et dans les provinces, et elle semblait être assurée par les sacrifices que les privilégiés venaient de faire à la nation. Ce n'était pas tout il fallait aussi, et au plus tôt, ramener l'abondance dans le trésor, afin de pourvoir aux services publics, et aussi afin de rassurer les créanciers de l'Etat, qui craignaient que l'Assemblée toute-puissante ne décrétât la réduction de leurs créances, c'est-à-dire une banqueroute.

Dans cette crise financière, le patriotisme se signala par l'abondance de ses dons. Chaque jour les offrandes patriotiques affluaient à l'Assemblée. Les femmes donnaient leurs bijoux, les hommes leur argenterie; le roi et la reine envoyèrent à la monnaie toute leur vaisselle d'argent et d'or; les églises, moitié de gré, moitié de force, donnèrent les objets d'or et d'argent qui ne leur étaient pas nécessaires.

Mais cela ne pouvait suffire. Il fallait à ce mal si grave un remède plus efficace. Necker vint le proposer un impôt du quart du revenu de chaque citoyen; c'est ce qu'on appela la contribution du quart.

Cette proposition souleva une opposition très-vive dans l'Assemblée, qui paraissait résolue à la rejeter. Mirabeau haïssait Necker, dont la vertu austère s'était refusée à une alliance politique avec lui; mais jugeant que son projet était utile, nécessaire, même indispensable, il le soutint avec énergie, et prononça à ce sujet un discours qui a été reproduit partout, et qui est resté comme un des plus beaux monuments de l'éloquence française.

Je ne citerai que la péroraison, qui offre un intérêt historique. Peu de jours avant cette discussion, un député, Goupil de Préfeln, croyant que Mirabeau conspirait avec le Palais-Royal contre le trône, avait dit, à l'occasion d'une motion incendiaire de ce même Palais-Royal : « Quoi! Catilina est aux portes de Rome, et l'on délibère ! » Et en

prononçant ce nom de Catilina, il regardait fixement Mirabeau, qui ne s'en émut point, et qui, dans son discours sur la contribution du quart, après avoir gourmandé l'Assemblée sur sa lenteur à rassurer les créanciers de l'État, termina ainsi :

« Eh! messieurs, à propos d'une ridicule motion du Palais-Royal, d'une risible insurrection qui n'eut jamais d'importance que dans les imaginations faibles ou dans les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l'on délibère ! Et certes, il n'y avait autour de nous ni Catilina, ni Rome, ni périls. Aujourd'hui, la hideuse banqueroute est là; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez ! »

L'Assemblée fut entraînée. Necker dut ainsi à Mirabeau un vote de confiance. Ce fut le dernier beau jour de sa vie politique.

Tout en s'occupant ainsi à ramener l'abondance dans le trésor et à rétablir l'ordre dans les provinces, l'Assemblée travaillait activement à préparer la nouvelle constitution de la France. L'acte violent du 14 juillet et la spontanéité généreuse du 4 août avaient amoncelé les débris, et ce qui n'était point tombé encore craquait et menaçait ruine. Sur ces débris, il fallait construire.

Avant de faire la constitution, l'Assemblée nationale voulut en inaugurer les principes en émettant une déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Plusieurs membres repoussaient cette manifestation comme dangereuse. Malouet, entre autres, soutint qu'il était urgent de donner au peuple les institutions propres à le rendre heureux et sage, avant d'appeler son attention sur ses droits, qu'il comprendrait mal peut-être, et au nom desquels les agitateurs pourraient facilement l'égarer. L'abbé Grégoire demandait qu'à la déclaration.

des droits fût annexée une déclaration des devoirs. Une majorité assez faible repoussa la demande de Grégoire.

La discussion sur les droits de l'homme et du citoyen fut longue, confuse et offrit peu d'intérêt; car on était en général d'accord sur le fond des choses, et il ne s'élevait guère de difficultés que sur la rédaction.

Après la déclaration des droits, ce qui pressait le plus, c'était l'organisation du pouvoir.

Cette organisation se fût mieux faite dans un temps plus calme car l'ardeur révolutionnaire des Parisiens avait été contagieuse; elle échauffait aussi les membres de l'Assemblée, et influait peut-être sur eux à leur insu. Les agitateurs de cette immense capitale ne voulaient point entendre parler d'une liberté limitée. Il leur semblait qu'en prenant la Bastille, ils avaient tout pris, que le roi ne devait conserver aucun de ses droits, et qu'il ne régnait plus que par leur grâce.

On décida avant tout qu'il y aurait une assemblée lé– gislative permanente. Mais cette assemblée sera-t-elle unique, ou sera-t-elle partagée en deux chambres? Une assemblée unique était extrêmement dangereuse pour le trône. Lally-Tolendal, Mounier, Malouet, Cazalès, le voyaient bien, et firent tous leurs efforts pour obtenir deux chambres. Lally démontra que les lois devaient être faites concurremment par trois pouvoirs : un roi, un sénat, un corps législatif. Quelques-unes des paroles qu'il dit à ce sujet, sur les dangers d'une assemblée unique, sont une véritable prophétie.

L'opinion à Paris se prononçait fortement contre les deux chambres; mais cette considération fut sans influence sur l'Assemblée, sur qui la violence des agitateurs et les menaces de l'émeute furent toujours impuissantes. Ce qui la détermina surtout en faveur d'une assemblée unique, c'est qu'elle voyait dans une chambre des pairs établie à côté d'une chambre des députés une sorte de ré

surrection des trois ordres, ou la création d'une nouvelle aristocratie. Il fut donc décidé que dans la constitution nouvelle il y aurait, en face du roi chargé du pouvoir exécutif, une seule assemblée revêtue de la plénitude du pouvoir législatif. Cette première décision jeta de sombres pressentiments dans l'âme de beaucoup de députés, et leur fit craindre que la révolution, privée d'un frein nécessaire, ne prît une direction funeste.

C'est alors qu'il se forma dans l'Assemblée un côté droit et un côté gauche. Comme une foule de questions se décidaient par assis et levé, ceux qui soutenaient l'ancien régime se groupèrent à la droite du président; ceux qui l'attaquaient, à gauche : ceux-ci étaient de beaucoup les plus nombreux; le centre votait tantôt avec ceux-ci, tantôt avec ceux-là, selon sa conscience; le centre, dans l'Assemblée nationale, fut éminemment indépendant, courageux et sage.

La question des chambres résolue, restait une question non moins capitale. Cette assemblée unique pourrait-elle faire, sans le concours du roi, des lois que le roi serait obligé d'exécuter? ou, en d'autres termes, le roi aurait-il le droit de veto?

La seule annonce de cette discussion irrita à Paris le parti du mouvement; il ne pouvait souffrir la pensée que l'autorité royale pût ou annuler ou suspendre l'effet d'une décision prise par les représentants de la nation. « Nous avons passé rapidement de l'esclavage à la liberté », disaient les meneurs; «nous marchons encore plus rapidement de la liberté à l'esclavage. » Il fut facile à ce parti d'agiter le peuple.

La disette des grains, qui causait alors les plus vives alarmes, le disposait à accueillir les bruits les plus absurdes. Les meneurs lui disaient qu'à l'aide du veto, le roi pourrait, à son gré, empêcher le blé d'arriver à Paris, et faire mourir la ville de faim. « Le veto,» ajoutaient-ils,

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