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et aussi généreux que brave, devint l'idole non-seulement de la garde nationale, mais de la population presque entière.

Les soixante districts continuèrent d'être des lieux de réunion pour les bataillons de la garde nationale, et aussi pour les citoyens qui s'y formaient en club, y discutaient sur les affaires publiques, et se tenaient en communication continuelle avec l'hôtel de ville. Le district des Cordeliers' acquit de la célébrité et de l'influence par la violence et aussi par le talent de ses orateurs, Joseph Chénier, Fabre d'Eglantine et principalement Danton; la sonnette de son président, disait-on, ne se reposait pas plus que celle de l'Assemblée nationale.

NUIT DU 4 AOUT.

V

DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME.
DISCUSSION SUR LE VETO.

Cependant la journée du 14 juillet avait eu un contrecoup terrible jusqu'aux extrémités les plus reculées du royaume. Partout des désordres, des séditions et des actes de violence. Dans plusieurs provinces, il y eut des assassinats. Dans les campagnes, des châteaux furent pillés, des couvents détruits, des fermes incendiées. Sur plusieurs points, des bandes de brigands se formèrent; la peur en exagéra le nombre et les forces. Aussi la période de trois ou quatre semaines qui s'écoula depuis le milieu de juillet jusqu'au milieu d'août a été surnommée l'époque de la peur. Dans toutes les villes, agitées de terreurs soudaines, la bourgeoisie, à l'instar des Parisiens, prenait les armes, et partout se formèrent des gardes nationales. Les gardes nationales, dans cette circonstance, furent le salut du pays:

1. Ainsi nommé du local où il se réunissait, en face de l'École de médecine, à l'endroit où est maintenant la clinique de cette école.

elles furent en même temps l'appui de la révolution, qui se trouva ainsi protégée par les baïonnettes et par les piques de deux millions d'hommes. Aussi on a cru que les chefs du mouvement révolutionnaire, le duc d'Orléans, Mirabeau, Siéyès, Barnave, avaient donné un mot d'ordre, et que c'est par leurs soins que des lettres anonymes, arrivant dans toutes les villes à peu près au même instant, et annonçant à chacune que des bandes de brigands marchaient sur elle, provoquaient une peur soudaine et une prise d'armes.

La plupart du temps ces alarmes étaient fausses; mais ce qui était trop vrai, c'est que les campagnes étaient presque partout en insurrection contre les droits féodaux.

L'Assemblée se préoccupait vivement de ces nouvelles, qui lui arrivaient à chaque instant. Sans doute la proclamation récemment votée contribuerait à arrêter le mal; mais suffirait-elle? L'Assemblée résolut de recommander, par une seconde proclamation, le payement régulier des impôts et le respect des propriétés aussi bien que des personnes.

C'était le 4 août; la nuit était déjà arrivée, et la délibération qui durait depuis le matin, interrompue seulement pendant deux heures, se continuait aux flambeaux; l'Assemblée était fort agitée. Le vicomte Alexis de Noailles se présente à la tribune:

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Messieurs,» dit-il, « nos électeurs nous ont expressément recommandé la suppression des impôts vexatoires et celle des droits seigneuriaux. Depuis trois mois que nous sommes réunis, nous n'avons pu nous en occuper. Les campagnes ont conclu de là que leur vœu et notre mandat ont rencontré une opposition qui les irrite. Pour ramener le calme, je propose de décider dès à présent

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Que l'impôt sera payé par tous les individus du

royaume dans la proportion de leurs revenus;

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Que toutes les charges publiques seront à l'avenir également supportées par tous;

«Que les droits féodaux seront échangés ou rachetés, moyennant indemnité;

« Que les corvées seigneuriales, les mainmortes et autres servitudes personnelles seront supprimées sans rachat ni indemnité. »

Ce discours d'un des hommes qui devaient le plus perdre au nouvel ordre de choses fut écouté, dit le Moniteur, dans un religieux silence.

Un autre grand seigneur, le duc d'Aiguillon, ne marche pas vers la tribune, il s'y élance. Il soutient, il développe la motion du vicomte de Noailles : « A cette époque fortunée où, réunis pour le bonheur public et dégagés de tout intérêt personnel, nous allons travailler à la régénération de l'État, il faut, avant d'établir cette constitution si désirée que la nation attend, il faut, dis-je, prouver à tous les citoyens que notre intention est d'aller au-devant de leurs désirs, et d'établir le plus promptement possible cette égalité des droits qui doit exister entre tous les hommes, et qui peut seule assurer leur liberté. »

Ce second discours est accueilli, comme le premier, avec une joie inexprimable.

L'enthousiasme s'empare de toutes les âmes. Des motions importantes, toutes relatives à la suppression des abus et à l'établissement de l'égalité entre les citoyens, sont proposées, soutenues, applaudies.

C'est un membre des communes, Cottin, qui demande l'abolition des justices seigneuriales, dont les agents inférieurs vexaient et rançonnaient le peuple; mais c'est un membre de la noblesse, Richer, qui, appuyant cette proposition, veut que la justice soit rendue désormais gratuitement à tous les degrés.

C'est le marquis de Foucaud qui demande la suppression des pensions militaires, accordées avec profusion à des hommes de cour, déjà riches par eux-mêmes.

C'est l'évêque de Nancy, Lafare, qui, au nom de la reli

gion, de la justice et de l'humanité, demande que les droits féodaux des seigneurs ecclésiastiques soient rachetés, et que ce rachat ne tourne point au profit du seigneur ecclésiastique, mais qu'il en soit fait des placements utiles à l'indigence.

C'est l'évêque de Chartres, Lubersac, qui, déclarant que le droit exclusif de chasse est un fléau pour les campagnes, provoque l'abolition de ce droit, et déclare, pour ce qui le concerne, qu'il y renonce; et sur les bancs de la noblesse et du clergé tout le monde se lève, applaudit et acclame.

C'est Lepelletier de Saint-Fargeau qui veut que la renonciation aux priviléges et aux immunités du clergé et de la noblesse ait un effet rétroactif, et remonte au premier jour de l'année courante.

Ce sont des curés qui s'écrient qu'ils renoncent à leur casuel, et qui proposent le rachat ou même l'abolition pure et simple de la dîme.

Ce sont des membres de la noblesse qui, ne pouvant plus sacrifier que leur droit exclusif de colombier, déclarent en faire l'abandon.

C'est enfin l'archevêque d'Aix, Boisgelin, qui, dépeignant avec énergie les maux de la féodalité, démontre la nécessité d'annuler d'avance toute convention ou clause capable de les faire revivre, et proscrit en même temps à tout jamais les gabelles et les aides.

Tous les membres étaient tellement émus, tant de sacrifices faits à la patrie avaient tellement échauffé tous les cœurs, que tout à coup surgissent de nouvelles propositions d'un ordre différent.

Les députés des provinces, des villes, des sénéchaussées, des bailliages, s'avancent par groupes au milieu de la salle; ils déclarent que si leurs provinces, leurs villes, leurs sénéchaussées, leurs bailliages, jouissent de quelques priviléges ou immunités particulières, ils en font le sacrifice pour que, dans la constitution promise à la France,

tous les droits soient uniformes et les intérêts confondus; pays de droit coutumier, pays de droit écrit, pays d'état, villes de parlement, provinces réunies à la couronne par mariages, par cession, par conquêtes, par capitulation, tous renoncent à ce qui met quelque différence entre eux et les autres Français.

Dans cette immolation de tous les abus, la vénalité et l'hérédité des charges de judicature et autres furent attaquées et proscrites; les jurandes, les maîtrises et les règlements restrictifs de la liberté de l'industrie succombèrent sous un vote presque unanime. Chacun des membres venait à son tour, au nom de ses commettants, offrir un sacrifice ou proscrire un abus. Plusieurs ecclésiastiques, jouissant de plusieurs bénéfices à la fois, déclarent qu'ils sont prêts à se contenter d'un seul.

La nuit était déjà très-avancée. Au milieu de cette assemblée toute en feu, l'archevêque de Paris demande qu'un Te Deum en actions de grâces pour les événements de cette nuit mémorable soit chanté en présence de l'Assemblée et en présence du roi, dans la chapelle même de Sa Majesté.

A ce nom, qui lui est si cher, Lally-Tolendal s'écrie: << Au milieu de tous ces élans, au milieu de tous ces transports qui confondent tous nos sentiments, tous nos vœux, toutes nos âmes, ne devons-nous pas nous souvenir du roi; du roi qui nous a invités le premier à cette réunion fortunée, du roi qui nous a abandonné de lui-même tous les droits que sa justice a reconnu ne pas devoir conserver? C'est au milieu des états généraux que Louis XII a été proclamé le père du peuple; je propose qu'au milieu de cette Assemblée nationale Louis XVI soit proclamé le restaurateur de la liberté française! »

A l'instant même l'Assemblée décerne à Louis XVI ce titre par une acclamation unanime. Tous les assistants (car, malgré l'heure avancée, les tribunes réservées au public étaient combles) s'associent à ce mouvement, et,

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