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d'encens que les rois n'en avaient reçu depuis deux siècles.

Mais la bonté magnanime de Louis XVI n'avait pas désarmé les Parisiens en faveur des auteurs du complot, vrai ou présumé, qu'avait ourdi la cour; et la cherté du pain, qui continuait et que l'on regardait comme un effet de leurs manoeuvres, entretenait la fureur populaire contre Foulon surtout, le successeur de Necker, et contre Berthier, intendant de Paris, gendre de Foulon.

Foulon était âgé de soixante-quinze ans. Effrayé, il avait fait répandre le bruit de sa mort; il avait fait enterrer sous son nom, avec magnificence, un de ses domestiques qui venait de mourir, et s'était caché dans les environs de Fontainebleau. Découvert, saisi par le peuple, il est amené à Paris, devant le comité des électeurs, à l'hôtel de ville. C'était cinq jours après la visite du roi. Le comité décide que Foulon sera provisoirement renfermé à l'Abbaye. Une foule nombreuse s'était réunie sur la place et demandait à voir Foulon. Il était midi. Bailly descend; la foule l'écoute, mais persiste. Enfin, lasse d'attendre, elle envahit la grande salle en criant: « Foulon! Foulon! qu'on nous le montre. On veut le dérober à la justice. Nous ne le permettrons pas. » On le leur présente; puis on l'enferme dans une salle voisine. Alors commença cet incroyable dialogue entre le comité permanent et les plus hardis de la foule :

« Messieurs,» dit le président du comité, « tout coupable doit être jugé. Oui, que Foulon soit jugé tout de suite et pendu. Messieurs, pour juger, il faut des juges; renvoyons M. Foulon aux tribunaux.- Non, non; jugez tout de suite. Puisque vous ne voulez pas des juges ordinaires, il est indispensable d'en nommer d'autres.-Eh bien! jugez vous-mêmes. Nous n'avons le droit ni de juger ni de créer des juges; nommez-les donc. Eh bien! M. le curé de Saint-Etienne du Mont, M. le curé de Saint

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Alors la foule proclame juges cinq autres membres du comité. « Voilà bien sept juges; il faut maintenant un Que ce soit vous-même. Un procureur du

greffier.

roi. Que ce soit M. Duveyrier. »

Alors Duveyrier : « De quel crime accuse-t-on M. Foulon? — Il a voulu vexer le peuple.... Il a dit qu'il lui ferait manger de l'herbe.... Il était dans le complot........ Il a voulu faire la banqueroute.... Il a accaparé des blés. »

Les deux curés se lèvent et déclarent qu'ils se récusent, attendu que les lois de l'Église leur défendent de verser du sang. «Ils ont raison,» disaient les uns. -«Ils nous amusent, » disaient les autres, « et le prisonnier s'échappe. » A ces mots, un tumulte effroyable s'élève dans la salle. « Messieurs, » dit un membre du comité, « nommez quatre d'entre vous pour le garder. » Quatre des assistants entrent dans la salle où était Foulon. « Mais jugez donc! » criait la foule.

Les électeurs se déterminent à procéder au jugement. On fait revenir Foulon. Des hommes du peuple entrelacèrent leurs bras, et formèrent une chaîne épaisse de plu-, sieurs rangs, au milieu de laquelle il fut reçu.

En ce moment, Lafayette entre dans la salle, va se placer au bureau. « Comment, messieurs,» dit-il à la foule, « vous voulez faire périr cet homme sans un jugement régulier! c'est une injustice qui vous déshonorerait, qui me flétrirait moi-même. Sans doute, M. Foulon est coupable; mais il faut qu'avant tout on ait de sa bouche la révélation de ses complices. Je vais le faire conduire à l'Abbaye. »

A ces mots, un homme bien mis1 s'avance vers le bureau. « Vous vous moquez, dit-il; « qu'est-il besoin de jugement pour un homme jugé depuis trente ans? » Aussitôt

1. Textuel, extrait du procès-verbal.

Foulon est saisi par le peuple, porté jusque sur la place, et enfin attaché au réverbère qui pendait au coin de la rue de la Vannerie; on coupe ensuite la corde, et la tête est mise au haut d'une pique.

A peine ce crime était-il accompli, qu'un autre commence le gendre de Foulon, Berthier, avait été arrêté par le peuple à Compiègne, et on l'amenait à Paris. Son voyage de Compiègne à Paris avait déjà été un affreux supplice les populations s'empressaient autour de la voitúre pour le voir et le maudire. On jetait dans la voiture des morceaux d'un pain noir et dur, et on lui criait : « Tiens, malheureux, le voilà ce pain que tu nous faisais manger!»

Dès son entrée dans Paris, il trouva un horrible cortége qui l'attendait et ne cessa de le précéder. C'étaient des hommes portant de grandes perches, à chacune desquelles était un écrite au contenant ces mots : Il a volé la France. Il a dévoré la substance du peuple. Il a été l'esclave des riches et le tyran des pauvres. Il a bu le sang de la veuve et de l'orphelin. A côté de ces écriteaux, était portée sur une pique la tête de son beau-père. Ainsi accompagné, Berthier arrive à l'hôtel de ville. Là, il subit un interrogatoire insignifiant, et l'ordre fut donné de le conduire à l'Abbaye. Mais à peine fut-il arrivé sur la place, qu'il fut arraché à son escorte, et traîné vers le réverbère de la rue de la Vannerie. Sa résistance fut désespérée : il fut tué d'un coup de sabre. On ajoute à ce récit bien d'autres horreurs. Je ne les répète pas. Je ne les crois pas.

Dès le soir, Bailly et Lafayette donnèrent leur démission, puis, vaincus par les supplications, la retirèrent. Necker, qui revenait triomphalement de son exil, frémit et pleura en entrant à Paris, et obtint du comité permanent un arrêté improbateur des assassinats politiques, arrêté qui, dès le lendemain, sur les réclamations menaçantes des districts, fut annulé.

Seule, l'Assemblée nationale avait assez d'ascendant sur

la multitude pour arrêter le mal. Elle mit cet objet en délibération. C'est alors que parut pour la première fois à la tribune Robespierre, député d'Arras. Cet homme, dévoré d'ambition, méchant, jaloux, mais probe, austère et opiniâtre au travail, entra dès lors dans son système, qui consistait à protéger et à glorifier tous les crimes dont la révolution pouvait profiter. A une proposition de Lally, tendant à réprimer les crimes, il répond: « La proposition de M. de Lally est dirigée contre ceux qui ont défendu la liberté; adoptée, elle détruirait la confiance des bons citoyens qui remplissent un devoir. Qu'y a-t-il de plus légitime que de se soulever contre une conjuration horrible formée pour perdre la nation? »

Mirabeau indique comme remède la création d'une municipalité forte à Paris : « Les pouvoirs du comité permanent sont contestables et contestés; de là l'anarchie. »

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Barnave, comme la plupart de ses collègues, se montre moins préoccupé des excès populaires que des dangers que la liberté a courus et peut courir encore : « Avant tout, dit-il, « songeons à la Constitution; décrétons-la, soutenons-la par une bonne organisation des municipalités et des gardes bourgeoises. Puis assurons pour les crimes d'État une répression légale; le peuple satisfait s'apaisera; tout rentrera dans l'ordre. » Telle est la substance du discours de Barnave; mais dans la chaleur de l'improvisation, s'irritant contre ceux qui lui reprochaient d'être indifférent au sang qui venait de couler, il eut le malheur de s'écrier: « Eh quoi! ce sang était-il donc si pur?... » Le Moniteur n'a point enregistré ces paroles; mais l'histoire les a recueillies comme une des preuves de l'effervescence inouïe de cette époque, où les âmes les plus honnêtes étaient violemment emportées hors d'elles-mêmes.

Ces crimes restèrent donc impunis, quoique étant en horreur à l'immense majorité des amis de la révolution; mais

quelques-uns se flattaient au fond de l'âme que ses ennemis auraient peur et se résigneraient plus facilement à ne pas l'entraver. Calcul coupable et malheureux. Dès lors commença à se former dans Paris une démagogie féroce, disposée à s'appuyer sur le crime: faible à son origine et dominée par les honnêtes gens, on verra ses progrès.

Pour le moment, l'Assemblée nationale mit fin à ces excès par une proclamation qui, sans parler du passé, déclare que la poursuite des crimes de lèse-nation appartient aux représentants de la nation, qui promet d'établir un tribunal pour en connaître, et qui invite tous les Français à la paix, au maintien de l'ordre et de la tranquillité publique, à la confiance qu'ils doivent à leur roi et à leurs représentants, et à ce respect pour les lois sans lequel il n'est pas de véritable liberté.

Cette proclamation produisit immédiatement son effet; Bezenval, arrêté dans sa fuite et amené à Paris, put être enfermé à l'Abbaye; l'Assemblée se hâta de lui donner pour juge le Châtelet, qui plus tard le renvoya absous. Plus tard aussi, le maréchal de Broglie, qui avait failli être massacré par le peuple à Verdun, et qui n'avait pu sauver sa vie qu'en se réfugiant dans la citadelle, fut aussi déclaré innocent.

En même temps, la municipalité de Paris, conformément à la proposition de Mirabeau, reçut une organisation régulière. Le comité des électeurs renonça à ses pouvoirs. Les citoyens, réunis dans leurs soixante districts, formèrent un nouveau corps municipal de cent vingt membres, qui furent ensuite portés à trois cents, et réélurent unanimement Bailly et Lafayette. Cette municipalité, dite des trois cents, fut sévère envers la démagogie et la licence. Lafayette composa la garde nationale de vingt-quatre mille citoyens soldats, élite de la population, et de six mille soldats citoyens, ou gardes nationaux soldés, parmi lesquels furent admis presque tous les anciens gardes françaises. Lafayette, aussi franc

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