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aux troupes réunies au champ de Mars l'ordre de se retirer. La nuit vint, et les Parisiens, fiers de leur victoire, mais très-inquiets des suites qu'elle pouvait avoir, se retirèrent dans leurs demeures.

A Paris, la nuit fut tranquille.

A Versailles, la nouvelle de cet événement, arrivée avant la nuit, frappa la cour comme d'un coup de foudre. Les nouveaux ministres n'osaient pas en informer Louis XVI; et à onze heures du soir il l'ignorait encore. Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, ne pouvant les décider à l'en instruire, entre dans la chambre du roi, le réveille, et lui apprend les événements. « Eh! mais, » dit Louis XVI, qui jusque-là n'avait pu se douter de la gravité des circonstances, « c'est donc une révolte! Non, sire, » dit Liancourt, « c'est une révolution! »

Le roi se lève à la hâte; ses deux frères arrivent, ainsi que la reine. On tient conseil. Vouloir réduire la ville de Paris par la force, c'était s'exposer aux plus grands périls, sans avoir la probabilité de réussir; d'ailleurs l'idée du sang qu'il faudrait verser faisait horreur à Louis XVI. Il aurait pu quitter Versailles avec les troupes qui lui restaient fidèles, et tel était l'avis de la reine; mais ce parti, c'était la guerre civile, c'était peut-être la royauté du duc d'Orléans. Il se décide donc à accorder à l'Assemblée et à la population tout ce qu'elles demandaient. Il crut que sa bonté calmerait les passions, et que la France reconnaissante lui tiendrait compte des maux qu'il allait prévenir. Ses deux frères partagèrent, pour le moment du moins, son avis, et la reine finit par s'y ranger. Il passa le reste de la nuit à minuter le discours qu'il voulait adresser le lendemain à l'Assemblée nationale, et à l'apprendre par cœur.

Dès le matin, l'Assemblée savait la victoire du peuple de Paris, et s'attendait, de la part de la cour, aux mesures les plus violentes. Mais, s'inquiétant peu d'accroître ses pro

pres dangers, elle se résolut à envoyer sur-le-champ une députation au roi pour lui demander de nouveau le renvoi des troupes, la liberté des communications pour le transport des grains et des farines à Paris, enfin une réponse satisfaisante qui permît à l'Assemblée de se rendre à Paris pour rétablir la paix et dissiper les alarmes.

La députation chargée de ce message était sur le point de partir, lorsque Dreux-Brézé entre dans la salle et annonce que le roi va paraître, qu'il vient sans escorte.

L'Assemblée allait faire éclater sa joie et son enthousiasme. Mirabeau comprime cet élan : « Qu'un morne silence soit le premier accueil fait au monarque. Dans un moment de douleur, le silence des peuples est la leçon des rois. »

Le roi paraît, accompagné de ses deux frères; l'Assemblée l'accueille debout et en silence. Il fait quelques pas dans la salle, et il prononce d'une voix ferme et assurée le discours suivant :

<< Messieurs, je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l'Etat. Il n'en est pas de plus instante, et qui affecte plus sensiblement mon cœur, que les désordres affreux qui règnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au milieu de ses représentants leur témoigner sa peine, et les inviter à trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a donné d'injustes préventions; je sais qu'on a osé publier que vos personnes n'étaient pas en sûreté. Seraitil donc nécessaire de rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère connu? Eh bien! c'est moi, qui ne suis qu'un avec ma nation, c'est moi qui me fie à vous! Aidez-moi, dans cette circonstance, à assurer le salut de l'Etat; je l'attends de l'Assemblée nationale le zèle des représentants de mon peuple, réunis pour le salut commun, m'en est un sûr garant; et j'ai donné ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Ver

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sailles. Je vous autorise et je vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale.

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Ce discours, qui mettait fin à de si cruelles anxiétés, fut écouté avec des transports de joie et interrompu, à diverses reprises, par les applaudissements les plus vifs.

Après avoir fait une réponse bienveillante au président, qui demandait, au nom de l'Assemblée, l'autorisation d'envoyer immédiatement une députation à Paris, le roi se retire avec ses frères et retourne à pied au château. L'Assemblée entière sort de la salle et se précipite à sa suite. Les députés qui étaient près de lui (le duc d'Orléans était du nombre) forment une chaîne qui le préserve d'une trop grande affluence d'un peuple avide de lui témoigner sa reconnaissance.

La députation qui fut envoyée à Paris par l'Assemblée était de quatre-vingt-huit membres : entre autres Lafayette, Lally-Tolendal, Liancourt, Bailly, Juigné, Talleyrand. Elle apporte aux Parisiens la réconciliation, la paix; et, au milieu d'une foule enthousiaste, elle se rend à l'hôtel de ville, où elle échange avec l'assemblée des électeurs les plus chaudes félicitations. Lafayette donne lecture du discours du roi; Lally-Tolendal parle des espérances de la patrie et des vertus de Louis XVI avec tant d'éloquence, qu'on lui posa sur la tête, malgré lui, une couronne de fleurs, et qu'on l'obligea de paraître à un balcon, pour que la foule, qui remplissait la place et qui n'avait pu l'entendre, pût au moins le voir. Liancourt annonce que le roi autorise la milice bourgeoise. On s'écrie unanimement : « Que M. de Lafayette en soit le général!» Puis Que M. Bailly soit prévôt des marchands! Non,» dit une voix, « maire de Paris. - Oui,» acclame tout le monde, « maire de Paris!» Tous deux acceptent, et, après un Te Deum, chanté immédiatement à Notre-Dame par Juigné, prêtent serment en leur nouvelle qualité. Laissant Paris sous les ordres de ses deux

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nouveaux chefs, le reste de la députation retourne à Versailles.

A peine ont-ils rendu compte de leur mission, que, sur une motion véhémente de Mirabeau, malgré l'opposition de Mounier, de Malouet et de quelques autres, qui voyaient là une atteinte à l'autorité royale, l'Assemblée vota une adresse au roi pour lui demander le renvoi des nouveaux ministres et le rappel de Necker.

Cette fois encore le vœu de l'Assemblée avait été prévenu par la résolution spontanée du roi : il venait d'envoyer à Necker l'avis de revenir; il lui avait donné pour collègues des hommes agréables à l'Assemblée, Montmorin, La Tour du Pin, Saint-Priest, La Luzerne et l'archevêque de Bordeaux, Cicé; et, pour montrer aux Parisiens que, de sa part du moins, la réconciliation et la confiance étaient complètes, il allait se rendre à Paris seul et sans gardes.

Le comte d'Artois, soit qu'il improuvât cette résolution, soit qu'il ne se crût pas en sûreté en France, soit qu'il songeât dès lors à chercher à l'étranger des secours contre la révolution, partit dans la nuit pour ce long exil, qui devait ne finir qu'en 1814 et 1815, et recommencer en 1830; il emmenait la princesse sa femme et ses deux jeunes enfants, le duc d'Angoulême et le duc de Berry. En même temps que lui partirent le prince de Condé, avec son fils le duc de Bourbon, et son petit-fils le duc d'Enghien, le prince de Conti, les membres de la famille Polignac et quelques autres personnes de la cour. Ce fut le commencement de l'émigration.

Après avoir reçu les adieux de son frère, Louis XVI passa plusieurs heures de la nuit à brûler les papiers qui auraient pu compromettre les personnes qui l'avaient conseillé pendant ces derniers jours; il remit à Monsieur un écrit par lequel il lui conférait la régence, dans le cas où l'on attenterait à sa vie ou à sa liberté; puis il partit pour Paris, laissant dans la plus vive inquiétude la reine et

Madame Elisabeth de France, ange de vertu et de bonté, qui s'était entièrement dévouée à son frère.

Il avait pour unique escorte une députation de cent membres de l'Assemblée; il ne manifesta ni étonnement ni appréhension lorsqu'il se trouva, en arrivant à Sèvres, au milieu d'une haie de cent mille hommes, qui se repliaient successivement sur Paris. Autour de lui retentissait le cri de Vive la nation! auquel ne se mêlait que bien rarement celui de Vive le roi! A son entrée, Bailly, en sa qualité de maire, lui dit :

Sire, j'apporte à Votre Majesté les clefs de sa bonne ville de Paris; ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV. Il avait reconquis son peuple : ici c'est le peuple qui a reconquis son roi. »

Le roi confirma la nomination de Bailly et de Lafayette, approuva la dénomination de garde nationale, heureusement substituée à celle de garde bourgeoise, accepta et mit à son chapeau la cocarde tricolore que Lafayette avait fait adopter par cette milice (bleu et rouge, couleurs de la ville de Paris; blanc, couleur de la France depuis un temps immémorial), et il se montra avec cette cocarde sur un balcon à la foule qui couvrait la place et mème, au péril de la vie, les toits de toutes les maisons. A cette vue, l'enthousiasme éclata avec une vivacité toujours croissante. Dès ce moment, on ne cria plus que Vive le roi ! les cent mille hommes qui, au retour, formèrent encore la double haie jusqu'à Sèvres, tinrent, en signe de paix, leurs armes renversées; et à dix heures du soir Louis rentrait dans son palais, où la reine, tout en larmes, courut à sa rencontre avec ses enfants et sa sœur.

Dès ce moment, l'Assemblée nationale régna en France et y régna seule; tous les parlements, tous les corps judiciaires et administratifs, les provinces, les villes, lui adressèrent l'hommage d'un dévouement et d'un respect sans bornes. Pendant les deux ans qu'elle siégea, elle reçut plus

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