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les Français. On voulut arracher au pape Pie VI sa renonciation à la souveraineté il s'y refusa, n'ayant pas, disait-il, le droit de disposer d'un pouvoir qui n'était qu'un dépôt fait par l'Eglise entre ses mains. Sur l'ordre du Directoire, ce vieillard de quatre-vingt-deux ans fut saisi, pendant la nuit, entraîné hors de son palais, et enfermé dans un couvent à Sienne, puis à Florence, à Parme, à Turin; enfin, au cœur de l'hiver et par un froid excessif, il fut contraint de traverser les Alpes, porté par quatre hommes, et fut amené à Valence en Dauphiné, où il mourut quelques mois après. On a prétendu, mais cela n'est nullement prouvé, que le chef des théophilanthropes, Laréveillère-Lepaux, s'était fait un cruel plaisir de persécuter ainsi le chef de l'Église chrétienne.

Cet attentat contre le souverain pontife, cet envahissement de la Suisse et des États romains, rallumèrent sur le continent le feu mal éteint de la guerre. Les négociations de Rastadt se ralentirent; l'Autriche se prépara à une nouvelle lutte; le roi de Naples, qui se voyait menacé de près, entra en négociations avec l'Angleterre et avec le czar de Russie, Paul, qui annonçait hautement l'intention d'envoyer une armée en Italie pour rétablir le pape, et probablement pour accomplir, s'il était possible, de plus grands desseins; car il avait donné à Louis XVIII un asile dans ses États, et ce prince, à Mittau, était traité en roi. Seules, l'Espagne et la Prusse restaient tranquilles. C'est dans ces conjonctures que, sur la proposition du Directoire, les conseils, par une loi, établirent la conscription, qui appelle au service militaire tous les jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans; institution qui s'est toujours maintenue depuis ce temps, et que les nations voisines ont imitée. Pour se procurer l'argent nécessaire à la lutte que ses fautes avaient provoquée, le Directoire eut recours à un emprunt forcé progressif; cette mesure, renouvelée de la Convention, souleva de plus en

plus contre lui l'opinion publique, irritée et inquiète de voir qu'une nouvelle coalition allait jeter 400 000 hommes sur nos frontières. Nous avions à peine 180 000 hommes à leur opposer.

Le roi de Naples, impatient, ne voulut pas attendre que cette seconde coalition qui se formait contre la France fût complétement organisée. Séduit par les promesses de l'Angleterre, et ayant mis à la tête de sa nombreuse armée le général autrichien Mack (le même qui fut pris dans Ulm cinq ans plus tard), il se jette sur le territoire romain et s'empare de Rome triomphe bien court. Dix-sept jours après, Championnet, à la tête de 8000 Français, met en fuite les 60 000 Napolitains de Mack, rentre dans Rome, poursuit les ennemis sur le territoire napolitain, s'empare de Naples et y établit la république Parthénopéenne. En même temps le Directoire. déclare la guerre au roi de Sardaigne, dont le seul tort, au milieu de tous ces bouleversements, était d'être faible et hors d'état de se défendre. Surpris dans Turin par les troupes françaises, Charles-Emmanuel renonce à la souveraineté du Piémont et de ses autres provinces continentales, signe l'incorporation de ses troupes dans l'armée française, et se retire dans l'île de Sardaigne, qu'on lui laissa, parce qu'on ne pouvait la lui prendre. Le général Joubert chargea du gouvernement du Piémont une commission provisoire. Le Directoire n'érigea pas ce pays en république, parce qu'il avait l'intention de l'annexer à la France, intention que le gouvernement consulaire réalisa ensuite.

Cependant la seconde coalition contre la France était complétement organisée : outre Naples, elle comprenait l'Angleterre, la Russie, la Turquie, l'Autriche, la plupart des États d'Allemagne, le Portugal, et quelques autres puissances du second ordre; et une armée russe, commandée par le célèbre Souwaroff, un des hommes les plus

habiles et les plus singuliers qui aient jamais existé, et par Korsakoff, s'avançait vers l'Italie en traversant la Pologne et l'Allemagne. Les conférences de Rastadt furent rompues, et cette rupture fut signalée par un crime affreux les plénipotentiaires français, en quittant cette ville, furent assassinés par des hussards autrichiens.

Pour résister à tant d'ennemis, la France, comme je l'ai dit, n'avait guère que 180 000 hommes sous les armes; la fortune lui fut presque toujours contraire. Jourdan, vaincu en Souabe par l'archiduc Charles, dut se replier sur le Rhin; l'armée d'Italie, que le Directoire avait confiée à Schérer, éprouva d'abord sur l'Adige, ensuite sur l'Adda, des désastres qui auraient amené sa destruction totale, si Moreau, relégué alors à une position secondaire dans cette armée, et acclamé général en chef par les soldats après ces désastres, ne l'eût sauvée par des prodiges d'habileté et de courage, mais sans pouvoir ramener la victoire sous ses drapeaux. Macdonald et Joubert se couvrirent de gloire sans résultats utiles. Souwaroff, les Autrichiens, les Russes envahissaient l'Italie entière; et ces républiques à peine fondées, Cisalpine, Ligurienne, Romaine, Parthénopéenne, s'écroulaient de toutes parts.

Dans l'intérieur, l'opinion générale devenait de plus en plus hostile au Directoire; les revers et les embarras publics étaient exploités contre le gouvernement, comme c'est l'usage en France, et l'occasion alors était belle. On imputait tous ces revers à son incapacité, à sa tyrannie, à son immoralité et aux dilapidations effroyables de ses agents. Les deux conseils, si complétement d'accord avec lui du temps des succès et des victoires, l'abandonnèrent dès qu'il fut malheureux. Ces conseils venaient de s'adjuger une somme de plus d'un million, montant du traitement des députés proscrits en fructidor, et de la partager entre leurs sept cent cinquante membres : ils n'en déclamèrent pas moins contre la rapacité du Directoire et

de ses agents. Rewbel étant sorti du Directoire, ils le remplacèrent par Sieyès, qui d'abord avait refusé de faire partie du Directoire, et qui alors entra dans son sein avec l'intention et l'espoir de le renverser la constitution de l'an III lui était odieuse, et il se proposait de faire tous ses efforts pour la détruire. En attendant, il se lia avec Barras, qui, voyant en lui un homme d'un grand talent, tout-puissant dans le conseil des Anciens, sacrifia sans aucun scrupule ses trois autres collègues, et acheta ainsi la certitude de se maintenir au pouvoir.

La majorité du Directoire, ainsi menacée, se croyait néanmoins certaine d'échapper au péril, en restant étroitement unie c'était Laréveillère-Lepaux, Merlin et Treilhard, qui avait remplacé François. Ils virent d'abord, sans beaucoup d'inquiétude, la coalition qui se formait contre eux, et qui était ainsi composée : Sieyès et Barras, la majorité des Anciens, dévouée à Sieyès, et la majorité des Cinq-Cents. Dans les Cinq-Cents il y avait, malgré le coup d'Etat de floréal, un assez grand nombre de Jacobins, et un très-grand nombre d'ardents patriotes qui votaient avec eux, mais à qui il serait injuste de donner le nom de Jacobins. A eux se joignirent les royalistes et beaucoup de députés constitutionnels. On commença par arracher au Directoire, malgré ses instances désespérées, la dictature qu'on lui avait accordée, après fructidor, sur la presse périodique et sur les clubs, ainsi que le pouvoir de déporter les ecclésiastiques selon son bon plaisir, et de rayer ou d'inscrire des noms sur la liste des émigrés. Après l'avoir ainsi désarmé, on travailla ouvertement à le renverser. On a dit que les trois directeurs menacés eurent un moment l'idée d'essayer un coup d'État contre les Conseils; mais, parmi les directeurs, Sieyès seul avait des talents, Barras seul avait de l'audace. Que pouvaient les trois autres?

Les Cinq-Cents se déclarèrent en permanence, les An

ciens les imitèrent les Conseils déclarèrent hors la loi quiconque attenterait à la représentation nationale. Les trois directeurs furent sommés de se démettre. Comme ils n'y paraissaient point disposés, on proposa de les mettre en accusation moyen autorisé par la constitution, mais évidemment inique, puisque tous les actes anticonstitutionnels du Directoire avaient été sanctionnés par les Conseils, et qu'on exceptait Barras, qui, en fait de corruption et de tyrannie, était bien plus coupable que ses collègues. Treilhard, dont l'élection avait été légèrement entachée d'inconstitutionnalité, céda le premier. Lepaux et Merlin tinrent bon un jour ou deux; enfin, dans la nuit du 29 au 30 prairial an vII, ils se laissèrent arracher leur démission, et reçurent en échange la promesse que la proposition de mise en accusation n'aurait pas de suite. La religion des théophilanthropes disparut de la scène en même temps que son grand prêtre.

Lé nouveau Directoire, à qui était réservée une existence de six mois, fut formé de Barras, de Sieyès, de Roger Ducos, très-attaché à Sieyès, d'un jurisconsulte obscur, ancien membre de l'Assemblée constituante, Gohier, et d'un général peu connu, Moulins. Sieyès, qui, huit jours à peine après son entrée au Directoire, venait d'obtenir une victoire si complète, redoubla de confiance en luimême, résolut de renverser avec l'aide de Roger Ducos, non-seulement les trois autres directeurs, mais le Directoire même, et se crut appelé à remplacer la Constitution et le gouvernement par une constitution dont il serait l'auteur, et par un gouvernement dont il serait le chef. Il venait d'être ambassadeur en Prusse, ne cessait de vanter, devant ses collègues, la manière dont ce pays était gouverné, inclinait visiblement vers la monarchie, et, ce qui paraît incontestable, rêvait cette monarchie pour luimême. Il apprenait à monter à cheval et s'exerçait dans la cour d'honneur du Luxembourg, au grand étonnement

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