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Au Directoire, on nomma à la place de Carnot et de Barthélemy les deux ministres Merlin et François. Augereau, qui avait compté sur une place au Directoire, eut pour dédommagement le commandement en chef de l'armée de Rhin-et-Moselle, à la place de Hoche, qu'une mort prématurée venait d'enlever; mais comme il se voyait joué, on lui supposa des projets hostiles, et on lui ôta ce commandement sous un prétexte dérisoire; il se fit nommer plus tard membre des Cinq-Cents.

Un mot maintenant sur les condamnés à la déportation. Plusieurs d'entre eux parvinrent à s'échapper et se dispersèrent sur différents points de l'Europe où ils furent en général bien accueillis. De ce nombre étaient Carnot, Portalis, Siméon, Mathieu-Dumas. Il y en eut qui ne purent sortir de France et qui se cachèrent, entre autres, Fontanes. Presque tous les autres furent traînés à Rochefort, dans des chariots grillés, préparés à l'avance pour cet usage; puis, après tous les dégoûts et les tortures d'une captivité dans l'entre-pont d'une corvette, ils abordèrent à Cayenne, et de là on les envoya dans les déserts de Synnamari. « Voilà des bêches et des râteaux, » leur diton; «< cultivez, faites cultiver ces lieux; vos travaux leur donneront la salubrité qui leur manque. »

Bientôt le climat les frappe, le découragement les atteint, une fièvre lente les consume. Murinais et TronçonDucoudray succombèrent les premiers.

Pichegru, Willot, Barthélemy, Ramel, parvinrent à s'échapper; ils se jetèrent dans une pirogue. Leur navigation fut pénible; ils eurent beaucoup à souffrir, et d'un soleil brûlant et de la faim. Accueillis avec bienveillance dans la colonie hollandaise de Surinam, ils partirent de là pour l'Angleterre.

Leurs compagnons restés à Synnamari périrent presque tous misérablement; quelques-uns s'enfuirent aussi et périrent sur mer. Barbé-Marbois et Lafond-Ladebat ne vou

lurent jamais s'enfuir, et supportèrent leur sort avec

courage.

Bientôt après, le Directoire envoya dans la Guyane trois autres navires chargés de prêtres. Jetés dans un canton plus pestilentiel encore que Synnamari, ils ne se servirent de la bêche que l'on avait remise entre leurs mains que pour creuser leur tombe.... L'histoire de leur captivité se résume en ces deux mots : prier, mourir.

Devenu tout-puissant après fructidor, le Directoire réalisa la mesure qu'il avait projetée relativement à la dette publique, dont, comme je l'ai dit, l'intérêt annuel se montait à 250 millions et le capital à 5 milliards. On remboursa les deux tiers de ce capital en bons sur les biens nationaux, bons dont la plupart de ceux à qui on les donna en payement ne surent que faire, et qui, d'ailleurs, dès le jour même de leur émission, perdirent les cinq sixièmes de leur valeur. C'était, ou peu s'en faut, une véritable banqueroute des deux tiers. L'autre tiers est resté inscrit sur le grand livre de la dette publique, sous le nom de tiers consolidé.

XXXVI

COUP D'ÉTAT DU DIRECTOIRE ET DU CORPS LÉGISLATIF CONTRE LE CORPS ELECTORAL. COUP D'ÉTAT DU CORPS LÉGISLATIF CONTRE ·22 FLORÉAL AN VII; 30 PRAIRIAL AN VIII (11 MAI

LE DIRECTOIRE.

1798; 9 JUIN 1799).

La confiance et la faveur publiques, s'éloignant de plus en plus de ce gouvernement et de ces conseils, qui faisaient peu d'honneur à la nation, inclinaient vers les généraux et les armées, qui la couvraient de gloire. Hoche, Moreau et Bonaparte, jouissaient d'une popularité immense. Hoche, après avoir, au commencement de 1797, franchi le Rhin en présence de l'ennemi, fait trente-cinq lieues en quatre jours, livré cinq combats et gagné les trois batailles de Neuwied, d'Ukerath et d'Altenkirchen,

venait d'être enlevé par une mort prématurée, qui a laissé à son nom l'auréole d'une gloire pure. Moreau, général du premier mérite, mais, du reste, homme assez ordinaire, gagna peu à la disparition de Hoche; Bonaparte y gagna beaucoup. Les esprits amoureux des beaux souvenirs de l'antiquité voyaient en lui un nouveau Scipion, destiné, comme celui de Rome, à abaisser Carthage, c'est-à-dire l'Angleterre, dont les efforts contre la France. étaient plus violents que jamais; la masse de la nation, voulant à tout prix conserver les conquêtes morales et matérielles de la Révolution, et ne pouvant compter ni sur le Directoire ni sur les deux conseils, désirait et pressentait en Bonaparte un chef de la République; ce vœu secret commençait à se faire jour; les royalistes étaient disposés à accueillir quiconque les délivrerait d'un gouvernement qui s'obstinait à célébrer par des réjouissances publiques les souvenirs du 21 janvier; quant à la fièvre populaire, naguère si redoutable, elle était entièrement calmée; et les Jacobins, isolés, n'avaient plus d'autre importance que celle que le Directoire leur prêtait, non sans répugnance, depuis fructidor.

Tel était l'état des esprits, lorsque Bonaparte arriva à Paris, tout resplendissant de la double gloire de héros et de pacificateur, et après avoir fait preuve, en Italie, de la plus haute intelligence dans l'art d'organiser et dans celui de gouverner. Il apportait le traité de Campo-Formio, négocié et conclui par lui, qui assurait à la France la limite du Rhin et le protectorat au delà des Alpes; l'Autriche, renonçant à la Belgique et à la Lombardie, acceptait comme compensation Venise et les provinces vénitiennes; un congrès, à Rastadt, devait fixer les conditions de la paix avec les autres puissances allemandes. Paris accueillit Bonaparte avec enthousiasme. La remise du traité au Directoire eut lieu au Luxembourg, dans une séance solennelle. Depuis longtemps Paris n'avait été

témoin d'une aussi belle réunion. Quand Bonaparte parut, le traité à la main, les acclamations les plus vives éclatèrent. On ne se lassait pas de contempler ce héros si jeune encore, à la taille grêle, au visage pâle, à l'œil ardent et plein de pensée. C'est Talleyrand, ministre des affaires étrangères, qui présenta au Directoire le général en chef, dont il fit le plus brillant éloge; il ajouta : « Ah! loin de redouter ce qu'on voudrait appeler son ambition, je sens qu'il nous faudra peut-être le solliciter un jour pour l'arracher aux douceurs de sa studieuse retraite. La France entière sera libre: peut-être lui ne le sera jamais. »>

Bonaparte, en présentant le traité, dit quelques mots vivement sentis et modestes. Barras, au nom du Directoiré, parla très-longuement et très-emphatiquement contre l'Angleterre, que Bonaparte, selon lui, allait incessamment écraser; et, en effet, Bonaparte fut immédiatement nommé général en chef de l'armée d'Angleterre. Mais cette armée n'existait pas; et c'est en Égypte que le vainqueur de l'Italie voulait aller attendre un moment plus favorable pour la réalisation de sa secrète pensée. L'Orient, qui fascinait alors les imaginations, devait ajouter à sa gloire. quelque chose de fantastique et d'exceptionnel; on avait enlevé à l'Italie et apporté à Paris les plus belles œuvres de peinture et de sculpture qui la décoraient; et la conquête de l'Egypte promettait à la science d'aussi brillants résultats que ceux que la conquête d'Italie avait eus pour les beaux-arts. L'Égypte, à la vérité, appartenait à la Turquie, avec qui nous étions en paix; mais c'est de quoi le Directoire s'inquiétait peu; il ordonna même à Bonaparte de s'emparer en passant, par un coup de main, de Malte, qui n'était pas en guerre avec nous.

Tandis que l'expédition d'Égypte se préparait dans le secret le plus profond, Bonaparte, à Paris, continuait d'attirer tous les regards, et plus il paraissait vouloir se soustraire aux ovations, plus sa popularité grandissait. Les savants, les

:

artistes, les hommes de lettres, qui ont sur l'opinion tant d'influence, admiraient et vantaient l'étendue de ses connaissances, la sûreté de son goût, l'éclat de son imagination; l'Institut l'admit parmi ses membres; la rue Chantereine, où il demeurait, fut, en son honneur, appelée rue de la Victoire. Il subjuguait tous les esprits, il entraînait tous les cœurs. La faveur publique s'étendit sur toute sa famille son frère Lucien fut élu membre du conseil des Cinq-Cents; son frère Joseph fut nommé ambassadeur à Rome. Le Directoire, évidemment inquiet de tant de popularité, le pressait de partir pour l'Égypte; mais Bonaparte ne voulut y consentir qu'après avoir fait mettre dans ses instructions qu'il reviendrait en France quand il le jugerait convenable. Et son intention était de revenir bientôt si, comme tout le faisait présumer, le Directoire, enivré de ses succès, gâtait les affaires de la France, alors si prospères. Tout ce qu'on a dit de son projet de se créer un empire en Orient est fabuleux.

En ce moment, autant l'opinion était hostile au Directoire, autant les circonstances lui étaient favorables. La paix était faite avec l'Autriche; les puissances secondaires de l'Allemagne, qui négociaient à Rastadt, consentaient à laisser à la France la limite du Rhin; la France avait imaginé un moyen de les indemniser et de les satisfaire en leur permettant de prendre bien plus qu'elle ne leur ôtait; il y avait alors en Allemagne d'immenses principautés appartenant à l'Église, l'électorat de Trêves, celui de Cologne, celui de Mayence, qui s'étendaient sur les deux rives du Rhin, et quelques autres États moins considérables sur la rive droite; la France engagea les souverains allemands à s'emparer de ces États et à se les partager; ils ne demandaient pas mieux; et telle est l'origine du grand accroissement de territoire que, malgré les conquêtes de la France, les puissances allemandes ont réalisé.

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