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Vendée continuait la guerre civile, Puisaye agitait secrètement la Bretagne, Frotté la Normandie; et les routes, dans l'Ouest, étaient infestées de chouans; dans le Midi et autour de Lyon, se formaient des sociétés secrètes. Louis XVIII, de Vérone, et ensuite de Blankenbourg, son frère Charles-Philippe, de Londres, le prince de Condé, de son quartier général, envoyaient en France des émissaires, quelquefois à l'insu les uns des autres. Les négociations ourdies par le prince de Condé étaient les plus actives. Pichegru, commandant de l'armée de Rhin-etMoselle, s'étant laissé séduire par les plus magnifiques promesses, s'engagea à opérer la contre-révolution; en attendant, il recevait du prince des sommes très-considérables fournies par l'Angleterre, et il cherchait, dit-on, à se faire battre avec toute son armée, lorsque le Directoire, ayant conçu quelques soupçons, le destitua, sous prétexte de lui donner une ambassade qu'il n'accepta pas, et mit Moreau à sa place. Pichegru alla continuer ses intrigues dans le Jura, son pays. A Paris, trois agents royalistes, Brottier, Lavilleheurnois et Duverne, que Pitt ne laissait pas manquer d'argent, eurent l'idée de faire révolter, en faveur de Louis XVIII, un corps de douze mille hommes campé dans la plaine des Sablons, et se figurant que Malo, parce qu'il avait sabré les Jacobins, était nécessairement royaliste, ils s'ouvrirent étourdiment à cet officier, qui fit semblant de les écouter et les attira dans sa chambre, où ils lui expliquèrent tout le complot, sans se douter que des agents de police cachés entendaient tout: ils furent sur-le-champ arrêtés et jugés, et en faveur des révélations que Duverne fit au Directoire, et qui restèrent quelque temps secrètes, on les condamna seulement à la détention.

Tout cela n'est guère intéressant à raconter; mais, durant ce temps-là, nos armées se couvraient de gloire.

Pendant cette fameuse campagne de 1796, la Vendée, l'Allemagne, l'Italie, furent le théâtre de leurs succès.

Hoche, général en chef de l'armée de l'intérieur, parvint à opérer la soumission à peu près complète de la Vendée, moins encore par la force des armes que par sa capacité administrative et surtout par son humanité. Stofflet et Charette, pris les armes à la main, avaient été fusillés, le premier à Angers, le second à Nantes. Ce furent les dernières exécutions de ce genre; Hoche n'en permit plus.

L'armée du Nord n'agit pas; elle contenait la Hollande et les pays voisins, ainsi que la Belgique, souvent agitée. Deux armées opéraient en Allemagne, sur la rive droite du Rhin celle de Sambre-et-Meuse, commandée par Jourdan, qui avait sous ses ordres Kléber, Lefebvre, Championnet, Bernadotte, Soult, Ney; celle de Rhin-etMoselle, confiée d'abord à Pichegru, puis à Moreau, ayant sous ses ordres Desaix, Gouvion-Saint-Cyr, Lecourbe, Dessolles. Chacun de ces généraux en chef était à la tête d'environ quatre-vingt mille hommes; Marceau, entre les deux armées, commandait un corps détaché. A eux faisaient face environ deux cent mille Autrichiens et Allemands, formant deux armées, sous le commandement supérieur de Charles d'Autriche, jeune prince très-habile et très-brave. Avec ces troupes allemandes marchait le corps de Condé, toujours à l'avant-garde dans les attaques, et à l'arrière-garde dans les retraites.

Victorieuses dans plusieurs combats, les deux armées françaises s'étaient avancées assez loin; mais à Neumarck, Jourdan éprouve des revers et se replie jusqu'à Dusseldorf, en très-bon ordre. Marceau, qui par d'habiles manœuvres protégeait ce mouvement rétrograde, frappé d'une balle autrichienne, expire en disant : « Que je suis heureux de mourir pour ma patrie!» Moreau, qui, après avoir pris Ulm et Augsbourg, venait de franchir le Leck, se trouve placé par la défaite de Jourdan dans une posi

tion d'autant plus hasardeuse, que, par suite d'un armistice conclu avec Jourdan, presque toutes les troupes allemandes et autrichiennes avaient pu se réunir contre lui. C'est alors que, forcé de se replier sur le Rhin, il fit, à travers la ForêtNoire, cette retraite triomphante, qui a placé son nom si haut; à travers cent lieues d'un pays hérissé de montagnes, couvert de forêts, coupé de défilés et de rivières, au milieu d'une population irritée et en armes, suivi et débordé par des troupes infiniment supérieures en nombre, attaqué chaque jour et chaque jour vainqueur, amenant une foule de prisonniers dont il grossit sans cesse le nombre, il arriva, au bout de quarante jours, en deux colonnes, sur Kehl et sur Huningue, restant maître des ponts du haut Rhin et des principaux postes de la rive droite.

Ainsi, en Allemagne, nos succès étaient mêlés de revers; mais, en Italie, les succès étaient continuels et tellement éclatants, que Bonaparte et son armée devinrent en France l'objet d'un enthousiasme toujours croissant. En Bonaparte se révéla tout à coup un génie extraordinaire, mêlé de science, de divination et d'audace, et aussi propre à l'organisation et au gouvernement qu'à la conquête. Cette campagne d'Italie, sa première, est aussi sa plus belle Masséna, Augereau, Joubert, Berthier, Lannes, et ensuite Bernadotte, détaché de l'armée du Rhin, le secondèrent dignement.

Dès le début, ayant à combattre à la fois les armées autrichienne et piémontaise, il les sépare en deux par des manœuvres habiles; il est vainqueur à Montenotte, à Millésimo, à Mondovi, et force le souverain de Piémont à demander la paix, qui lui est accordée moyennant la cession du comté de Nice, devenu le département français des Alpes-Maritimes. Bonaparte poursuit les débris de l'armée autrichienne, les écrase au pont de Lodi et à Borghetto, et se trouve maître de toute la Lombardie, qu'il s'occupe de révolutionner.

Mais pour remplacer l'armée détruite, le général autrichien Wurmser arrive d'Allemagne avec des troupes fraîches et aguerries: Bonaparte le bat à Lonato, à Castiglione, à Roveredo, à Bassano, et l'oblige à se renfermer dans Mantoue, tandis que Parme, Modène, Naples, Rome, demandent la paix, et que le gouvernement de Venise, pour complaire aux vainqueurs, oblige Louis XVIII de quitter Vérone.

Pendant que Wurmser se défend opiniâtrément dans Mantoue, une troisième armée autrichienne, plus formidable que les deux autres, descend des Alpes: Alvinzy, qui la commande, est vaincu à Arcole. L'hiver n'interrompt point la lutte; et Alvinzy, à qui de nombreux renforts avaient formé comme une armée nouvelle, voit cette armée presque complétement anéantie à Rivoli et à la Favorite. Mantoue se rend la conquête de la Lombardie est achevée; et ce pays s'organise en république d'abord Cispadane, puis Cisalpine, sous la protection de la France.

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Ainsi, en dix mois, cinquante-cinq mille Français avaient écrasé, outre l'armée piémontaise, trois armées autrichiennes trois fois renforcées, avaient gagné douze batailles rangées et fait quatre-vingt mille prisonniers ; Naples, Parme, Modène avaient obtenu la paix, et le pape un armistice: la joie en France était à son comble.

L'hiver avait beau sévir, Bonaparte ne s'arrêtait pas, et la campagne de 1796 se continuait en 1797 sans interruption. Déjà quelques troupes envoyées par lui en Corse avaient rendu à la France cette île, qui s'était donnée à l'Angleterre pendant la Terreur. D'autres troupes marchent contre les États du pape, accusé de ne pas observer fidèlement l'armistice. Pie VI est contraint de livrer à la France, avec cinquante-cinq millions en numéraire, d'inestimables chefs-d'œuvre de peinture et de sculpture, et les trois provinces de Bologne, de Ferrare et de Ravenne,

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dont on fit la république Transpadane, fondue plus tard dans la république Cisalpine. Maître de l'Italie, Bonaparte marche contre l'archiduc Charles, qui, à la tête d'une quatrième armée autrichienne, couvrait la frontière allemande de l'Empire. Sur le Tagliamento, il est vainqueur de Charles; il le poursuit dans le Tyrol, dans la Styrie, dans la Carinthie; déjà il n'est plus qu'à trente lieues de Vienne : l'Autriche, lassée, effrayée, lui demande de s'arrêter, et Bonaparte, à Léoben, signe avec l'archiduc des préliminaires de paix, sur l'ordre du Directoire, qui charge le jeune général de poursuivre les négociations; tout en négociant, il s'empare de Venise, dont la feinte neutralité nous avait toujours été hostile, occupe ses provinces de terre ferme, et, des îles grecques qui lui appartenaient, il forme la république des Sept-Iles.

A la nouvelle de l'armistice, Hoche et Moreau, qui, à la tête, l'un de l'armée de Sambre-et-Meuse, l'autre de celle de Rhin-et-Moselle, venaient de franchir le Rhin au printemps de 1797 et avaient été vainqueurs dans plusieurs batailles, s'arrêtent; les hostilités cessent, la paix continentale se négocie.

Tels étaient, à l'extérieur, les succès du Directoire; nous allons voir qu'à l'intérieur il était moins heureux.

XXXV

COUP D'ÉTAT DU DIRECTOIRE CONTRE LE CORPS LÉGISLATIF. 18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797).

Ce qui donnait autant d'embarras au gouvernement nouveau que les complots jacobins et royalistes, c'était les finances; la Convention, en se retirant, les avait laissées dans un désordre affreux. A la vérité, après les journées de vendémiaire, en supprimant les distributions,

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