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Elle appèlle les sections de Paris au secours de la loi, et leur défend d'obéir à la municipalité conspiratrice;

Elle met Barras à la tête de toute la force armée de Paris, et lui adjoint sept autres députés pour commander sous ses ordres.

Des représentants sont envoyés dans toutes les sections, pour y donner communication de ses décrets et les appeler

aux armes.

Le succès de toutes ces mesures fut immense.

Dans presque toutes les sections, les représentants furent bien accueillis; leurs bataillons s'armèrent; le tocsin et la générale ne cessèrent de se faire entendre dans cette nuit mémorable; mais ce n'était plus comme au 31 mai, pour marcher contre la puissance publique, c'était pour la défendre. Le faubourg Saint-Marcel, dont Henriot se croyait sûr, le faubourg Saint-Antoine, qui était las de se voir sans cesse traverser par les charrettes fatales, renoncèrent à protéger Robespierre. Dès que deux ou trois bataillons furent prêts, Barras ordonna à Bourdon de marcher avec eux sur l'hôtel de ville.

Quand Bourdon arriva sur la place, il était à peu près deux heures du matin; les sectionnaires peu nombreux qui s'y étaient réunis pour défendre la Commune n'essayèrent pas de résister et se retirèrent. Toutes les issues de la place furent cernées.

Dans la grande salle de l'hôtel de ville, les membres de la Commune, les cinq représentants, et Henriot, qui délibéraient alors en tumulte et qui se préparaient à marcher contre la Convention, s'aperçoivent avec épouvante qu'ils sont attaqués eux-mêmes. Henriot descend à la hâte, pour donner l'ordre à des canonniers qu'il avait placés devant le palais municipal de tirer sur les agresseurs. Les canonniers étaient partis. Il remonte furieux, et entrant dans la salle : « Ah! les traîtres, » ditil, « ils nous ont abandonnés ! » Coffinhal, désespéré, tourne

sa rage contre Henriot : « Misérable, lui dit-il, • c'est ta lâcheté qui nous perd. Il le saisit par le milieu du corps, le porte vers une fenêtre, et de là le jette dans la rue. Henriot tomba sur un tas d'ordures qui amortirent la chute, et empêchèrent qu'elle ne fût mortelle.

De la salle de l'hôtel de ville on entendait s'approcher au pas de charge les hommes qui allaient forcer l'entrée. En ce moment terrible, Robespierre voit que tout est perdu pour lui; il ne songe plus qu'à ne pas tomber vivant entre les mains de ses ennemis, si longtemps ses amis. Il se tire un coup de pistolet pour se brûler la cervelle; mais la balle frappant au-dessous de la lèvre, lui perce seulement la joue. Lebas se tire aussi un coup de pistolet. Robespierre jeune se jette par une fenêtre; Saint-Just reste immobile, une arme à la main; Couthon se cache, bien inutilement, sous une table.

A l'instant même où les deux coups de feu venaient de se faire entendre, la porte de la salle s'ouvre brusquement, et l'on voit paraître, armés de sabres et de pistolets, les hommes chargés par Barras d'opérer l'arrestation. Tous les assistants sont saisis et amenés à la Convention. Robespierre et Lebas, ainsi que Henriot et Robespierre jeune, qu'on avait ramassés dans la rue tout meurtris, avaient été placés sur des brancards.

Trois heures sonnaient lorsque le cortége arriva aux Tuileries. Le président de la Convention, informé, dit : « Le lâche Robespierre est là. Vous ne voulez pas qu'il entre? Non,» s'écria un membre, « le cadavre d'un brigand ne peut apporter que la peste! Prenons des mesures pour que le glaive le frappe sans délai, lui et ses complices.

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La Convention décrète que l'échafaud sera dressé sur la place de la Révolution, et que la constatation de l'identité sera affranchie des formalités ordinaires. Elle décrète aussi que les sections de Paris ont bien mérité de la patrie. A

quatre heures du matin, 10 thermidor, la séance est suspendue.

On avait transporté Robespierre dans la salle du Comité de salut public. Là on l'avait étendu sur une table, et on lui avait placé quelques cartons sous la tête. Il avait toute sa présence d'esprit, et se montrait impassible. Il portait l'habit bleu-violet, qu'on avait tant remarqué à la fête de l'Etre suprême, des culottes de nankin, et des bas blancs, qu'au milieu de ce tumulte il avait laissé retomber sur ses souliers. Le sang jaillissait de sa blessure; il l'essuyait avec un fourreau de pistolet. On lui présentait de temps en temps des morceaux de papier, qu'il prenait pour s'essuyer le visage. Il demeura ainsi plusieurs heures sur la table; une foule de gens venaient le contempler, beaucoup l'insultaient, quelques-uns lui crachèrent au visage : il resta insensible à tous ces outrages. Quand le chirurgien arriva pour le panser, il se leva luimême, descendit de dessus la table, et alla se placer sur un fauteuil. Il subit un pansement douloureux, sans faire entendre aucune plainte. Il ne répondait à aucune parole. On le transporta ensuite avec Saint-Just, Couthon et les autres à la Conciergerie. Fouquier-Tinville fut obligé de déclarer leur identité; et après cette seule formalité, ils furent envoyés au supplice, vers quatre heures de l'aprèsmidi. L'exécution eut lieu sur la place de la Révolution, en présence d'une foule innombrable, qui applaudissait avec transport chaque fois qu'une tête tombait. Outre les cinq représentants, Fleuriot-Lescot, Henriot, Payan, Coffinhal et douze autres furent suppliciés. Ainsi périt Robespierre, à l'âge de trente-quatre ans.

Le lendemain et le surlendemain furent décapités, également sans jugement, sur la place de la Révolution, quatre-vingt-quatre Jacobins, la plupart membres de la commune de Paris. De ce nombre était le cordonnier Simon, l'ancien instituteur du prince royal.

XXXII

REACTION THERMIDORIENNE.

JOURNÉES DU 12 GERMINAL ET

DU 1er PRAIRIAL AN III (1er-20 AVRIL 1795).

Les événements du 9 thermidor avaient produit à Paris et dans tous les départements une joie inexprimable. On ne doutait pas qu'avec Robespierre le système de la Terreur n'eût succombé; on pensait que la hache allait s'arrêter, les prisons s'ouvrir; non-seulement on le pensait, mais on le voulait; l'opinion publique se prononçait en ce sens avec une force toujours croissante.

Mais un grand nombre de Montagnards, Billaud, Collot, Barrère, ne l'entendaient pas ainsi. Ils avaient voulu, pour se sauver, renverser Robespierre, mais ils voulaient maintenir la Terreur. Ils résistèrent, autant qu'il leur fut possible, à la majorité réactionnaire qui se forma dans la Convention après le 9 thermidor, et de concert avec les Jacobins, qui se réconcilièrent pleinement avec eux, ils opposèrent mille entraves aux mesures réparatrices.

Tallien, Legendre, Barras, et tous ceux des anciens Montagnards qui dirigeaient cette majorité nouvelle, avaient pensé d'abord à prendre le nom de Cordeliers; mais répudiant promptement cette appellation odieuse, bien décidés du reste à ne reculer que jusqu'à la Gironde, et à faire aux royalistes purs et aux royalistes constitutionnels une guerre implacable, ils se firent appeler thermidoriens.

Les membres de la minorité terroriste conservèrent le nom de montagnards.

Aux thermidoriens se réunirent l'ancienne droite et l'ancien centre, qui, soutenus par la faveur publique, reprirent courage; Sieyès, qui se taisait depuis deux ans,

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recommença à se faire entendre, ainsi que Grégoire, Boissy-d'Anglas et d'autres.

La liberté fut rendue à la presse; la Convention s'attribua les pouvoirs de la commune de Paris et se chargea de gouverner la ville; les assemblées des sections ne purent plus avoir lieu que le décadi; et les quarante sous par jour que l'on donnait aux ouvriers pour leur assistance à ces assemblées furent supprimés.

Les prisons furent ouvertes, et, malgré l'opposition montagnarde, les innombrables détenus comme suspects furent relâchés; et comme Collot-d'Herbois s'en plaignait : « Nous avons, il est vrai, » lui dit Legendre, « pour déblayer les prisons, d'autres moyens que vous. » La loi du 22 prairial fut abolie; le tribunal révolutionnaire cessa presque de fonctionner et finit par être supprimé. Fouquier-Tinville fut mis en accusation. Les Montagnards parvinrent à faire durer son procès plus de huit mois; et il se crut même longtemps sûr de l'impunité : « Tout ce que j'ai fait, » disait-il à la Convention, « c'est vous qui me l'aviez ordonné. J'étais la hache de la Convention. Punit-on une hache? » Mais ils ne purent le sauver, non plus que la plupart des jurés et des juges du tribunal révolutionnaire, qui furent condamnés avec lui.

La réaction continuait rapidement, mais seulement dans le sens républicain. La voix publique criait vengeance contre ceux que l'on appelait buveurs de sang, et cette voix se faisait obéir. Les Thermidoriens repoussaient toute assimilation avec la Terreur et secondaient avec ardeur la réaction pour se laver de toute complicité avec Robespierre. Joseph Lebon, Carrier et les plus cruels d'entre ceux qu'on appelait les proconsuls, payèrent de leur tête l'abus qu'ils avaient fait de leur pouvoir.

Tout cela n'avait pas lieu sans que la Montagne et les Jacobins poussassent des cris de réprobation et de fureur. Ils accusaient la majorité d'être royaliste et aristocrate.

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