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redoutes et celui de l'artillerie légère jettent la confusion dans les rangs ennemis; les divisions commandées par l'archiduc Charles, frère de l'empereur, reviennent deux fois à la charge; deux fois elles sont repoussées avec une perte immense. Dans cette lutte acharnée, quelques-uns de nos bataillons se laissèrent un moment ébranler : ils demandaient la retraite. « Non, » dit Jourdan, « point de retraite aujourd'hui. » Ce cri répété retentit dans toute l'armée et devient le signal de la victoire. Les Français se précipitent à leur tour sur les ennemis, qui plient et opèrent précipitamment leur retraite.

Dans cette journée Jourdan, dignement secondé par Moreau, Kléber, Championnet, Lefebvre, rendit un service immortel à la patrie. Toute la France fut ivre de joie à la nouvelle du triomphe de Fleurus. Les fruits ne s'en firent pas attendre. Les garnisons autrichiennes des quatre places de Valenciennes, Condé, Landrecies, le Quesnoy, se rendirent à discrétion. Pichegru, Jourdan, Hoche, poussant toujours devant eux, l'un les Anglais et les Hollandais, l'autre les Autrichiens et les Allemands, le troisième les Prussiens, arrivent jusqu'au Rhin; toute la Belgique, toute la rive gauche du Rhin furent reconquises par les Français, qui en restèrent définitivement maîtres. En même temps, Dugommier et Moncey, vainqueurs des Espagnols, envahissaient l'un la Catalogne, l'autre la Biscaye.

Revenons à Paris et à la fameuse fête de l'Etre suprême. Le programme de cette fête avait été dressé par David, et Robespierre la présida, la Convention l'ayant, dans ce but, nommé son président à l'unanimité. La foule dès le matin était immense. Robespierre, qui s'était fait attendre longtemps, parut enfin au milieu de la Convention. Tous les yeux étaient fixés sur lui. Il avait un habit bleu-violet et, selon son usage, une tenue très-soignée. Son chapeau était couvert de plumes de grand prix, et il tenait à la main, comme

tous les représentants, un bouquet de fleurs et d'épis. Sur son visage, ordinairement sombre, éclatait la joie. Au milieu du jardin des Tuileries un amphithéâtre était dressé. La Convention l'occupa; à droite et à gauche étaient placés plusieurs groupes. Les enfants étaient couronnés de violettes, les adolescents de myrte, les hommes de chêne, les vieillards de pampres et d'olivier; les femmes tenaient leurs filles par la main et portaient des corbeilles de fleurs. Vis-à-vis de l'amphithéâtre étaient les images de l'Athéisme, de la Discorde et de l'Egoïsme, destinées à être brûlées.

Dès que la Convention eut pris place, la musique se fit entendre. Robespierre fit ensuite un premier discours sur l'objet de la fête. « Français républicains, » dit-il, « il est enfin arrivé le jour à jamais fortuné que le peuple français consacre à l'Étre suprême. Jamais le monde qu'il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l'imposture il voit dans ce moment une nation entière aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses vœux vers le grand Être qui lui donna la mission de les entreprendre et le courage de les exécuter! » Il termina son discours par ces mots significatifs : « Livrons-nous aujourd'hui aux transports d'une pure allégresse; et demain, reprenant nos travaux, nous frapperons avec une nouvelle ardeur sur tous les ennemis de la patrie.

Ces derniers mots glacèrent d'épouvante quelques-uns de ceux qui les entendirent. Après ce discours, Robespierre descend de l'amphithéâtre et, prenant une torche, met le feu aux trois images. Du milieu de leurs cendres paraît la statue de la Sagesse. Robespierre retourne à sa place et prononce un second discours sur l'extirpation des vices ligués contre la république. Puis on se dirige vers

le champ de Mars. Robespierre affectait de marcher très en avant de ses collègues.

Au champ de Mars, avait été élevée, sur l'emplacement de l'ancien autel de la patrie, une immense montagne, au sommet de laquelle était un arbre : la Convention s'assied sous ses rameaux. De chaque côté de la montagne se placent les différents groupes ; une symphonie commence; les groupes chantent ensuite des strophes dont Joseph Chénier avait fait les vers et Méhul la musique. A un signal donné, les adolescents tirent leurs épées et jurent, dans les mains des vieillards, de défendre la patrie, les mères enlèvent leurs enfants dans leurs bras, tous les assistants lèvent les mains vers le ciel; et les serments de vaincre ou de mourir se mêlent à la décharge de cinquante pièces d'artillerie. La fête se termina par des jeux publics.

Le lendemain, on eut l'explication des paroles de Robespierre. Par son ordre et au nom du Comité de salut public, fut proposée par Couthon une loi qui aggravait encore le système de la Terreur : c'est ce qu'on appela la loi du 22 prairial. Le premier article supprimait les défenseurs auprès du tribunal révolutionnaire. La Montagne ne demandait pas mieux; mais un second article lui fit peur : il donnait implicitement au Comité de salut public le droit de faire arrêter les représentants sans l'autorisation de l'Assemblée. Un Montagnard s'écria : « Mais si cette loi passe, il ne reste plus aux députés qu'à se brûler la cervelle! » Un murmure favorable accueillit ces paroles. Barrère dit avec un froid mépris : « On murmure, je crois. » Robespierre voulut que la loi fût votée séance tenante, et elle le fut. Bourdon, se croyant désigné par une sortie violente de Robespierre contre les intrigants qui avaient voulu désunir la Montagne, se récria. Robespierre, lui lançant un froid regard : « Je n'ai pas nommé Bourdon; malheur à qui se nomme! » Personne ne dit mot.

Mais les membres du Comité de salut public, qui inspi

raient une telle frayeur aux autres Montagnards, se faisaient peur aussi les uns aux autres. Billaud-Varenne et Collotd'Herbois craignaient que Robespierre ne leur fît éprouver le sort de Danton. Robespierre leur laissa soupçonner son mépris, et parut s'irriter de quelques contradictions qu'il eut à subir de leur part. Il devint moins assidu au Comité, sans cesser pourtant de diriger les opérations du tribunal révolutionnaire. Il ne se plaisait plus qu'aux séances des Jacobins, où on l'encensait continuellement et où bientôt Collot et Billaud n'osèrent plus paraître. Tout faisait présager que ces hommes, qui s'inspiraient mutuellement une peur affreuse, allaient se jeter les uns sur les autres et s'entre-déchirer.

XXXI

FIN DE LA TERREUR. JOURNÉE DU 9 THERMIDOR AN II.
(27 JUILLET 1794.)

:

Depuis l'adoption de la loi du 22 prairial, les Montagnards, comme je l'ai dit, étaient en proie à de mortelles alarmes le sort de Danton, celui de Chabot et de tant d'autres, leur présageaient le leur. Ils ne dormaient plus. Enfin ils commencèrent à s'encourager mutuellement, à conspirer dans l'ombre, à déployer pour leur propre salut cette énergie dont ils avaient si souvent fait usage pour la perte de leurs ennemis. Le péril devenait plus pressant de jour en jour. Robespierre était de plus en plus sombre; la plus légère contradiction excitait sa haine. Il cessa tout à fait de paraître au Comité de salut public. Se renfermant souvent avec Saint-Just et Couthon, souvent en relation avec Henriot et les autres meneurs de la Commune, remplissant ou faisant remplir de motions menaçantes la tribune des Jacobins, évidemment il préparait un grand coup contre tout ce qui restait de notabilités révolutionnaires.

Ceux qui se croyaient menacés l'observaient, épiaient toutes ses démarches et se préparaient à l'attaquer luimême. Tallien, qui avait suspendu à Bordeaux le cours de ses atrocités pour complaire à une belle et charmante femme, Mme de Fontenay, dont il était devenu amoureux, apprit avec autant d'épouvante que de fureur que, par ordre de Robespierre, Mme de Fontenay venait d'être incarcérée à Paris. Elle put lui faire parvenir une lettre, dans laquelle elle faisait appel à ses sentiments. Il jura de la sauver, et de sauver aussi tous ces hommes si semblables à Robespierre, dont Robespierre méditait la perte.

Leur haine cependant se cachait sous les dehors de la flatterie la plus empressée. Seulement, Billaud tâcha sous main de porter atteinte à sa popularité. Voici comment :

Dans un misérable logement sous les toits, entourée de prosélytes ou niais à demi aliénés, une vieille femme racontait des visions, des révélations mystérieuses dont elle se prétendait honorée. Elle s'appelait Catherine Théot, qu'elle avait changé en Théos, nom grec qui lui donnait le prétexte de se faire appeler la mère Dieu ou la mère de Dieu. Elle était secondée par Gerle, cet ancien chartreux qui avait été membre de l'Assemblée constituante. C'était un homme fort doux, mais dont vraisemblablement la raison s'était un peu altérée, dans le passage de sa solitude à des scènes si tumultueuses. Ces gens-là, probablement par peur et pour n'être pas inquiétés, affichaient un grand dévouement à Robespierre, qui peut-être espérait se servir d'eux. Billaud, pour nuire à Robespierre sans se compromettre, chargea un des membres du comité de sûreté générale, Vadier, de faire passer cette assemblée de visionnaires pour une assemblée de conspirateurs.

Robespierre eut à dévorer le déplaisir de voir arrêter sans oser les défendre ces gens qui affichaient pour lui un dévouement fanatique. Vadier pressait leur supplice; Robespierre voyait dans cette insistance une attaque dégui

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