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Par cette déclaration elle s'attribuait une dictature absolue., dont elle confiait l'exercice à son Comité de salut public.

Et toute cette puissance était exercée en son nom dans les départements par les Conventionnels qu'elle y envoyait, et qui, sous le nom de représentants du peuple en mission, eurent tous les droits, y compris celui de vie et de mort.

Le régime auquel la France fut alors soumise, sous la domination du Comité de salut public, a reçu le nom de Terreur. Avant d'en esquisser le tableau, je dois dire quel fut le sort de la famille royale.

XXVIII

CATASTROPHES DE LA FAMILLE ROYALE.

Six mois après la mort du roi, deux mois après la chute des Girondins, dans la nuit du 1er au 2 août 1793, la reine, dont Robespierre et la Commune avaient depuis longtemps décidé la mort, fut enlevée de la tour du Temple. A peine eut-elle le temps de serrer une dernière fois dans ses bras sa fille et sa sœur, qui tombèrent évanouies sur le plancher. On la transporta à la Conciergerie, prison annexée au palais de Justice. Dans sa chambre, elle fut gardée par deux gendarmes, qu'un simple paravent séparait d'elle, et continuellement soumise aux visites des commissaires de la Commune.

Elle avait déjà passé ainsi deux mois, lorsque, sur la demande de Robespierre, un décret enjoignit au tribunal révolutionnaire de s'occuper sans délai et sans interruption du procès de la veuve du ci-devant roi. Malgré tout leur zèle, les magistrats, obligés de chercher partout des témoins, ne purent être prêts qu'au bout de dix jours; la reine, conduite le 12 septembre 1793, à sept heures du

soir, dans la grande salle, qu'éclairaient seulement des bougies placées sur la table du greffier, fut interrogée par Fouquier-Tinville, célèbre accusateur public auprès de ce tribunal. Cet interrogatoire devait être secret, et cependant la reine reconnut au milieu de la pénombre qu'il se trouvait là beaucoup de spectateurs qui gardaient le plus profond silence. *

Les questions furent telles qu'un pareil homme devait les faire. La reine répondit avec calme et fermeté, quoique la présence de tant de spectateurs la préoccupât visiblement elle pensait peut-être que parmi eux quelques amis pouvaient être cachés.

Son jugement fut fixé au surlendemain. On lui demanda qui elle voulait pour défenseur : elle n'en voulut aucun. Le tribunal lui en donna deux d'office.

Ce tribunal était formé d'un président, de trois juges et de Fouquier-Tinville; le jury était ainsi composé un membre de la dernière Assemblée législative, Antonelle, ci-devant marquis; un chirurgien; un homme dont la position sociale n'est pas indiquée; un perruquier, un ouvrier imprimeur, un peintre en bâtiments, deux tailleurs d'habits, un ex-huissier, un menuisier, un charpentier et un serrurier.

Interrogée sur ses noms, âge et profession, la reine répondit :

« Marie-Antoinette de Lorraine-Autriche, âgée d'environ trente-huit ans, veuve du roi de France. »

Et sur sa demeure :

« Dans le lieu des séances de l'Assemblée nationale lors de mon arrestation. »

Reproche trop fier et trop délicat pour que ses auditeurs pussent le comprendre.

L'acte d'accusation, œuvre de Fouquier-Tinville, lui reprochait une infinité de crimes, comme d'avoir épuisé, en faveur de l'empereur son frère, les trésors de la France;

d'avoir accaparé le blé pour affamer Paris; d'avoir fermé au public le jardin des Tuileries, d'intelligence avec son ami Lafayette, après son retour de Varennes; et surtout d'avoir ourdi contre le peuple l'horrible conspiration du 10 août, qui n'avait échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes, et d'avoir ce jour-là dans sa fureur saisi des cartouches et mordu des balles.

Les témoins, appelés au nombre de 40, étaient dignes pour la plupart de déposer devant de tels juges. L'un a ouï dire qu'en 1783, Joseph II, faisant la guerre aux Turcs, avait reçu de sa sœur plus de 200 millions; à l'autre, on a appris que la reine avait résolu de tuer le duc d'Orléans, que le roi la fit fouiller et qu'on trouva sur elle un pistolet; un autre, homme complétement inconnu, dépose que trois particuliers sont venus chez lui pour l'assassiner de la part de Marie-Antoinette; d'après les dires d'un autre, la reine et le comte d'Artois avaient formé le dessein de faire sauter la salle de l'Assemblée constituante.

Des témoins d'une autre sorte furent entendus: LatourDupin, ancien ministre, Valazé, Manuel, Bailly; ceux-là, comme on le pense bien, ne chargèrent point l'accusée.

La déposition qui produisit le plus de sensation fut celle du comte d'Estaing, célèbre par ses victoires navales, qui commandait la garde nationale de Versailles, lors des journées des 5 et 6 octobre, déposition que les historiens lui ont bien à tort reprochée, car le langage qu'il tint, calculé d'après la nécessité du moment, était aussi favorable à la reine en réalité qu'hostile en apparence. Un des griefs qu'on faisait le plus valoir contre Marie-Antoinette était d'avoir voulu émigrer le 5 octobre. Interrogé d'abord sur ses qualités, d'Estaing répond a Matelot et soldat. N'avez-vous pas d'autres qualifications militaires? Celles-là sont les premières de toutes: je suis vice-amiral et lieutenant général des armées de terre.» Quant à ce qui concerne la reine, il répondit : « L'accusée a em

pêché que je ne fusse maréchal de France; je la déteste. Mais vous voulez la vérité; je vous la dirai : j'ai entendu des conseillers de cour dire à l'accusée que le peuple de Paris allait arriver pour la massacrer, et qu'il fallait qu'elle partit; à quoi elle répondit avec un grand caractère : « Si les Parisiens viennent pour m'assassiner, c'est auprès de mon mari que je serai; je ne fuirai pas. »

«

Ici l'historien est contraint d'ajouter que l'on entendit aussi Hébert, autrement dit le Père Duchêne, substitut du procureur de la Commune; il apportait, dit-il, des preuves de la conspiration d'Antoinette. Il avait trouvé au Temple un livre d'église à elle appartenant, dans lequel était un cœur enflammé, traversé par une flèche, avec ces mots au-dessous Jesu, miserere mei. Seconde preuve, fait important: A table, Louis-Charles occupait la place d'honneur, et sa mère et sa tante voulaient qu'il fût servi avant

elles.

Je continue, malgré l'horreur que j'éprouve, car il faut bien que le lecteur sache jusqu'où la perversité fut poussée. Il est un vice que la nature abhorre et qui tue l'enfance. Hébert déclara au tribunal que Louis-Charles avait ce vice et que c'était sa mère et sa tante qui le lui avaient donné, parce que, espérant qu'il deviendrait roi, elles voulaient l'énerver et l'hébéter d'avance, afin de régner.

sous son nom.

Cela fut dit par Hébert, en termes cyniques, à la lumière du jour, en plein tribunal; et comme la reine, interrogée sur la déposition de cet homme, n'avait répondu que relativement au cœur enflammé et aux autres indices de conspiration, un juré dit :

« Citoyen président, je vous invite à faire observer à l'accusée qu'elle n'a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert, relativement à ce qui s'est passé entre elle et son fils. »

Et le président fit l'interpellation.

La reine dit « Si je n'ai pas répondu, c'est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. »

Le compte rendu du procès dit qu'en ce moment elle parut vivement émue; et je pense bien que de son cœur si ferme des larmes montèrent jusque dans ses yeux, car on avait fait signer par force à son enfant une dénonciation contre elle. Mais ce fut, pendant cet affreux débat de près de vingt heures consécutives, la seule marque d'émotion qu'elle donna.

Toutes ses réponses étaient articulées avec une fermeté sereine, et elle avait l'air de juger ses juges.

Voici quelques-unes des questions et des réponses :

«Il est notoire que vous avez fait une visite aux corps armés qui se trouvaient à Versailles, pour les engager à défendre ce que vous appeliez les prérogatives du trône. — Je n'ai rien à répondre.

« Ne teniez-vous pas des conciliabules nocturnes où assistait la Polignac? -Je n'ai jamais assisté à aucun conciliabule.

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« Il est prouvé que vous faisiez faire au ci-devant roi ce que vous voulez. Il y a loin de conseiller une chose à

la faire exécuter.

« Vous avez disposé de son caractère faible pour lui faire exécuter de bien mauvaises choses.

jamais connu le caractère dont vous parlez.

Je ne lui ai

<< N'avez-vous pas dit à Michonis, membre de la municipalité, que vous craigniez qu'il ne fût pas réélu? Oui.

«

Quels étaient les motifs de vos craintes à cet égard? - C'est qu'il était humain envers les prisonniers. »

Elle fut beaucoup et vainement questionnée au sujet d'un incident qui avait éveillé des soupçons. Un jeune homme, introduit par Michonis, était entré dans sa prison et lui

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