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La Convention prononce l'exception.

« Il convient, » dit Couthon, « d'avoir égard à la suspension offerte par Isnard et par Fauchet; sans les mettre en arrestation, on leur interdira de sortir de Paris. » La Convention décrète qu'il en sera ainsi.

« N'oubliez pas, » dit Marat, « qu'il faut rayer de la liste Dussault, Lanthenas et Ducos, et y ajouter Frémont et Valazé. »

La Convention décrète que les trois premiers noms seront supprimés et les deux derniers ajoutés.

Il fut décidé que tous les représentants mis ainsi en état d'arrestation seraient gardés dans leur propre domicile par des gendarmes.

Ces événements se passaient le 2 juin, quatre mois après la mort de Louis XVI et deux mois après la défection de Dumouriez.

Ainsi disparut la Gironde, laissant la France en proie aux Jacobins.

Voici les noms insérés dans le décret :

D'abord les Vingt-deux (moins Isnard et Fauchet): Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Péthion, Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Birotteau, Lidon, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Frémont, Valazé.

Puis les Douze, ou plutôt les Treize, réduits à onze : Kervelegan, Gardien, Rabaut-Saint-Etienne, Boileau, Bertrand, Laherdinière, Vigée, Mollevault, Henri Larivière, Gommaire, Bergoing; puis Clavière et Lebrun, anciens ministres.

Plus tard, Condorcet, Vérité et quelques autres. Roland fut aussi décrété d'accusation; il s'échappa.

La séance finit à dix heures du soir, au milieu des cris de joie de la population insurgée.

Soixante-treize membres indignés, s'étant secrètement réunis, rédigèrent sur-le-champ une protestation contre

les décrets du 2 juin et la déposèrent en lieu sûr; puis ils continuèrent d'assister aux séances sans jamais prendre la parole ni exprimer un avis quelconque, laissant la Montagne et la portion de la Plaine devenue son appoint délibérer et gouverner.

Dès lors la toute-puissance nationale fut concentrée entre les mains du Comité de salut public, que l'on composa exclusivement de Montagnards. Tous les mois on renommait les mêmes pour conserver au gouvernement de l'unité et de la suite, et aussi parce qu'on avait peur d'eux. Danton, que le travail ennuyait, ne voulut pas longtemps en faire partie. Son énergie semblait s'être épuisée; depuis la chute des Girondins, il parut s'endormir dans sa victoire et dans les délices d'un second mariage. Robespierre régnait; son nom seul avait un incroyable prestige. Il ne changea rien à ses habitudes et continua de vivre dans la maison d'un menuisier, dont la famille veillait à sa sûreté avec un entier dévouement. Tandis que les autres Montagnards affectaient de porter le bonnet rouge, un costume d'homme du peuple et les cheveux courts, lui conservait les cheveux longs et poudrés de l'ancien régime et s'habillait comme avant la Révolution. Jamais les mots de mort ou de guillotine ne sortaient de sa bouche; il disait seulement de ceux qu'il proscrivait : « Il faut les mettre en jugement.

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XXVII

DEPUIS LA CHUTE DES GIRONDINS JUSQU'A L'ÉTABLISSEMENT
DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE.

Pendant que ces événements se passaient à Paris, la guerre de la Vendée prenait un développement immense. Cette guerre, que l'on a surnommée une guerre de géants,

et qui avait lieu en même temps sur tous les points du territoire insurgé, était fertile en incidents extraordinaires, en aventures inouïes. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que des deux côtés l'on fut inviolablement fidèle à son drapeau. L'un des plus cruels ennemis des Vendéens, le général Turreau, l'inventeur des colonnes infernales, dit dans ses Mémoires : « Il est sans exemple qu'un royaliste ait trahi son parti, même involontairement. » Il dit encore : « Nos victoires nous rapportaient peu de fruit, tandis que nos défaites nous causaient un mal horrible. Dans nos victoires, peu de monde était tué parmi les rebelles, qui nous en tuaient beaucoup dans nos défaites. Les rebelles vainqueurs gagnaient de l'artillerie, de la poudre et des fusils; maîtres du champ de bataille à notre tour, nous n'y trouvions que des sabots. »

Le premier exploit de l'armée royale et catholique de la haute Vendée fut la prise de Thouars. Elle prit ensuite Fontenay, malgré les efforts de Marceau. Cependant les Vendéens ne purent jamais se maintenir dans les villes, dont la population était aussi favorable à la cause révolutionnaire que celle des campagnes lui était hostile.

Enflammés par leurs succès, ils attaquent Saumur, ils s'en emparent; le château se rend à eux. Maîtres du cours de la Loire, ils passent le fleuve, et s'ils eussent marché sur Paris, peut-être eussent-ils obtenu de grands résultats; car aucune ville sur leur route ne pouvait résister. Ils aimèrent mieux traverser Angers et marcher sur Nantes.

Pour défendre Nantes, le général Canclaux avait cinq mille hommes de bonnes troupes de ligne, et des gardes nationales qui les égalaient en bravoure. Il résista avec autant d'habileté que de courage. Mais déjà les Vendéens s'étaient avancés dans un des faubourgs, lorsque leur général en chef, Cathelineau, fut frappé mortellement d'une balle; ses soldats consternés l'emportèrent et se dispersè

rent. Le combat avait duré quinze heures. Ils se hâtèrent de repasser la Loire et de retourner dans leur pays.

Cependant cet échec n'abattit point leur courage. Ils prirent l'offensive contre trois armées républicaines qui avaient été envoyées contre eux; à Châtillon et à Vihiers ils furent vainqueurs.

Enhardis par tant de succès, ils eurent l'imprudence, au nombre de 40 000, d'attaquer les républicains en plaine, auprès de Luçon; écrasés par l'artillerie de leurs ennemis, ils perdirent la leur et se dispersèrent. Cet événement ranima le courage des républicains, qui envahirent leur pays. Les républicains, par ordre de la Convention, devenue complétement montagnarde et jacobine, faisaient la guerre avec une cruauté excessive, que les Vendéens imitèrent bientôt, sans cependant l'égaler.

Pour désigner les Vendéens, les républicains disaient les brigands; pour désigner leurs ennemis, les Vendéens disaient les bleus.

Cependant, à Paris, la Montagne et la Commune, satisfaites de leur victoire, n'exerçaient pas une très-grande surveillance sur les députés captifs; quelques-uns parvinrent à s'échapper, et, dans l'espoir d'opérer un soulèvement, ils s'enfuirent à Caen, ville qui avait toujours paru dévouée à la Gironde. C'étaient Buzot, Barbaroux, Péthion, Lanjuinais et quelques autres. Ils espéraient que les départements allaient tous à la fois prendre les armes en leur faveur. Ils se trompaient. Partout, à la nouvelle des événements du 2 juin, il y avait eu de l'étonnement, de l'indignation; mais tout ce qui était jeune et ardent se rendait en foule aux armées, et presque tous les autres, craignant de compromettre le sort de la France par une nouvelle guerre civile dans des circonstances si critiques, se résignèrent à la victoire de la Montagne, la secondèrent même. Il y eut cependant quelques mouvements à Bordeaux, à Marseille et dans plusieurs autres villes du Midi.

En général tout se borna à des délibérations de directoires de département et à des adresses échangées entre eux. Lyon seul était profondément irrité et se préparait à une guerre ouverte; mais dans cette grande ville le feu couvait encore sous la cendre, on avait en horreur, non-seulement les Jacobins, mais la Convention tout entière, et l'on se souciait peu de prendre les armes pour la Gironde.

Ce fut seulement dans le Calvados et dans l'Eure que le mouvement girondin eut de l'importance. Les autorités de Caen accueillirent les fugitifs et se déclarèrent en leur faveur. Le général Wimpfen, qui s'était illustré par la défense de Thionville contre les Prussiens, prit parti pour les Girondins et organisa une petite armée. Au premier bruit de ce mouvement, un chef royaliste, Puisaye, qui dirigeait la chouannerie en Bretagne, accourut à Caen et se réunit à Wimpfen.

Ce mélange de royalistes et de Girondins n'inspirait aux autres départements aucune confiance; ils laissèrent Puisaye et Wimpfen marcher seuls sur Paris avec trois ou quatre mille hommes.

Arrivés en désordre devant Vernon, et reçus vigoureusement par la gendarmerie et l'artillerie, ils prennent la fuite, se dispersent; et bientôt toute cette troupe disparut; les chefs se sauvèrent en Angleterre.

Les députés fugitifs se dispersèrent et cherchèrent un asile dans le Midi. Avant qu'ils eussent quitté Caen, une jeune et belle personne, nommée Charlotte Corday, était sortie de cette ville pour exécuter un projet dont elle n'avait confié le secret à personne. Dans ses fréquentes conversations avec les députés fugitifs et surtout avec Barbaroux, elle entendait sans cesse nommer Marat comme l'auteur de tous les maux de la France; passionnée pour la patrie et la liberté, elle crut qu'elle sauverait la Gironde et la France en tuant Marat.

Elle partit donc pour Paris dans cette intention. Arrivée

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