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dire qu'il vint se joindre à eux, il fit répondre qu'il était malade.

Le mardi 23, à l'heure indiquée pour cette fatale séance, les rues de Versailles étaient déjà remplies d'une foule nombreuse accourue de Paris. L'anxiété était peinte sur les visages. Un grand appareil militaire était déployé. Autour de la salle, de nombreux détachements en armes dispersaient tous les groupes qui voulaient se former. Les députés arrivent. Ceux du clergé et de la noblesse sont admis sur-le-champ on ferme la porte à ceux des communes. « L'étiquette, » dit le maître des cérémonies, « ne permet pas que le tiers état soit introduit avant que les deux autres ordres soient placés. » Il tombait alors une forte averse. Les députés des communes sont obligés de se réfugier sous un immense hangar. Leur mécontentement éclatait par des signes non équivoques. Mirabeau dit à Bailly Monsieur le président, conduisez la nation audevant du roi. » Bailly déclara au maître des cérémonies qu'il allait se retirer avec ses collègues, si on ne leur ouvrait pas les portes; on les ouvre enfin.

Ensuite vint le roi avec son cortége; sur son passage la foule l'accueillit par un silence auquel il n'était pas encore

accoutumé.

Dans son discours, Louis se plaint sans amertume des dissensions entre les trois ordres, dissensions qui arrêtent tout le bien qu'on attendait de leur convocation; il veut y

mettre un terme.

A cet effet, il fait lire, par un de ses ministres, une déclaration portant règlement pour la tenue des états généraux. Par ce règlement, il maintient la distinction des trois ordres, qui pourront néanmoins, sur les affaires générales, délibérer en commun; il casse, comme illégales et inconstitutionnelles, les décisions prises par le tiers état dans la journée du 17; il lui défend de s'appeler Assemblée nationale; il interdit la publicité des séances; il déclare

valides tous les pouvoirs vérifiés dans les chambres séparées; il annule ce que les divers mandats peuvent avoir d'impératif, déclarant que ce sont de simples instructions confiées à la conscience et à la libre opinion des députés. dont on a fait choix.

Reprenant la parole, le roi annonce qu'il va faire lire une seconde déclaration, celle des bienfaits qu'il accorde à ses peuples. « Je puis dire que jamais roi n'en a autant fait pour aucune nation. Mais quelle autre peut l'avoir mieux mérité que la nation française? »

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On lit ensuite cette déclaration. Je ne l'analyse pas. A quoi bon copier ces feuillets sitôt dispersés par l'orage? Qu'il me suffise de dire que presque tout ce qu'on appelle les principes de 89, presque tout ce que la nation demandait, est accordé et consacré dans cette déclaration, dont le rédacteur n'avait fait qu'interpréter les sentiments personnels de Louis XVI.

Il ajouta ensuite quelques mots : « Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C'est moi qui, jusqu'à présent, ai fait tout le bonheur de mes peuples; et il est rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits. » Et il termina ainsi : « Je vous ordonne, messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. >>

Il part avec son escorte, laissant le grand maître des cérémonies, Dreux-Brézé, dans la salle; toute la noblesse, tous les prélats le suivent. Les membres des communes, et presque tous les curés qui avaient opéré leur réunion la veille, restent cloués sur leurs bancs, silencieux et profondément émus. Toutes les réformes désirées venaient d'être promises. Qu'obtiendrait-on de mieux en se lançant dans les hasards d'une guerre ouverte contre l'autorité

royale? Quelques volontés semblaient irrésolues. Mirabeau les entraîne.

« Messieurs,» s'écrie-t-il, «j'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie, si les présents du despotisme n'étaient toujours dangereux. C'est de nous, messieurs, de nous seuls que vingt-cing millions d'âmes attendent un bonheur certain, parce qu'il doit être consenti, donné et reçu par tous. Je demande qu'en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre serment; il ne nous permet de nous séparer qu'après avoir fait la Constitution. »

Oui,

Un assentiment unanime accueille ces paroles. DreuxBrézé attendait avec impatience que les députés partissent. Les voyant fermes à leur poste, il s'avance vers eux: « Messieurs, » dit-il, « vous avez entendu les ordres du roi.» C'est Mirabeau qui se charge de lui répondre : « monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au roi; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des états généraux, vous qui n'avez ici ni place ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je déclare que, si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force. Nous sommes ici par la volonté du peuple; nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes. >> Une acclamation générale se fait entendre: « Oui, oui!» << Monsieur, dit Bailly à Brézé d'une voix calme, « l'Assemblée a arrêté hier qu'elle resterait séance tenante après la séance royale. Je ne puis séparer l'Assemblée avant qu'elle en ait délibéré elle-même. - Puis-je porter cette réponse au roi? Oui, monsieur. »>

Brézé se retire. Barnave propose de décider que l'Assemblée persiste dans ses précédents arrêtés et continue de s'appeler Assemblée nationale.

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Oui, messieurs, » dit Siéyès, « nous l'avons juré, et notre serment ne sera pas vain; nous avons juré de rétablir le peuple français dans ses droits. L'autorité qui vous a institués pour cette grande entreprise, de laquelle seule nous dépendons et qui saura bien nous défendre, est, certes, loin encore de nous crier : « C'est assez, arrêtez« vous. » Au contraire, elle nous presse et nous demande une constitution; et qui peut la faire sans nous? qui peut la faire, si ce n'est nous? Messieurs,» ajoute Siéyès en descendant de la tribune, « vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier! »

Ce discours est couvert d'applaudissements. On prend les voix, et l'Assemblée nationale déclare unanimement qu'elle persiste dans ses précédents décrets.

Mirabeau, transporté de joie : « C'est aujourd'hui que je bénis la liberté de ce qu'elle mûrit de si beaux fruits dans l'Assemblée. Assurons notre ouvrage, en déclarant inviolable la personne des députés aux états généraux. Ce n'est pas manifester une crainte, c'est agir avec prudence; c'est un frein contre les conseils violents qui assiégent le trône. »

Après un court débat, cette motion est adoptée, et l'Assemblée se sépare après avoir formulé le décret suivant :

« L'Assemblée nationale déclare que la personne de chaque député est inviolable; que tous particuliers, toutes corporations, tribunal, cour ou commission, qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raisons d'aucunes propositions, avis, opinions, ou discours par lui faits aux états généraux; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu'ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crimes capitaux. L'Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra

toutes les mesures nécessaires pour rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs. »

Cette fière déclaration, cette réponse hardie aux ordres que le roi venait de donner imprudemment de sa propre bouche, étaient l'expression de la volonté générale de la France; c'était l'émancipation du tiers état; et cette émancipation, c'était un membre de la noblesse, Mirabeau, un membre du clergé, Siéyès, qui venaient de la prononcer.

Paris s'était associé à ce mouvement de l'Assemblée avec une sorte de frénésie : « On ne peut peindre, » dit une publication de cette époque,« le frissonnement qu'avait éprouvé la capitale à ce seul mot: Le roi a tout cassé. Je sentais du feu qui couvait sous mes pieds; il ne fallait qu'un signe, et la guerre civile éclatait. »

Louis XVI ne voulut pas employer la force contre l'Assemblée: il répugnait à toute mesure violente; et quand, après la séance royale, Dreux-Brézé vint lui rendre compte de ce qui se passait, il répondit seulement : « Eh bien! puisque ces messieurs ne veulent pas sortir de leur salle, qu'on les y laisse. »

La résistance de l'Assemblée aux ordres formels du roi avait étonné la cour et l'avait atterrée. L'attitude du peuple, à Versailles, lui donnait aussi beaucoup à penser. Une population énorme ne cessait d'assiéger l'hôtel des Etats, provisoirement interdit au public, ébranlait les portes de la grande salle, et ne se dissipait que sur les prières de quelques députés. L'archevêque de Paris, traversant cette foule, est reconnu; on l'attaque, on le poursuit jusque chez lui à coups de pierres, on veut l'arracher de sa demeure; on ne le laisse tranquille que lorsqu'il a promis de se réunir à l'Assemblée nationale; ce qu'il fit en effet dès le lendemain, avec Talleyrand, évêque d'Autun; quarantesept membres de la noblesse, ayant à leur tête le duc

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