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tour, comme pour dire encore adieu à ceux qu'elle renfermait. A l'entrée de la seconde cour se trouvait une voiture; le roi se plaça dans le fond avec Edgeworth; deux gendarmes se placèrent dans la voiture sur le devant. On partit.

J'extrais ce qui suit d'une relation simple et touchante qu'a écrite l'abbé Edgeworth :

« La marche dura près de deux heures; toutes les rues étaient bordées de plusieurs rangs de citoyens armés de piques et de fusils. En outre, la voiture elle-même était entourée d'un corps de troupes imposant, et formé, sans doute, de tout ce qu'il y avait de plus corrompu dans Paris. Pour comble de précaution on avait placé, en avant des chevaux, une multitude de tambours, afin d'étouffer par ce bruit les cris qui auraient pu se faire entendre en faveur du roi. Mais comment en aurait-on entendu? Personne ne paraissait ni aux portes ni aux fenêtres, et on ne voyait dans les rues que des citoyens armés, qui tous, au moins par faiblesse, concouraient à un crime que, peutêtre, ils détestaient dans leur cœur.

<< La voiture parvint ainsi dans le plus grand silence jusqu'à la place Louis XV, et s'arrêta au milieu d'un grand espace vide qu'on avait laissé autour de l'échafaud; cet espace était bordé de canons; et au delà, tant que la vue pouvait s'étendre, on voyait une multitude en armes. « Dès que le roi sentit que la voiture n'allait plus, il se retourna et me dit à l'oreille : « Nous voilà arrivés, si je « ne me trompe. » Mon silence lui répondit que oui. Un des bourreaux vint aussitôt lui ouvrir la portière; mais le roi les arrêta, et, appuyant la main sur mon genou, il leur dit d'un ton de maître : « Je vous recommande monsieur que voilà; ayez soin qu'après ma mort il ne << lui soit fait aucune insulte; je vous charge d'y veiller. » « Dès que le roi fut descendu de voiture, trois bourreaux l'entourèrent et voulurent lui ôter ses habits; mais il les

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repoussa avec fierté et se déshabilla lui-même. Il défit également son col, sa chemise, et s'arrangea de ses propres mains. Les bourreaux, que la contenance fière du roi avait déconcertés un moment, semblèrent alors reprendre de l'audace; ils l'entourèrent de nouveau et voulurent lui lier les mains. Le roi s'y refusait; ils insistèrent. Se retournant vers moi, il me regarda comme pour me demander conseil.

« Sire, lui dis-je avec larmes, dans ce nouvel outrage je ne vois qu'un nouveau trait de ressemblance entre « Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense.

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« Les marches qui conduisaient à l'échafaud étaient extrêmement roides à monter. Le roi fut obligé de s'appuyer sur mon bras, et, à la peine qu'il semblait prendre, je craignis un instant que son courage ne commençât à mollir mais quel fut mon étonnement lorsque, parvenu à la dernière marche, je le vis s'échapper pour ainsi dire de mes mains, traverser d'un pas ferme toute la largeur de l'échafaud, imposer silence, par un seul regard, à quinze ou vingt tambours qui étaient placés vis-à-vis de lui, et, d'une voix si forte qu'elle dut être entendue au Pont-Tournant, prononcer ces paroles à jamais mémorables « Je meurs innocent de tous les crimes qu'on « m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne re<< tombe jamais sur la France. »

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« Il en aurait dit davantage et allait sans doute recommander à la nation sa femme et ses enfants, lorsque Santerre, furieux, ordonna un roulement de tambours qui couvrit sa voix.

« A dix heures vingt minutes, tout était accompli. » L'abbé Edgeworth, au moment suprême, lui avait dit ces paroles « Fils de saint Louis! montez au ciel. »

Immédiatement les restes mortels de Louis XVI furent portés au cimetière de la Madeleine et déposés dans une

large et profonde fosse, remplie et recouverte de chaux vive. Ce lieu a été converti, vingt-deux ans plus tard, en une enceinte sacrée ; là s'élève une chapelle expiatoire où a été recueilli tout ce qu'on a retrouvé de ces cendres calcinées.

La Convention plaça l'anniversaire du 21 janvier au rang des fêtes nationales, et cette fête fut célébrée avec de grandes réjouissances pendant six ans, c'est-à-dire tant que la Convention régna soit sous son propre nom, soit sous le nom de Directoire.

L'abbé Edgeworth, devenu aumônier de Louis-Stanislas sur la terre d'exil, mourut saintement quelques années après, en soignant les malades pendant une épidémie.

Cléry mourut à la même époque après le 21 janvier, il avait été renfermé dans une étroite prison, d'où il sortit à la chute de Robespierre.

Les émigrés proclamèrent roi le jeune captif du Temple sous le nom de Louis XVII; Louis-Stanislas fut reconnu régent en son nom.

Le soir du supplice, à la Convention et aux Jacobins, on disait : « Nous venons de jeter le gant aux rois de l'Europe. » En effet, l'Angleterre et presque toutes les puissances du continent se liguèrent avec l'Autriche et la Prusse, en apparence pour venger la mort de Louis XVI, en réalité pour déchirer la France et en partager les lambeaux.

A la guerre extérieure se joignit la guerre civile, qui éclata alors en Vendée.

Le courage et la constance de la nation française triomphèrent de tout, et jetèrent un éclat immortel, dont la Convention a voulu se couronner; mais l'histoire n'y consent pas, et ne lui attribue en propre que le 21 janvier et d'autres œuvres, que nous allons voir.

XXV

DEPUIS LA MORT DE LOUIS XVI JUSQU'A LA DÉFECTION
DE DUMOURIEZ.

Deux jours avant le supplice de Louis XVI, Kersaint et Manuel envoyèrent leur démission. Kersaint disait dans sa lettre « Si l'amour de mon pays m'a fait endurer le malheur d'être le collègue des promoteurs des assassinats du 2 septembre, je veux sauver ma mémoire du reproche d'avoir été leur complice. »

Les Montagnards, furieux, demandèrent que Kersaint fût sommé de venir à la barre prouver qu'il y avait des assassins dans l'Assemblée, et que les deux représentants démissionnaires fussent déclarés infâmes et traîtres à la patrie. Cette demande fut rejetée. Alors la Gironde, se flattant que son vote de mort l'avait rendue populaire, crut pouvoir tenter avec succès une nouvelle attaque contre les Montagnards; après une courte discussion, dans laquelle l'un de ses chefs, Brissot, ne désigna Louis XVI que par ces mots, un être execrable, elle s'expliqua ainsi par l'organe de Gensonné :

<< La Convention doit joindre deux mesures vraiment dignes de sa sollicitude. Avoir puni le tyran, ce n'est avoir fait que la moitié de notre devoir; le complément de la sagesse sera de poursuivre avec toute la rigueur de la loi les brigands, les cannibales qui, les 2 et 3 septembre, ont ajouté à l'histoire de la Révolution le chapitre odieux des prisons. Je demande que le ministre de la justice soit chargé de poursuivre les provocateurs, auteurs, complices et adhérents des assassinats et brigandages qui ont eu lieu les 2 et 3 septembre dernier. »

« La tête du tyran va tomber, » dit un autre membre de la Gironde ; « e; abattez maintenant celle des assassins. >>

La Plaine se réunit à la Gironde, et, malgré les clameurs furieuses de la Montagne, un décret enjoint au ministre de la justice de faire poursuivre les auteurs, complices et provocateurs des assassinats et brigandages commis dans les premiers jours de septembre.

Cela se passait le 20 janvier, veille du supplice. Le soir du même jour, un des Montagnards les plus fougueux, Lepelletier-Saint-Fargeau, dînant au Palais-Royal, un ancien garde du corps, nommé Paris, s'élance vers lui en s'écriant: « Scélérat! n'as-tu pas voté la mort du roi ? – C'est vrai,» dit Lepelletier; « ma conscience.... » Il n'eut pas le temps d'achever, le sabre de Paris lui avait traversé le corps. Paris s'échappa, on n'a jamais su depuis ce qu'il était devenu.

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Ce fait, raconté le lendemain à la Convention, donne aux Montagnards une force et une audace nouvelles. Ils exploitent le fait à leur profit contre la Gironde. « On voit, dit l'un d'eux, « de quel côté sont les poignards. - De ce côté de l'Assemblée, » dit le Montagnard Duquesnoy en désignant la Gironde, « on m'a menacé du sabre; je mourrai tranquille, puisque je mourrai pour la patrie. Ils ont demandé contre nous un décret d'accusation; voilà comme ils provoquent les poignards. — Il est temps que les amis de la liberté ne soient plus opprimés par les amis du despotisme. » Mais les Girondins aussi, depuis le meurtre de Lepelletier, semblent éprouver comme les Montagnards toutes les fureurs de la peur; car ils ont voté comme eux. Péthion vient à la tribune mêler ses larmes à celles que répandent les amis de LepelletierSaint-Fargeau. Tallien, Thuriot lui crient : « Vous avez calomnié Lepelletier. Vous accusez les autres d'assassinat, et c'est vous qui devriez monter le premier sur l'échafaud.» Danton profite de l'occasion pour demander que le portefeuille de l'intérieur soit retiré à Roland, qui dès le lendemain, en effet, envoya sa démission, facile

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