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L'orateur aborde ensuite la discussion des faits, qu'il divise en deux classes: ceux qui ont précédé l'acceptation par le roi de la Constitution de 1791, ceux qui l'ont suivie ;

Il prouve que pendant ces deux époques les intentions de Louis ont été droites et pures, et, surabondamment, que les faits de la première seraient effacés par l'acceptation de la Constitution, nouveau pacte consenti entre la nation et le roi; que, dans la seconde époque, sa conduite a toujours été constitutionnelle;

Et venant enfin à ce 10 août, que ceux qui l'avaient fait avaient l'audace de lui imputer :

« Qui donc ignore que dans cette journée Louis n'a pas été l'aggresseur; que depuis longtemps on préparait cette insurrection contre lui; qu'il a été formé des ligues, signé des traités ?

« Dans cette salle même où je parle, on s'est disputé la gloire de la journée du 10 août.

« Je ne viens point disputer cette gloire à ceux qui se la sont décernée; je dis seulement qu'il est impossible que Louis ait été l'agresseur.

« Vous l'accusez pourtant!

« Vous lui reprochez le sang répandu!

« Vous voulez que ce sang crie vengeance contre lui! « Contre lui qui à cette époque-là même n'était venu se confier à l'Assemblée nationale que pour empêcher qu'il n'en fût versé !

« Contre lui qui de sa vie n'a donné un ordre sanguinaire!

« Contre lui qui, le 6 octobre, empêcha à Versailles ses propres gardes de le défendre!

« Contre lui qui, à Varennes, a préféré revenir captif plutôt que de s'exposer à occasionner la mort d'un seul homme!

« Contre lui qui, le 20 juin, refusa tous les secours qui

lui étaient offerts, et voulut rester seul au milieu du peuple!

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Français, qu'est donc devenu ce caractère national, ce caractère qui distinguait vos anciennes mœurs, ce caractère de grandeur et de loyauté ?

« Mettriez-vous votre puissance à combler l'infortune d'un homme qui a eu le courage de se confier aux représentants de la nation elle-même ?

« N'auriez-vous donc plus de respect pour les droits sacrés de l'asile ?

« Entendez d'avance l'histoire qui dira à la renommée : « Louis était monté sur le trône à vingt ans, et à vingt ans il donna sur le trône l'exemple des mœurs; il n'y porta aucune faiblesse coupable ni aucune passion corruptrice; il y fut économe, juste, sévère; il s'y montra toujours l'ami constant du peuple.

« Le peuple désirait la destruction d'un impôt désastreux qui pesait sur lui, il le détruisit; le peuple demandait l'abolition de la servitude, il commença par l'abolir luimême dans ses domaines; le peuple sollicitait des réformes dans la législation criminelle pour l'adoucissement du sort des accusés, il fit ces réformes; le peuple voulait que des milliers de Français, que la rigueur de nos usages avait privés jusqu'alors des droits qui appartiennent aux citoyens, acquissent ces droits ou les recouvrassent, il les en fit jouir par ses lois; le peuple voulut la liberté, il la lui donna! Il vint même au-devant de lui par ses sacrifices; et cependant c'est au nom de ce peuple qu'on demande aujourd'hui... Citoyens, je n'achève pas... Je m'arrête devant l'histoire : songez qu'elle jugera votre jugement, et que le sien sera celui des siècles. >>

«

Après ce discours, le roi lut une note ainsi conçue : Citoyens, on vient de vous exposer mes moyens de défense, je ne les renouvellerai point. En vous parlant peut-être pour la dernière fois, je vous déclare que ma

conscience ne me reproche rien, et que mes défenseurs ne vous ont dit que la vérité. Je n'ai jamais craint que ma conduite fût examinée publiquement; mais mon cœur est déchiré de trouver dans l'acte d'accusation l'imputation d'avoir voulu faire répandre le sang du peuple, et surtout que les malheurs du 10 août me sont attribués. J'avoue que les preuves multipliées que j'avais données dans tous les temps de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m'étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m'exposer pour épargner son sang et éloigner à jamais de moi une pareille imputation.

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« N'avez-vous pas autre chose à ajouter pour votre défense?» lui dit le président. - « Non. - Vous pouvez vous retirer. » Il était une heure après midi.

Le roi fut reconduit dans la Tour, où il demeura étroitement gardé, sans voir ni sa famille ni personne, attendant son arrêt, pendant vingt-deux jours; car la délibération, ouverte dès le 26 décembre 1792 après son départ, ne fut terminée que le 19 janvier 1793.

A peine Louis était-il sorti de la salle, qu'un Montagnard demande qu'il soit jugé sans désemparer. Lanjuinais s'oppose avec véhémence à toute espèce de jugement:

Quoi!» dit-il, « vous seriez les conspirateurs du 10 août, les accusateurs, le jury d'accusation, le jury de jugement, les juges!... Vous ne pouvez rester juges de l'homme désarmé, duquel plusieurs d'entre vous ont été les ennemis directs et personnels, puisqu'ils ont tramé l'invasion de son domicile et qu'ils s'en sont vantés. Vous ne pouvez rester juges, applicateurs de la loi, jurés d'accusation, jurés de jugement, ayant tous ou presque tous ouvert vos avis; l'ayant fait, quelques-uns avec une férocité scandaleuse. »

Il conclut en demandant que Louis ne soit point jugé et qu'il soit statué sur son sort par mesure de sûreté générale.

L'adoption de cet avis pouvait sauver la victime. Mais Robespierre et toute la Montagne persistent à demander le jugement sans désemparer et par appel nominal. Le président, ayant voulu mettre aux voix la question d'ajournement, et en étant empêché par des clameurs furieuses, se couvre. Les Montagnards, les gens des tribunes s'insurgent contre lui : « Il faut, crient-ils, lui arracher sa sonnette et le reléguer dans un coin obscur de la salle. » Enfin, la Plaine, intimidée, se réunit à la Montagne; l'Assemblée déclare que la discussion est ouverte sur le jugement de Louis XVI et qu'elle sera continuée, toute autre affaire cessante, jusqu'à ce que l'arrêt soit rendu.

Cette première discussion dura jusqu'au 7 janvier. Les Girondins (probablement pour sauver Louis XVI) proposèrent de permettre à l'accusé, s'il était condamné, d'en appeler au peuple; Vergniaud prononça en faveur de cet appel un discours plein de sinistres prophéties; et si dans ce discours il ne défendait pas Louis XVI, du moins il faisait peur à ses collègues des suites de la mort du roi, en leur montrant d'avance la Convention déchirée et décimée par ses propres membres, les proscriptions, les supplices, la guerre civile, la Terreur. Mais la parole de Robespierre avait plus d'empire que celle de Vergniaud; Robespierre exerçait une sorte de fascination sur l'Assemblée; avant même que les questions fussent posées, il déclara qu'il demandait et le jugement de Louis et son supplice, quoiqu'il en coûtât beaucoup, dit-il, à sa sensibilité; car jamais le mot de sensibilité ne fut plus fréquemment employé qu'à cette époque. Mais celui qui combattit avec le plus de violence l'appel au peuple, ce ne fut ni Robespierre, ni SaintJust, ni Jean-Bon-Saint-André, ce fut Lepelletier SaintFargeau, ancien président au Parlement de Paris.

Quant à Philippe Egalité, il était assis sur la crête de la Montagne, entre Tallien et Collot-d'Herbois, et votait constamment avec eux; les Montagnards lui donnaient des

marques continuelles de bienveillance et de confiance, et, avant de se débarrasser de lui, voulaient compléter son déshonneur ; ils y réussirent.

Le 7 janvier la Convention prononça la clôture de la discussion, et renvoya la position des questions au 14. Pendant ces huit jours, la Commune, les Jacobins, les Cordeliers, ne cessèrent d'agiter Paris de manière à frapper d'épouvante les représentants qui seraient tentés d'émettre un vote favorable à l'accusé. La Gironde était vacillante; la Plaine, intimidée, cherchait à faire passer sa frayeur pour l'effet de la conviction; la Montagne était plus audacieuse que jamais; le 14, on s'occupa de poser les questions. La discussion fut violente et confuse. Enfin, sur la proposition d'un Girondin, il fut décidé que les trois questions suivantes seraient successivement posées :

«

<< Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d'attentat contre la sûreté générale de l'Etat? Oui ou non.

"

« Le jugement qui sera rendu sur Louis sera-t-il soumis à la ratification du peuple réuni dans ses assemblées primaires? Oui ou non.

« Quelle peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue? >>

Sur la proposition de Buzot, il fut décidé que sur chacune des trois questions, chaque membre prononcerait son vote à la tribune; que ce vote pourrait être motivé, qu'il serait écrit et signé.

Le 15 janvier, l'appel nominal commença sur la première question.

721 membres étaient présents; 38 ou se récusèrent ou motivèrent diverses opinions; 683 répondirent oui. Philippe Egalité était de ce nombre.

En conséquence, Louis est déclaré coupable.

On passe immédiatement à la seconde question, celle de l'appel au peuple.

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