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le poison de l'incivisme. » En conséquence, la loi fut maintenue; on accorda seulement que les jeunes filles audessous de quatorze ans, qui reparaîtraient en France, seraient, pour la première fois, simplement déportées, et ne seraient guillotinées que la seconde fois. Ce fut là tout l'adoucissement que permit Robespierre à la loi de Buzot. Plus tard la peine de mort fut aussi prononcée contre ceux qui correspondraient d'une manière quelconque avec un émigré.

Fidèle à cette politique, la Gironde crut devoir rivaliser avec les Montagnards d'acharnement contre Louis XVI. Il y eut entre les deux partis une sorte de trêve. Il ne fut plus question à l'Assemblée, dans toute la France, et même au dehors, que du sort qui allait être infligé à Louis XVI.

Or, la nouvelle république était acceptée presque unanimement à l'intérieur; à l'extérieur elle était victorieuse. La Convention pouvait donc sans danger se montrer, sinon généreuse, du moins juste.

Nous allons voir ce qu'elle fit.

Il n'y eut que dix députés, Lanjuinais à leur tête, qui s'opposassent, d'une manière ou directe ou détournée, à ce que la Convention fit un procès au roi.

Cette question occupa trente séances, tant du matin que du soir. Enfin, sur la proposition de Péthion, il est décrété:

1° Que Louis XVI sera jugé ;

2o Qu'il le sera par la Convention;

3° Qu'elle s'occupera du procès de Louis XVI tous les jours, de midi à six heures; que tout congé sera refusé à ses membres jusqu'à la fin du jugement.

Une commission de vingt et un membres fut chargée de rédiger l'acte énonciatif des faits imputés à l'accusé.

Cet acte fut discuté et approuvé le 10 décembre 1792, et il fut décrété que le lendemain Louis Capet serait conduit à la barre de la Convention, pour entendre la lecture de cet

acte et répondre aux questions qui lui seraient adressées par le président.

La Commune de Paris fut chargée de l'exécution de cet ordre.

Ainsi le procès du roi dut commencer le 11 décembre pour finir le 20 janvier.

Je vais exposer tous les détails de ce drame.

Toute l'Europe était dans l'attente et dans l'anxiété; les armées de la Prusse, de l'Autriche et de l'Allemagne, vaincues, rejetées du territoire, obligées par l'hiver à l'inaction, ne pouvaient plus ni servir Louis XVI, ni le compromettre; la diplomatie étrangère avait rompu toute relation avec la France; l'Espagne seule essaya, auprès de la Convention, une intervention officieuse, qui fut rejetée.

XXIV

JUGEMENT ET MORT DE LOUIS XVI.

Chargé de l'ordre de la Convention, le maire de Paris arrive au Temple le 11 décembre, à onze heures, et après avoir fait prévenir le roi de sa prochaine visite, il donne l'ordre qu'on lui enlève son fils. Ce fut pour Louis XVI une amère douleur; il resta longtemps la tête appuyée sur une de ses mains, plongé dans une sombre tristesse. Enfin, à une heure, le maire entra dans sa chambre avec une suite nombreuse, et dit au roi qu'il venait le chercher pour le conduire à la Convention, en vertu du décret dont il lui donna lecture. Le roi lui dit : Capet n'est pas mon nom, c'est le surnom d'un de mes ancêtres. On aurait pu, du moins, me laisser mon fils, monsieur, pendant les deux heures que j'ai passées à vous attendre. Je vais vous suivre, non pour obéir à la Convention, mais parce que mes ennemis ont la force en main. »

Il arriva, ainsi entouré, à la Convention, vers deux heures et demie. Barrère présidait. Quelques membres, à la vue du roi, se levèrent par respect, mais les tribunes crièrent: Assis! Louis XVI était vêtu d'une redingote blanche d'une étoffe commune; sa contenance était calme et intrépide il s'assit dans un fauteuil qu'on avait préparé pour lui, et écouta.

Barrère lui lut lentement et d'une voix mal assurée l'acte d'accusation, intitulé: Acte énonciatif des crimes de Louis. Barrère s'arrêtait après chaque alinéa et lui disait : « Qu'avez-vous à répondre ? »

Le premier alinéa est ainsi conçu :

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Louis, le peuple français vous accuse d'avoir commis une multitude de crimes pour établir votre tyrannie en détruisant sa liberté.

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Les alinéas suivants énonçaient cette multitude de crimes; de ces crimes, le plus grave était d'avoir, le 10 août, attaqué et fait massacrer le peuple.

Sur tous les points, Louis répondit avec autant de présence d'esprit que de calme, et en très-peu de mots. Toutes ses réponses peuvent se résumer ainsi : « Cet acte de ma part était conforme aux lois; » ou « Cette imputation est fausse; » ou « Je n'ai point connaissance de ce fait. »

Puis on lui présenta diverses pièces qui servaient de base à l'accusation, et on lui demanda s'il les reconnaissait; c'était Valazé qui énonçait les pièces et les présentait au roi.

Après l'interrogatoire, qui dura deux heures, Louis, en se retirant, dit : « Je demande à être assisté d'un conseil. »

On le ramena au Temple, au milieu d'une escorte formidable, et il entendit sur son passage plus d'un cri sinistre. A son retour au Temple, on lui refusa toute communication avec sa famille, et il ne parut pas très-affligé, pensant que cette consigne n'était que temporaire; mais il se trompait. Il était alors six heures et demie; il fit de

mander son souper pour huit heures et demie, et il employa ces deux heures d'intervalle à sa lecture ordinaire, toujours entouré de quatre membres de la Commune. A minuit, il se coucha tranquillement.

On n'était pas aussi tranquille à la Convention. Cette demande d'un conseil, que ni le droit naturel ni la Constitution écrite ne permettait de refuser, paraissait juste à la Gironde et mécontentait la Montagne. Une discussion eut lieu au milieu d'un horrible tumulte; Marat, Billaud-Varennes, Tallien, se signalèrent par la violence de leurs clameurs, et le président dut plus d'une fois se couvrir pour rétablir l'ordre. « On veut, » criaient les Montagnards, « embarrasser l'affaire par des chicanes de palais. Néanmoins la Gironde eut la majorité, et, le lendemain, quatre membres de la Convention allèrent au Temple annoncer au roi qu'on lui accordait un défenseur. Il en désigna deux, Tronchet et Target, que le jour même la Convention fit avertir.

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Tronchet accepta avec empressement; Target écrivit à la Convention qu'il refusait, et signa sa lettre, le républicain Target. Après cette lettre, fut lue à la Convention celle que venait d'adresser spontanément à son président, l'illustre Lamoignon de Malesherbes, qui avait été, en même temps que Turgot, ministre de Louis XVI; Malesherbes avait alors soixante et douze ans. Voici sa lettre :

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Citoyen président, j'ignore si la Convention donnera à Louis XVI un conseil pour le défendre, et si elle lui en laisse le choix; dans ce cas-là, je désire que Louis XVI sache que, s'il me choisit pour cette fonction, je suis prêt à m'y dévouer. Je ne vous demande pas de faire part à la Convention de mon offre, car je suis bien éloigné de me croire un personnage assez important pour qu'elle s'occupe de moi; mais j'ai été appelé deux fois au conseil de celui qui fut mon maître dans le temps que cette fonction était ambitionnée par tout le monde : je lui dois le même

service, lorsque c'est une fonction que bien des gens trouvent dangereuse; si je connaissais un moyen possible pour lui faire connaître mes dispositions, je ne prendrais pas la liberté de m'adresser à vous. J'ai pensé que dans la place que vous occupez, vous aurez plus de moyens que personne pour lui faire passer cet avis. »

Cette démarche de Malesherbes, bientôt annoncée au roi, fut pour lui une bien douce consolation. Dès le surlendemain, on permit au roi de voir ses conseils, et aussi d'avoir de l'encre et du papier, dont il avait été privé jusqu'alors. Quand Malesherbes entra, le roi, quittant un volume de Tacite ouvert devant lui sur une petite table, le serra dans ses bras; les yeux du roi étaient humides; ceux de Malesherbes se remplirent de larmes, et le roi dit : « Votre sacrifice est d'autant plus généreux que vous exposez votre vie et que vous ne sauverez pas la mienne. J'en suis sûr, ils me feront périr; ils en ont le pouvoir et la volonté; n'importe, occupons-nous de mon procès comme si je pouvais le gagner, et je le gagnerai en effet, puisque la mémoire que je laisserai sera sans tache. »

Onze jours seulement étaient accordés aux défenseurs pour préparer leur œuvre. Ils s'adjoignirent Desèze, alors âgé de quarante-deux ans, avocat d'une élocution facile et brillante, qui se chargea de porter la parole. Louis XVI, pendant tout ce temps, refusa de descendre au jardin : « La promenade, » dit-il, « ne m'était agréable que lorsque j'en jouissais avec ma famille. » Néanmoins il ne laissait jamais échapper ni plaintes ni murmures; il avait déjà pardonné à ses oppresseurs. Depuis plusieurs jours on lui avait retiré ses rasoirs; on se décida enfin à les lui rendre deux ou trois jours avant son jugement, mais en décidant qu'il ne pourrait s'en servir qu'en présence des délégués de la Commune. Louis XVI se préparait sérieusement à sanctifier sa dernière heure; Madame Élisabeth lui avait indiqué l'adresse d'un prêtre qui n'avait point prêté ser

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