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courent à Marly rendre compte au roi de la scission qui s'opère dans le clergé; il venait de recevoir l'adresse de la noblesse et le décret des communes.

Louis XVI et Marie-Antoinette avaient quitté depuis quelques jours le palais de Versailles pour la solitude de Marly, afin de se livrer en paix à un deuil de famille : leur fils aîné venait de mourir; Louis-Charles, duc de Normandie, âgé d'un peu moins de cinq ans, était devenu dauphin. Cet enfant et sa sœur, âgée de onze ans, MarieThérèse de France, qu'on appelait Madame royale, commençaient dès cette première douleur à être la consolation. de leurs parents.

Les deux prélats supplient le roi d'intervenir. Il fallait agir, et agir promptement. Louis XVI fait annoncer le lendemain matin samedi qu'il tiendra le lundi suivant une séance royale, et que jusque-là les séances des états généraux resteront suspendues.

En effet, le samedi matin, 20 juin, jour devenu si célèbre dans notre histoire, quand les députés des communes voulurent entrer dans leur salle, ils trouvèrent les portes fermées pour eux, et ouvertes seulement aux ouvriers chargés des apprêts de la séance solennelle; le reste de l'hôtel des états était occupé par des troupes.

Il était neuf heures du matin; Bailly arrive, et, en sa qualité de président de l'Assemblée, il somme l'autorité militaire de lui faire ouvrir les portes. « J'ai ordre, répond l'officier de service, « de veiller à ce que personne, excepté les ouvriers, n'entre dans la salle.

D

L'Assemblée,» répond Bailly, « a arrêté hier que sa séance aurait lieu aujourd'hui à neuf heures; je proteste contre l'empêchement qu'on veut mettre à cette séance, et je la déclare tenante.

Je suis autorisé, » dit l'officier, « à vous laisser prendre les papiers que vous avez laissés dans la salle. »>

Bailly entre, afin de prendre ses papiers, et sort sur-le

champ, afin de chercher dans Versailles un local assez vaste pour y réunir ses collègues.

Cependant les députés, réunis en groupes sur la grande avenue, se livraient à des conversations animées. L'irritation était extrême, la défiance et les soupçons n'avaient point de bornes : « Veut-on dissoudre les états? Veut-on livrer la France à la guerre civile ? » Quelques-uns proposaient de se rendre en masse à Marly, et d'aller tenir séance au pied du château. « Sait-on à qui l'on a affaire? Pense-t-on que les députés de la nation, qui sont la nation même, se laisseront effrayer, avilir, dominer? »

Tout à coup un cri se fait entendre: « Au jeu de paume! » C'est Bailly qui envoyait avertir ses collègues de se rendre dans ce local, où par ses soins la représentation nationale allait trouver provisoirement un abri.

Tous s'y rendent à la hâte, escortés d'une immense population qui regardait leur cause comme la sienne.

On se place comme l'on peut; un profond silence s'établit, et Bailly rend compte des faits.

Le matin il avait reçu du marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies, cette lettre : « Le roi m'ayant ordonné de faire publier par des hérauts l'intention dans laquelle Sa Majesté est de tenir, lundi 22 de ce mois, une séance royale, et en même temps la suspension des assemblées que les préparatifs à faire dans les salles des trois ordres nécessitent, j'ai l'honneur de vous en prévenir. » Aussitôt Bailly avait répondu : « Je n'ai reçu aucun ordre du roi pour la séance royale ni pour la suspension des assemblées, et mon devoir est de me rendre à celle qui est indiquée pour ce matin. » Une seconde lettre du grand maître au président déclare que la première avait été écrite par l'ordre positif du roi. Bailly, après avoir donné à l'Assemblée lecture de ces trois lettres, ajoute: « Je n'ai pas besoin de faire sentir la position affligeante où se trouve l'Assemblée; je propose de mettre en délibération

le parti qu'il faut prendre dans des circonstances si orageuses. »

Un même sentiment animait tous les cœurs. Mounier s'en fait l'interprète; appuyé par Barnave, par Target et par Chapelier, il demande : « qu'en présence des dangers. dont l'Assemblée nationale semble menacée, et des intrigues par lesquelles on cherche à pousser le roi à quelque mesure désastreuse, les représentants de la nation se vouent au salut public et aux intérêts de la patrie par un serment solennel. »

A cette proposition, des applaudissements unanimes éclatent, et un décret est rendu en ces termes :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'appelée à fixer la constitution du royaume, à opérer la régénération de l'ordre public et à maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu'elle ne continue ses délibérations dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale;

« Arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront, à l'instant, le serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides; et que, ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d'eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable. »

A peine le vote a-t-il eu lieu par acclamation, que Bailly réclame, en sa qualité de président, l'honneur de donner l'exemple. D'une voix émue, mais ferme, il prononce les paroles du serment :

« Nous jurons de ne jamais nous séparer de l'Assemblée nationale et de nous réunir partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »

D

Tous les députés s'écrient: « Nous le jurons! L'appel nominal commence, et chacun d'eux va apposer sa signature à la déclaration.

L'Assemblée s'ajourne au surlendemain lundi, heure ordinaire, et elle arrête en outre que, si la séance royale a lieu dans la salle nationale, ses membres y demeureront après la séance levée, pour continuer leurs travaux.

Tel est le fameux serment du Jeu de paume. Paris, qui en reçut la nouvelle dès le samedi soir, fit éclater son admiration et son enthousiasme, et attendit avec une impatience pleine d'anxiété les événements du lundi.

Le lundi la séance royale n'eut pas lieu; elle était remise au lendemain, et la salle des états resta fermée. Bailly avait prévu cet événement, et par ses soins l'Assemblée se réunit dans l'église de Saint-Louis.

Alors, fidèles à la décision qu'ils avaient prise l'avantveille, les curés et les quelques prélats formant la majorité du clergé, au nombre de 149, viennent se réunir à l'Assemblée. Les transports, l'attendrissement, le bonheur qui se manifestèrent alors sont impossibles à peindre.

Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne, prononça au nom du clergé quelques paroles simples sur l'union constante qu'ils désiraient avoir avec tous les ordres, et surtout avec messieurs les députés des communes. Dans sa réponse, Bailly, tout en regrettant que des frères d'un autre ordre manquassent encore à cette auguste famille, se laissa tellement emporter par la joie dont son cœur débordait, qu'il parla de lui-même et dit que ce jour était le plus beau de sa vie.

Ainsi tout marchait avec rapidité vers un dénoûment conforme au vœu national. Mais Louis XVI, dans la séance royale, donnerait-il aux faits accomplis une adhésion qui semblait commandée par la force des choses?

Telle avait été, cela est certain, l'idée de Necker, lorsqu'il lui avait conseillé de terminer toutes les difficultés

par un coup d'autorité dans une séance royale. Il avait rédigé pour le roi un discours et deux déclarations qui étaient de nature à contenter les communes, en n'exigeant d'elles (et cela avec les formes les plus bienveillantes) que des concessions qui n'avaient rien de blessant. Mais pendant toute la journée du samedi et celle du dimanche, l'entourage de Louis XVI ne cessa de l'obséder. On lui représenta que c'était fait de la monarchie, s'il ne cassait point avec éclat tout ce qu'avaient fait les communes. Barentin et Breteuil, ses ministres, allèrent jusqu'à lui proposer de dissoudre les états généraux; d'accord avec ces deux ministres, d'Épremesnil, qui n'osait point aller à la cour, y fit envoyer secrètement par le parlement une députation qui, en cas de dissolution, promettait pour l'avenir d'enregistrer tout ce qu'on voudrait et ne plus faire d'opposition à rien. Louis XVI rejeta ce conseil, non par crainte de la guerre civile qui s'en serait immédiatement suivie (car il était loin alors de se douter de l'imminence du péril, et ne voyant et n'entendant que des gens en habit brodé, il ignorait complétement le reste de la nation), mais par un sentiment d'humanité et de justice. Cependant il accepta un nouveau discours rédigé selon les idées de la reine et du comte d'Artois, et, dans les deux déclarations rédigées par Necker, il admit divers changements, d'après lesquels toutes les réformes n'étaient plus des droits restitués à la nation, mais des bienfaits octroyés par le roi. La cour, enivrée des dogmes de l'autorité absolue, croyait fermement que, pour être obéi, le roi n'avait qu'à dire je veux. Elle poussa donc Louis à l'une des plus grandes fautes que puisse commettre un roi, celle d'ordonner sans être sûr d'être obéi, et elle lui fit prendre ainsi, dès le début, une attitude hostile envers ce peuple qu'il aimait si sincèrement, quoiqu'il le connût si peu. Necker, aussi mécontent qu'inquiet, résolut de ne point paraître à la séance royale; et quand ses collègues du ministère lui envoyèrent

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