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Avant de raconter cette lutte, voyons quels événements militaires s'étaient passés depuis Valmy.

Le lendemain de cette bataille, les Prussiens avaient gardé leurs positions; les Français en prirent une plus avantageuse; mais, ce qui était extraordinaire et paraissait bien dangereux, le front de l'armée française regardait Paris, et le front de l'armée prussienne regardait la frontière allemande; en sorte que quelques partis de hulans purent s'avancer jusqu'à quinze lieues de Paris. La Convention voulait à toute force que Dumouriez repassât la Marne; ses officiers aussi ne cessaient de le lui demander avec les plus vives instances; il résista avec une fermeté inébranlable; et, grâce à la persistance avec laquelle il continua l'exécution de son plan, l'armée prussienne fut bientôt réduite à un état déplorable; elle périssait par la disette, et plus encore par la dyssenterie. Alors FrédéricGuillaume et Brunswick ne virent plus de salut pour eux que dans la retraite; ils l'effectuèrent, en traînant avec eux les émigrés qu'ils accusaient de les avoir trompés. Bientôt cette retraite prit le caractère d'une déroute. Trop prudent pour réduire au désespoir un ennemi accablé, Dumouriez se contenta de le harceler et de l'insulter jusqu'à la frontière, et le laissa sortir de France. Les émigrés, sous le nom d'armée de Condé, ne cessèrent jusqu'à la paix continentale de combattre au nom du roi et sous le drapeau blanc avec un courage intrépide, et au milieu des plus dures privations.

Par suite de cette retraite ou plutôt de cette fuite des Prussiens, les Autrichiens qui assiégeaient Lille se virent aussi contraints de se retirer. Cette place, bombardée avec fureur pendant dix jours, s'était défendue avec une valeur héroïque. Il y avait alors en France un enthousiasme pour la patrie et pour la liberté, qui enflammait les femmes elles-mêmes. A Lille elles portaient des munitions dans les batteries et faisaient la chaîne aux incendies allumés par

les projectiles de l'ennemi. On en vit plusieurs courir après les obus et les bombes qui tourbillonnaient à terre avant d'éclater, en arracher la mèche, et rouler avec le pied ces foudres éteintes. 100 000 projectiles avaient été lancés sur la ville; et les citoyens, obligés de quitter leurs domiciles, bivouaquaient sur la place publique, et chantaient le triomphe de la France en remuant avec la pointe du sabre les cendres de leurs maisons; c'est en l'honneur de cette généreuse défense que la rue de Bourbon, à Paris, fut depuis appelée rue de Lille.

En même temps que le siége de Lille était abandonné, Longwy et Verdun étaient délivrés; Custine envahissait la rive gauche du Rhin, et par une marche hardie allait sur la rive droite s'emparer de Francfort, que nous ne gardâmes pas longtemps. Montesquiou avait pris Chambéry et toute la Savoie, qui fut réunie à la France sous le nom de département du Mont-Blanc. Nice avait reçu nos troupes. Du nord au midi les étrangers avaient évacué la France, et le théâtre de la guerre était reporté chez eux. Pour le reste de la campagne, voici le plan que fit adopter Dumouriez garder la défensive le long du Rhin et des Alpes, et attaquer hardiment sur notre frontière ouverte, celle de Belgique. « Là, disait Dumouriez, ce n'est qu'en gagnant des batailles qu'on peut se défendre. »

L'ardeur de nos armées, presque entièrement composées de volontaires, était dès lors excitée par un hymne admirable improvisé en une nuit (paroles et musique) par Rouget de Lisle et appelé ensuite la Marseillaise; on le chantait partout, tant que dura la République; et lorsqu'on était arrivé à cette strophe:

Amour sacré de la patrie,

Conduis, soutiens nos bras vengeurs!
Liberté, liberté chérie,

Combats avec tes défenseurs!

tout le monde fléchissait le genou.

Les émigrés avaient aussi leurs chants, expression de leurs regrets plus que de leurs espérances; et, à l'armée de Condé, Chateaubriand répondait à la brûlante Marseillaise par cette mélancolique cantilène de l'exilé :

Combien j'ai douce souvenance
Du beau pays de mon enfance!
Qu'ils étaient beaux ces jours
De France!

O mon pays! sois mes amours
Toujours!

Je reviens aux batailles qui allaient se livrer dans le sein de la Convention.

Ce fut dès la quatrième séance que les hostilités commencèrent.

Dans ce moment de fièvre égalitaire, la Gironde crut pouvoir tourner contre ses ennemis la popularité même dont ils jouissaient, en les accusant de vouloir se servir de cette popularité pour arriver à la dictature. Le Girondin Kersaint attaqua les hommes de septembre dans ce langage violent qui depuis quelque temps était à la mode : « Il est temps d'élever des échafauds pour les assassins; il est temps d'en élever pour ceux qui provoquent l'assassinat. » Il ajouta : « Il y a peut-être quelque courage à s'élever ici contre les assassins. »

A ces mots éclatent d'une part de vifs applaudissements, de l'autre de violents murmures. « Cette motion,» dit Tallien, « est inconvenante et inutile. » Mais Buzot s'empare de la proposition et va plus droit au but; il demande que la Convention ait à sa disposition une force armée qui sera prise dans les quatre-vingt-trois départements. « Cette force doit être tellement imposante que non-seulement nous n'ayons rien à craindre, mais que nos départements soient bien assurés qu'en effet nous n'avons rien à craindre. Eh! croit-on nous rendre esclaves de plusieurs députés

de Paris? Oui, esclaves. Je ne rétracte pas ce mot; il n'est pas trop fort. »

Malgré la résistance de la Montagne, la Plaine, qui craignait aussi pour elle-même, appuie la Gironde, et il est décidé que des commissions proposeront deux projets de loi conformes aux deux propositions de Kersaint et de Buzot.

La Montagne était furieuse; et dès ce moment son animosité contre les Girondins égala sa haine contre les Constitutionnels.

Le lendemain le Montagnard Merlin s'élança à la tribune, et nommant un Girondin : « Lasource m'a dit hier en sortant de la séance qu'ici l'on demande le triumvirat et la dictature. Je le somme de les nommer. Je veux savoir qui je dois poignarder.-Eh bien! oui,» répond Lasource, « il y a un parti qui veut réunir dans un petit nombre de mains toute la puissance nationale; je crains ces hommes qui égarent le peuple et qui disposent de lui; je crains le depotisme de Paris; je ne veux pas laisser à leur merci la Convention et la France. La France qui a foudroyé Louis XVI va foudroyer ces hommes avides de domination et de sang.

Je ne crois point à des complots aussi insensés,» dit un Montagnard. « Il y aurait ici un parti qui veut la dictature, des triumvirs!... Une telle démence n'est pas possible.

- Elle l'est,» s'écrie Rebecqui; « oui, il existe dans cette assemblée un parti qui aspire à la dictature; et le chef de ce parti, je le nomme, c'est Robespierre. >>

A ces mots éclate une rumeur affreuse. Danton, qui n'avait pas été nommé, mais qui savait bien que Robespierre, Marat et lui-même étaient les trois dictateurs dont voulait parler la Gironde, monte fort tranquillement à la tribune :

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- Prononçons, dit-il, « la peine de mort contre quiconque se déclarera en faveur de la dictature ou du triumvirat.

Mais ce n'est pas tout,» ajouta-t-il en portant ses regards sur les chefs de la Gironde, « on prétend qu'il est ici des hommes qui veulent morceler la France. Prononçons la peine de mort contre quiconque professerait ces idées absurdes, et qu'une loi proclame l'unité de la République.

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Ainsi la Montagne venait de répondre à cette première attaque des Girondins par cette accusation de fédéralisme à laquelle Brissot, leur principal chef, avait donné un prétexte en vantant outre mesure la Constitution des ÉtatsUnis. Cette accusation pouvait les perdre. Buzot le sentit et voulut parer le coup: « On propose, dit-il, « une

loi qui déclare l'unité de la République. Et qui vous dit, citoyen Danton, que quelqu'un songe à la rompre, cette unité? Si je demande qu'une garde formée par les quatrevingt-trois départements entoure la Convention, n'est-ce pas pour que cette unité soit maintenue ? »

Robespierre répond longuement à l'attaque de Rebecqui; les accusations, les menaces se croisent, s'entre-choquent; les noms de Brissot, de Guadet, de Roland, ceux de Robespierre et des membres de la Commune, sont jetés d'un côté de la salle à l'autre avec de violentes invectives. Et comme la Montagne niait obstinément tout projet de dictature : Marat,» dit un Girondin, l'a ouvertement demandée dans un placard affiché sur tous les murs de Paris. »

Ainsi interpellé Marat se présente à la tribune. Malgré les murmures et les cris d'exécration de la Gironde, malgré les cris A bas! de toute la Plaine, il parvient à se faire entendre. Il déclare que ni Robespierre ni Danton n'ont jamais pensé à la dictature: « C'est moi qui ai voulu un dictateur, mais un dictateur qui aurait sur-le-champ fait tomber toutes les têtes coupables et qui immédiatement après aurait abdiqué. »

Alors un autre Girondin, Boileau, vient lire à la tribune des extraits d'un journal publié par Marat. « Voici,» dit-il, « ce que ce tigre a écrit avec ses griffes de sang, dans une

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