Page images
PDF
EPUB

spirituelle et charmante, et adorant son mari; et d'autres encore. Les dames ne savaient rien : le dîner fut fort gai. Que faisait le maire de Paris, Péthion?... Il restait maire de Paris.

Que faisait le ministre de l'intérieur, Roland?... Pâle et abattu, la tête appuyée contre un arbre dans le jardin du ministère, il se désolait.... et il restait ministre de l'intérieur. Il sortit néanmoins de son accablement pour écrire à l'Assemblée le lendemain du 2:

« Hier fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile. »

Enfin, lorsque le carnage eut duré cent heures consécutives, parut une proclamation signée Péthion et Tallien, qui, après avoir rendu hommage à la juste vengeance du peuple, l'invitait à laisser aux tribunaux le soin de punir le reste des conspirateurs. Le maire alla dire à l'Assemblée :

α

« Législateurs! permettez-moi de jeter un voile sur le passé; espérons que ces scènes affligeantes ne se reproduiront plus. >>

En même temps, la municipalité parisienne envoya à la plupart des municipalités importantes une adresse dans laquelle elle ne dissimulait point ce qu'elle avait fait :

« Prévenue que des hordes barbares s'avancent contre elle, la Commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces, détenus dans les prisons, a été mise à mort par le peuple actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir, par la terreur, les légions des traîtres entrés dans ses murs au moment où on allait marcher à l'ennemi; et sans doute la nation entière s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public; et tous les Français s'écrieront comme les Parisiens : « Nous marchons à l'en<< nemi, mais nous ne laissons pas derrière nous des brigands pour égorger nos femmes et nos enfants. »

«

L'attente des auteurs de la proclamation ne fut pas remplie trois ou quatre municipalités seulement imitèrent cet exemple, ou même le surpassèrent ainsi, à Reims, des conspirateurs furent jetés dans un brasier ardent et brûlés tout vifs.

Quant aux détails de ce qui s'était passé à Paris, je les épargne au lecteur. Qu'il me suffise de dire que, dans le seul couvent des Carmes, l'archevêque d'Arles, Dulau, et avec lui 173 autres prêtres, furent massacrés; leur sang coula à torrents; on en voit encore les traces rougeâtres sur les dalles de la chapelle.

Quelques rares victimes échappèrent. C'est ainsi que deux nobles filles, qui avaient obtenu d'être renfermées avec leurs pères, parvinrent à les sauver à force de supplications et en les couvrant de leurs corps: l'une, Mlle Cazotte, vainement, car trois jours après, le tribunal extraordinaire ressaisit Cazotte pour la guillotine; l'autre, Mlle de Sombreuil, avec un entier succès; mais aussi (que ne peut la piété filiale!), déjà atteinte d'un coup de pique à la poitrine en se jetant au-devant des meurtriers, elle consentit à tremper ses lèvres dans un verre plein de sang qu'ils lui présentaient.

Il y eut dans ces journées une foule d'épisodes touchants et terribles, je les passe sous silence; mais comment ne pas donner une mention à la plus intéressante de toutes ces victimes? La princesse de Lamballe, bellesœur de la duchesse d'Orléans, vertueuse et bonne comme elle, ravissante de beauté et de grâce, surintendante de la maison de la reine, unie à Marie-Antoinette par la plus sincère amitié, s'était enfuie de Paris en même temps qu'elle l'année précédente, et était arrivée heureusement à Londres; mais là, ayant appris les dangers de la famille royale, elle était accourue auprès de la reine, n'avait plus voulu la quitter, et, le 10 août, avait demandé à être enfermée auprès d'elle. On l'incarcéra à la Force.

C'est là que les meurtriers, le 3 au matin, viennent la saisir. Pâle et tremblante, elle est traînée au guichet; on lui dit : « Vous étiez de la conspiration du 10 août contre le peuple. J'ignore cette conspiration. - Jurez haine au

[ocr errors]

roi, à la reine et à la royauté. Je ne puis faire ce serment. » A ces mots, un coup de sabre lui est porté sur la tête; ses beaux cheveux, dénoués, tombent sur ses épaules parmi des flots de sang. On l'achève d'un coup de massue. On lui arrache le cœur. On met sa tête au bout d'une pique, puis les meurtriers promènent cette tête en triomphe dans les rues.

Ils s'arrêtent à dessein sous les fenêtres du PalaisRoyal, et Philippe d'Orléans, beau-frère de la princesse, fut, dit-on, obligé de paraître au balcon. Puis ils courent au Temple en poussant mille cris affreux, et ils appellent la reine pour lui faire voir la tête de son amie. Un des deux officiers municipaux qui se trouvaient dans la chambre du roi (car il était gardé à vue jour et nuit) veut obliger le roi et la reine de se mettre à la fenêtre. L'autre (c'était un prêtre, nommé Danjou), s'y oppose, et fait passer Leurs Majestés dans une autre chambre. Mais bientôt les assassins, se pressant au pied de la tour, essayent d'en forcer l'entrée; ils demandent la tête de la reine avec des clameurs horribles. Danjou les repousse : « Non,

dit-il, « la tête d'Antoinette ne vous appartient pas; les départements y ont des droits. La France a confié à la ville de Paris la garde de ces grands coupables. » Ce ne fut qu'après une heure de résistance qu'il parvint à les éloigner. Le roi répondit plus tard à Tronchet, qui lui demandait le nom de celui qui l'avait pressé de se mettre à la fenêtre : « Je ne me souviens que du nom de celui qui m'en a empêché. »

Ai-je fini ce récit? Hélas! non; il faut encore mentionner un crime au moins égal.

53 accusés ou prévenus pour cause politique atten

daient, dans les prisons d'Orléans, que la haute cour les jugeât. Le ministre de la justice, Danton, ordonne qu'ils soient immédiatement transférés à Paris, et charge de l'exécution de son arrêté la Commune de Paris. Les prisonniers arrivent à Versailles : là, les hommes qui venaient de faire à Paris les journées de septembre, les attendaient, et, sur la grande place, à coups de sabres et à coups d'épées, les massacrent. Ainsi périrent l'ancien ministre des affaires étrangères Delessart; le duc de Brissac; Castellane, évêque de Mende; Larivière, juge de paix à Paris, qui avait essayé de sévir contre le désordre; et tous les autres.

En même temps, à Gisors on égorgeait le duc de La Rochefoucauld, qui, comme président du directoire de Paris, avait signé, après le 20 juin, la suspension de Péthion et de Manuel.

Le ministre de l'intérieur et l'Assemblée législative gardèrent sur ces faits le plus profond silence; et le ministre de la justice disait : « De telles exécutions nous amèneront des députés qui sauveront la France.

La Commune de Paris continua d'exercer une puissance absolue; et quand de sa part Robespierre venait intimer quelque ordre à l'Assemblée ou au conseil exécutif, il était obéi sur-le-champ. Cette même Commune paralysa (et pour cause, dit-on) les efforts que fit Roland pour découvrir les malfaiteurs qui, au milieu de ces désordres, avaient forcé le garde-meuble et volé les diamants de la couronne.

XXII

FIN DE L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

Le lecteur, comme l'auteur, a besoin de respirer un air plus pur. Transportons-nous à l'armée.

Elle était admirable de patriotisme; et maintenant,

grâce à Lafayette d'abord, et ensuite à Dumouriez, la discipline y régnait. Elle était à peu près pure de jacobinisme, ou, du moins, le jacobinisme n'y était pas sanguinaire. L'inexpérience y était grande, car, comme je l'ai dit, l'avancement avait été extrêmement rapide. Ces officiers de deux jours, ces soldats improvisés étaient l'objet des dédains de l'ennemi, qui les appelait des savetiers, des boutiquiers, ou bien encore des enfants. Cette dernière dénomination ne manquait pas de justesse; car les jeunes gens à peine sortis du collége étaient là en très-grand nombre, et on les entendait aux avant-postes échanger mille plaisanteries, en latin aussi souvent qu'en français. Cette jeunesse, accoutumée aux douceurs de la vie, supportait avec gaieté les travaux et les privations de toute sorte. Mais la plupart des volontaires étaient encore en route, ou s'exerçaient dans les camps d'instruction; et Dumouriez avait peu de forces disponibles pour couvrir la Champagne contre les ennemis qui venaient de l'en

vahir.

Leur projet était de marcher sur Châlons, et de là sur Paris. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, ayant avec lui Brunswick, commandait en personne la grande armée du centre, forte de plus de 70 000 hommes; sur sa droite et sur sa gauche manœuvraient les Autrichiens et les troupes de l'empire d'Allemagne.

Quant à nous, 30 000 hommes en trois camps couvraient la frontière belge; 15 000 hommes à Landau et 30 000 en Alsace étaient trop éloignés du principal théâtre de la guerre pour influer sur le sort de la campagne.

Restaient, pour s'opposer à la grande invasion, l'armée de Dumouriez à Sedan, forte de 23 000 hommes, et celle de Kellermann, forte de 20 000, autour de Metz. Kellermann était un vieil officier général actif et sévère, dévoué à la Révolution. Dumouriez, à qui Kellermann était subordonné, avait d'abord inspiré peu de confiance aux

« PreviousContinue »