Page images
PDF
EPUB

XX

DEPUIS LE 10 AOUT JUSQU'AU 2 SEPTEMBRE.

La nouvelle des événements du 10 août éclata en Europe comme un coup de foudre. Les réformes de 1789, que jusqu'à ce jour les peuples avaient admirées et enviées, leur devinrent ou odieuses ou suspectes. Tous les ambassadeurs étrangers quittèrent Paris, et l'ordre fut donné aux armées autrichienne et prussienne d'entrer en France.

Lafayette était à Sedan. Là il apprend à la fois et la catastrophe du 10 août et l'arrivée de trois membres que l'Assemblée législative venait d'envoyer pour se saisir de lui. Il les prévient, les fait saisir eux-mêmes et les jette dans la tour de Sedan. Puis il essaye de soulever son armée et de la décider à marcher sur Paris; mais en présence de l'ennemi, cela était-il possible? Désolé à la fois et de son impuissance et de la chute de la Constitution et du sort de la famille royale, il se voit forcé, lui aussi, de quitter cette France, dont pendant trois ans il avait été l'idole. Il voulait se réfugier en Hollande, et de là aux Etats-Unis. Il quitte donc son armée avec Alexandre de Lameth, deux autres anciens constituants, et quelques officiers mais à peine a-t-il franchi la frontière, il est arrêté par les Autrichiens, qui le déclarent, lui et ses compagnons, prisonniers de guerre. Lafayette fut enfermé au château d'Olmütz, où il fut tenu pendant cinq ans au secret le plus rigoureux; sa captivité ne cessa qu'au moment où la France victorieuse fit de son élargissement une des conditions de la paix. Il eût obtenu plus tôt cet élargissement, s'il avait voulu consentir à rétracter sa foi politique; mais il s'y refusa avec constance.

:

Ainsi disparut de l'horizon politique l'étoile de Lafayette, qui devait trente-huit ans plus tard y briller de nouveau, mais d'un éclat affaibli.

Son armée passa sous le commandement de Dumouriez, qui avait sous ses ordres le jeune Louis-Philippe d'Orléans, en qualité de lieutenant général.

En même temps, la France entière, exaltée à la fois et terrifiée, passa sans résistance, nominalement sous le gouvernement de l'Assemblée législative, effectivement sous celui de la Commune de Paris. Le canon tonnait sur toute la frontière allemande et belge; et de tous les points du territoire les volontaires couraient à la frontière ou aux camps d'instruction.

A Paris tous les emblèmes de la royauté disparaissent sous le marteau, sous la hache, dans les eaux, dans les flammes; les statues sont brisées; et sans l'intervention de l'Assemblée législative, la Commune, qui avait déjà fait attaquer les deux arcs de triomphe si célèbres sous le nom de porte Saint-Denis et de porte Saint-Martin, n'y aurait pas laissé pierre sur pierre. Dès lors on commença à effacer les noms des rues ou des édifices, qui avaient un rapport, même éloigné, avec la royauté ou avec la religion, et à les remplacer par des appellations révolutionnaires et républicaines. Il n'y eut pas jusqu'à l'inoffensive appellation de rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice qui ne dût disparaître, à cause du saint; elle devint la rue de Mucius Scévola. On commença à dire (ce qui dura jusqu'au consulat) rue Honoré, rue Denis, faubourg Antoine. Une foule de personnes renoncèrent à leurs prénoms et y substituèrent les noms des républicains célèbres de l'antiquité : Gracchus, Brutus, Miltiade et autres. Cela divertit; ceci épouvante:

L'Assemblée législative présente un spectacle inouï de violence et de faiblesse. Elle délibère au milieu du tumulte et souffre que tout membre qui ose parler dans le sens de la

modération soit accablé d'insultes et de menaces par le public des tribunes. Bientôt même ceux de ses membres qui appartiennent à l'opinion constitutionnelle ne peuvent plus se mêler aux discussions et n'assistent aux séances que parce que la salle est un asile qui les soustrait aux violences personnelles; les Girondins, pour ne pas compromettre leur popularité, luttent d'exaltation avec les Jacobins.

Sous cette pression, l'Assemblée institue un tribunal spécial extraordinaire chargé de poursuivre et de punir immédiatement les auteurs des crimes du 10 août, c'est-àdire les personnes soupçonnées d'avoir voulu défendre le roi et la Constitution; ce tribunal prit pour premières victimes Rohan-Chabot, l'intendant général de la liste civile Laporte, et le journaliste Durozoy.

En même temps, l'Assemblée décide que la ville de Longwy, qui vient de se rendre aux Autrichiens après un bombardement de vingt-quatre heures, sera rasée; que ses habitants seront infâmes et déchus pendant dix ans des droits de citoyens français;

Elle autorise tout commandant d'une place assiégée à faire démolir sur-le-champ les maisons de tous ceux qui parleraient de se rendre;

Elle écoute de sang-froid la motion d'un de ses membres, Jean Debry, qui propose de créer une légion de douze cents tyrannicides, pour attaquer corps à corps, individuellement ou collectivement, et par tous les moyens possibles, les rois et les généraux qui font la guerre à la France;

Elle supprime la garde nationale de Paris et la remplace par les quarante-huit sections armées, nommant chacune ses officiers, et toutes ensemble un commandant général, rééligible tous les trois mois;

Elle envoie à la Monnaie tous les objets d'or et d'argent appartenant aux églises.

La volonté révolutionnaire qui domine l'Assemblée est

devenue un torrent qui entraîne tout. Elle n'a plus, cette Assemblée, que quelques jours à vivre, et elle se hâte de voter les lois les plus subversives :

Elle décide que les habitants de toutes les communes partageront entre eux les biens communaux; ce qui n'eut pas lieu, mais seulement à cause des difficultés d'exécution.

Elle supprime la distinction entre les citoyens actifs et les citoyens non actifs, et elle appelle à voter dans les assemblées primaires et dans les assemblées communales tous les hommes âgés de vingt-cinq ans, sans exception;

Elle déclare que le mariage, n'étant qu'un contrat civil, ne subsiste que par la volonté des parties contractantes; et en conséquence elle autorise le divorce;

Elle amoindrit la puissance paternelle, en fixant la majorité des jeunes gens à vingt et un ans, et en statuant que, passé cet âge, on n'aura plus besoin du consentement des parents pour se marier;

Elle prescrit, sur la demande, ou plutôt sur l'ordre de Danton, ministre de la justice, des visites domiciliaires dans toutes les maisons en France, visites que les autorités municipales feront ou ordonneront quand il leur plaira; elle prescrit spécialement dans Paris des visites domiciliaires nocturnes; et elle décerne contre quiconque entraverait l'exécution de ces mesures, la peine de mort.

Enfin, elle donne un libre cours à sa haine contre les prêtres, dont le veto royal avait arrêté jusque-là l'explosion. Elle bannit du territoire français, sous quinze jours, tous les ecclésiastiques qui, étant assujettis au serment par leurs fonctions, ne l'ont point prêté; et elle leur accorde pour se rendre jusqu'à la frontière la plus proche six sous par lieue; déclarant que qui n'obéira pas, dans le délai prescrit, sera déporté à la Guyane. Quant aux ecclésiastiques qui, ayant renoncé à leurs fonctions, ne

sont pas assujettis au serment, elle donne à l'autorité civile le droit de les bannir ou de les déporter sur la demande de six personnes.

Déjà les biens des émigrés avaient été frappés de séquestre. L'Assemblée confisque ces mêmes biens, et en ordonne la vente immédiate au profit de la nation. Elle fixe les formalités de l'adjudication et de l'aliénation; pour allécher les acquéreurs, elle leur assure les plus grandes facilités. Les districts départementaux furent chargés de cette opération immense, qui dura plus de deux ans, tenant toujours la cupidité en éveil, en même temps qu'elle la satisfaisait. Ces biens, c'est-à-dire près de la moitié du sol français, furent estimés bien au-dessous de leur valeur, et cette valeur dut être soldée en assignats, qui dès lors perdaient cinquante pour cent, et qui tombèrent ensuite rapidement, en sorte que des domaines, valant en réalité un demi-million, furent payés en apparence deux ou trois cent mille francs, et effectivement quinze ou vingt mille. Cette loi, venant après la vente des biens de l'Église, associa aux intérêts moraux et politiques de la révolution des intérêts matériels tellement puissants, que son énergie en fut doublée.

Tandis que l'Assemblée entasse ainsi décrets sur décrets, la Commune de Paris, de son côté, ne reste pas oisive.

Elle ordonne de briser les presses de tous les imprimeurs non patriotes;

Elle chasse des sections tous les citoyens qui n'ont pas des Jacobins ou des Cordeliers pour répondants;

Elle enjoint de tenir toute la nuit les maisons éclairées, interdit la circulation des voitures après dix heures du soir, enrôle et solde les hommes valides et nécessiteux pour les divers services révolutionnaires, et fait exécuter hors des murs des patrouilles continuelles pour saisir quiconque tenterait de s'évader;

« PreviousContinue »