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l'on s'y refuse. Accepterons-nous les conférences? tout cela finira par un ordre du conseil ; nous serons chambrés et despotisés. Si nous n'acceptons pas, le trône sera assiégé de prédictions sinistres; on dira, pour tuer l'opinion par tête, que les communes tumultueuses, indisciplinées, sans système, sans principes, détruiront l'autorité royale. Après avoir cherché une route entre ces écueils, il fit adopter la double proposition de déférer à l'invitation du roi, et en même temps de lui exposer dans une adresse les sentiments et les principes des communes.

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Les conférences furent donc reprises, mais les communes étaient pleines de défiance; et leur doyen ayant été soupçonné d'avoir eu avec Necker, que cependant elles. estimaient et aimaient beaucoup, un entretien secret, elles le remplacèrent immédiatement par Bailly.

Pendant tous ces délais, l'effervescence des esprits, à Paris, à Versailles et dans toute la France, ne cessait de croître. Le ministère prévoyait des troubles, et faisait continuellement masser des troupes autour des deux villes. Ces mesures augmentaient l'irritation en même temps que les alarmes. Le pain renchérissait de jour en jour. A Paris, on ne s'entretenait que de la lutte entre les communes et la noblesse; la ville entière était en proie à une agitation incessante, dont le foyer était au Palais-Royal. Dans le jardin et sous les galeries de ce palais, que son propriétaire, le duc d'Orléans, avait ouvert au public, se tenaient jour et nuit des comices où tout le monde était admis, mais où ne se présentaient guère que des hommes d'une éducation et d'une tenue soignées, qui allaient ensuite, dans leurs quartiers respectifs, donner le mot d'ordre. Entre Versailles et le Palais-Royal les relations étaient incessantes; des gens qui avaient assisté aux séances des communes venaient à toute heure en rendre compte au PalaisRoyal. Le duc d'Orléans ne pouvait se présenter à ses fenêtres sans être salué d'acclamations frénétiques. Les

noms de Necker et de Mirabeau n'étaient prononcés qu'avec enthousiasme. Parmi les orateurs qui parlaient avec le plus de succès dans les groupes, on distinguait un avocat, jeune encore, Camille Desmoulins, un autre avocat, Danton, et aussi quelques autres dont l'ardeur patriotique, non moins véhémente, est restée pure d'excès.

Mais à Versailles, les conférences n'aboutissaient pas, personne ne voulant céder; les communes perdent patience; sur la demande de Siéyès elles adressent aux membres des deux autres ordres une dernière invitation de venir dans la salle des états, pour concourir à la vérification commune des pouvoirs, et les avertissent que l'appel général de tous les bailliages convoqués se fera dès le lendemain. En même temps, elles adoptent une adresse au roi, rédigée par Barnave, et respirant le dévouement le plus sincère.

Dès cet instant, les événements, si longtemps suspendus, vont marcher vite.

Le lendemain, comme il avait été annoncé, la vérification des pouvoirs commence dans la grande salle des états. On fait l'appel des députés nommés, bailliage par bailliage. On appelait d'abord: Messieurs du clergé.... personne ne se présentait; puis: Messieurs de la noblesse.... personne ne se présentait non plus; puis: Messieurs des communes, et chacun, répondant à l'appel, exhibait ses pièces. En même temps on apprenait chaque jour que quelque nouveau bataillon, quelque nouvel escadron venait grossir l'armée qui se massait autour de Paris. L'on se hâtait, mais avec une dignité calme, dans l'attente des événements.

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«La vérification des pouvoirs étant faite, » dit Siéyès, il est constant que l'assemblée est composée de représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation; les absents ne peuvent empêcher les présents d'exercer leurs droits; entre l'assemblée et le trône, il ne peut exister aucun pouvoir négatif, aucun

veto; l'assemblée doit commencer des travaux, mais sous quel nom? »

Plusieurs appellations furent proposées, et par Siéyès lui-même et par d'autres; on les rejeta. Mirabeau voulait celle de Représentants du peuple; mais on craignit que le mot de peuple ne parût exclure la noblesse, et l'on s'arrêta à l'appellation d'Assemblée nationale, que ni le clergé, ni la noblesse ne pouvaient raisonnablement repousser, et on déclara que l'on s'empresserait de recevoir les députés de ces deux ordres dès qu'ils se présenteraient pour faire vérifier leurs pouvoirs; puis, au milieu des cris de Vive le roi! on vota une adresse à Sa Majesté pour lui apprendre que l'Assemblée nationale était constituée. Son doyen, Bailly, devint son président. Tous les membres prêtèrent serment de « remplir leurs fonctions avec zèle et fidélité. » S'emparant aussitôt de la toute-puissance nationale, l'Assemblée émet ce décret mémorable, œuvre de Target et de Chapelier :

« L'Assemblée nationale, considérant que le premier usage qu'elle doit faire des pouvoirs dont la nation recouvre l'exercice, sous les auspices d'un monarque qui, jugeant la véritable gloire des rois, a mis la sienne à reconnaître les droits de son peuple, est d'assurer, pendant la durée de la présente session, la force de l'administration publique;

« Voulant prévenir les difficultés qui pourraient traverser la perception et l'acquit des contributions; difficultés d'autant plus dignes d'une attention sérieuse, qu'elles auraient pour base un principe constitutionnel et à jamais sacré, authentiquement reconnu par le roi et solennellement proclamé par toutes les assemblées de la nation, principe qui s'oppose à toute levée de deniers et de contributions dans le royaume, sans le consentement formel des représentants de la nation;

« Considérant qu'en effet les contributions, telles qu'elles

se perçoivent actuellement dans le royaume, n'ayant point été consenties par la nation, sont toutes illégales, et, par conséquent, nulles dans leur création, extension ou prorogation;

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Déclare, à l'unanimité des suffrages, consentir provisoirement, pour la nation, que les impôts et contributions, quoique illégalement établis et perçus, continuent d'ètre levés de la même manière qu'ils l'ont été précédemment, et ce, jusqu'au jour seulement de la première séparation de cette assemblée, de quelque cause qu'elle puisse provenir;

« Passé lequel jour, l'Assemblée nationale entend et décrète que toute levée d'impôts et contributions de toute nature qui n'aurait pas été nommément, formellement et librement accordée par l'Assemblée, cessera entièrement dans toutes les provinces du royaume, quelle que soit la forme de leur administration.

« L'Assemblée s'empresse de déclarer qu'aussitôt qu'elle aura, de concert avec Sa Majesté, fixé les principes de la régénération nationale, elle s'occupera de l'examen et de la consolidation de la dette publique; mettant dès à présent les créanciers de l'État sous la garde de l'honneur et de la loyauté de la nation française.

Enfin l'Assemblée, devenue active, reconnaît aussi qu'elle doit ses premiers moments à l'examen des causes qui produisent dans les provinces du royaume la disette qui les afflige, et à la recherche des moyens qui peuvent y remédier de la manière la plus efficace et la plus prompte. En conséquence, elle a arrêté de nommer un comité pour s'occuper de cet important objet, et que Sa Majesté sera suppliée de faire remettre à ce comité tous les renseignements dont il pourrait avoir besoin.

« La présente délibération sera imprimée et envoyée dans toutes les provinces.

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Ainsi la résistance de la noblesse avait eu pour résul

tat de donner au mouvement national qui devait irrésistiblement s'accomplir un caractère semi-insurrectionnel. L'Assemblée ne se faisait pas illusion sur les périls qui la menaçaient; elle les voyait venir, mais elle ne les craignait pas.

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Le coup si hardi que venaient de frapper les députés des communes devait plaire à un peuple que séduit toujours le courage, et dès ce moment l'immense majorité des Français leur fut complétement dévouée.

Le lendemain, tandis que la nouvelle Assemblée nationale s'occupait d'organiser ses comités et ses bureaux, la noblesse et le clergé délibéraient au milieu de l'agitation la plus vive.

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Mais la noblesse éprouvait encore plus de joie que de colère; elle jugeait que le tiers état venait de se perdre lui-même. « Si le procureur général faisait son devoir, dit d'Epremesnil, « il décréterait d'arrestation les députés du tiers. » Il proposa une adresse au roi d'une violence extrême. La chambre en adopta une beaucoup plus modérée.

Dans la chambre du clergé, la discussion eut une aigreur et une violence que la dignité de cet ordre ne semblait pas comporter. La majorité des curés, qui dès le principe s'était montrée favorable au tiers, voulait au moment du danger se rallier à lui sur-le-champ; quelques prélats partageaient cet avis, que Juigné, archevêque de Paris, et l'abbé Maury combattaient vainement de toutes leurs forces. Il était alors six heures du soir. Le cardinal de La Rochefoucauld et l'archevêque de Paris quittent la salle, et

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