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en criant qu'on égorge les patriotes, et investissent le château et l'Assemblée, puis se dispersent à la voix de Péthion.

E Deux députés, le Girondin Grangeneuve et le Jacobin Chabot, ex-capucin, imaginèrent de hâter, par une ruse atroce, l'explosion de la fureur populaire. « Il faudrait, » dit Chabot, en présence de quelques collègues, « que deux députés patriotes consentissent à se tuer l'un l'autre, dans les environs des Tuileries, la nuit; le lendemain, quand on trouverait leurs corps, le peuple, à qui l'on : persuaderait aisément qu'ils ont été assassinés par les aristocrates, se soulèverait, et, dans sa fureur, anéantirait le roi, la royauté et la Constitution. Mais qui seront ces deux héros de la liberté ? Je serai l'un, > dit Grangeneuve.» « Et moi l'autre, » dit Chabot. On convint de l'heure et du lieu où ils devaient fondre l'un sur l'autre et se tuer à coups de poignard. Grangeneuve fut exact au rendez-vous, mais il attendit vainement jusqu'au jour; Chabot avait fait ses réflexions et ne vint pas.

Ce qui, mieux que ne l'eût fait cette abominable ruse, contribua à enflammer les passions populaires, ce fut la nouvelle qu'au camp de Jalès s'était reformée une fédération royaliste, et que le duc de Brunswick, généralissime des armées coalisées, venait d'arriver à Coblentz; mais le château de Jalès fut réduit en cendres et la tentative avorta. Le manifeste que lança Brunswick aggrava d'une manière bien plus terrible les dangers de la famille royale. C'est ce même Brunswick qui, quatorze ans plus tard, commandait en chef à léna et y fut tué. Entre autres choses, dans ce manifeste, il disait :

« Les gardes nationaux qui auront combattu contre les troupes des deux cours coalisées et qui seront pris les armes à la main, seront punis comme rebelles. Tous les magistrats sont responsables sur leur tête. Les habitants. qui oseraient se défendre seront punis sur-le-champ selon

la rigueur du droit de la guerre.... La ville de Paris sera tenue de se soumettre sans délai au roi.... Déclarant, en outre, Leurs Majestés Impériale et Royale, sur leur foi et parole d'empereur et roi, que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que s'il est fait la moindre violence, le moindre outrage à LL. MM. le roi, la reine et à la famille royale, s'il n'est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en retireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire, et à une subversion totale, et les révoltés au supplice. »

D

Une bombe incendiaire éclatant au milieu de matières inflammables ne produit pas plus d'effet que l'explosion de ce manifeste n'en produisit en France, où il se répandit de toutes parts avec la rapidité de l'éclair, éveillant jusque dans les moindres hameaux les susceptibilités de l'honneur national..

L'exaltation amène facilement le vertige politique, qui prend des fantômes pour des réalités, qui voit partout des traîtres, et qui rend à la fois défiant et féroce. Ce vertige s'empara de la nation. Voyant dans Brunswick l'interprète et le ministre de Louis XVI et de la reine, qui conspiraient avec lui pour noyer Paris dans le sang des Parisiens, la garde nationale parisienne ne mit aucun obstacle aux projets des révolutionnaires.

Comme le roi, pour montrer de la confiance dans ces périls extrêmes, avait fait rouvrir les grilles du jardin des Tuileries, fermées depuis les dernières émeutes, le public affecta de ne pas mettre le pied dans le jardin et de se porter en foule, par la rue Saint-Honoré, sur la terrasse des Feuillants, que l'Assemblée, par un décret, venait de confisquer et de réunir à son enceinte; on tendit mėme un long ruban entre la terrasse et le jardin ; du côté du jardin on écrivit sur des poteaux: Coblentz, et on

plaça de l'autre côté cette inscription: Ne passez pas sur le territoire ennemi. Un jeune homme ayant passé par mégarde de la terrasse dans une allée voisine, il s'éleva contre lui une huée menaçante; il remonte rapidement sur la terrasse, et là, après avoir ôté ses souliers, il en ratisse la semelle, et rejette les raclures dans l'allée, aux applaudissements frénétiques de toute la foule.

Alors arrivèrent 3000 volontaires de Marseille; ils se rendaient à l'armée, et passèrent par Paris sur l'ordre de l'Assemblée, qui pendant leur séjour dans cette ville leur accorda 30 sous par jour c'étaient des hommes d'une énergie terrible, qui fraternisèrent sur-le-champ avec les fédérés parisiens.

Il est facile aujourd'hui de juger froidement et les événements et les hommes; mais alors la nation presque entière était en proie à une fièvre ardente, dont les fréquents accès se reproduisirent, comme on va le voir, pendant près de deux années, et qui explique les faits sans les

excuser.

XIX

JOURNÉE DU 10 AOUT 1791.

Le dernier conciliabule des chefs du complot, Danton, Marat et les autres, eut lieu à Charenton pendant la nuit.

On choisit le 10 août pour renverser la Constitution, en lançant sur les Tuileries 50 000 hommes en armes. Le maire, Péthion, et le commandant général de la garde nationale, Mandat, pouvaient être embarrassants; le maire, parce que très-probablement il s'opposerait aux assassinats; le commandant, parce que très-certainement il ne faillirait pas à son devoir. Que faire donc de

Péthion? Le retenir prisonnier, sous prétexte de l'empêcher de se compromettre. Que faire de Mandat? L'assassiner. Telles furent les résolutions adoptées. Quant au roi et à sa famille, on était bien décidé à les tuer s'ils se défendaient; mais on aimait mieux, s'il était possible, les prendre vivants.

La nuit du 9 au 10 août fut pour Paris pleine d'agitation; et pour le château, pleine d'angoisses.

Toute cette nuit l'Assemblée resta en séance. Les ministres vinrent la supplier d'envoyer au château une députation nombreuse pour protéger les personnes royales. La demande fut repoussée.

Ni le roi, ni la reine, ni Madame Élisabeth ne dormirent cette nuit-là.

Le roi se renferma quelque temps dans son cabinet. Après s'être recueilli dans la prière, il en sortit, préparé à paraître devant Dieu.

Le roi, la reine et sa sœur se rendirent dans un salon, où 300 royalistes dévoués s'étaient réunis pour les couvrir de leurs corps.

On entendait de tous les clochers le son du tocsin.

De quart d'heure en quart d'heure se succédaient au château des avis qui venaient ou augmenter les transes ou donner quelque faible espoir.

Jamais nuit ne fut plus pleine d'horreur.

A cinq heures on éveilla les enfants, et la reine les fit venir auprès d'elle.

Tandis qu'on veillait ainsi aux Tuileries, on veillait aussi dans les quarante-huit chefs-lieux des sections de Paris, et il s'y passa un fait inouï.

Les conspiratcurs craignaient que quelques honnêtes gens qui se trouvaient dans la municipalité de Paris ne fussent un embarras.

Les sections, où les Jacobins les plus exaltés dominaient depuis quelques jours en maîtres absolus, déclarent

la municipalité déchue de ses pouvoirs, et improvisent pour la remplacer une municipalité nouvelle. Chaque section nomme un membre de la nouvelle commune; et avant l'aurore ces membres, dont quelques-uns appartenaient déjà à la municipalité légale, partent chacun de sa section, entourés de bataillons armés de piques, et vont s'installer à l'hôtel de ville: c'étaient Danton, BillaudVarennes, Santerre, Tallien, Collot-d'Herbois et d'autres, leurs émules. La nouvelle municipalité s'organise rapidement, proclame la destitution des membres constitutionnels de la vraie municipalité, s'adjoint ceux des anciens membres qui étaient Cordeliers ou Jacobins, confirme les pouvoirs de Péthion et de Manuel, mais confine provisoirement Péthion chez lui, en lui donnant des gardes. Tout cela se fait avec une rapidité extrême. La municipalité nouvelle inscrit en tête de ses arrêtés: Au nom de la nation; elle les date de l'an iv de la liberté, et 1er de l'égalité.

Péthion, qui dans la nuit avait paru aux Tuileries, et qui là, dit-on, avait été presque contraint par Mandat de lui remettre un ordre signé pour repousser la force par la force, ayant été arrêté, se trouvait donc, pour le moment, réduit à l'impuissance. Restait Mandat, dont il fallait à tout prix se débarrasser. Il était déjà grand jour. La municipalité envoie chercher Mandat aux Tuileries, où il achevait ses dispositions pour la défense du château, et où, par ses ordres, les bataillons de la garde nationale se rendaient de toutes parts. Mandat croit être appelé par la municipalité légale, ignorant l'existence de l'autre. Il arrive à la hâte. Sans défiance (et pourquoi se serait-il défié ?), il entre dans la salle de l'hôtel de ville; là il se voit en présence de gens inconnus, ou plutôt trop connus, dont le président, après lui avoir adressé une ou deux questions, dit tout à coup : « Qu'on l'entraîne ! » On se jette sur lui; et à peine l'a-t-on entraîné hors

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