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fense; car le roi, pressentant ce mouvement, avait renvoyé la garde suisse, pour éviter une collision et pour ne point paraître se défier du peuple (et cela était aussi sage que courageux), et il n'avait auprès de lui qu'un bataillon de la garde nationale, dont le dévouement était douteux.

A l'approche de l'émeute, on se hâte de fermer la porte royale; mais la foule, en poussant mille cris horribles, menace de l'enfoncer; et en même temps un de ses chefs fait charger un canon, et le traîne contre la porte, en criant: Nous voulons entrer; et, de gré ou de force, nous entrerons. Tous répètent ce cri; et au même instant, par les ordres d'un officier municipal qui se trouvait là, la porte est ouverte. La garde nationale ne s'oppose à rien; en moins de cinq minutes, la cour, les escaliers, les salles du château, sont envahis par les factieux. Un des douze canons dont ils disposent est traîné par eux jusqu'à la salle des Cent-Suisses.

Dans la chambre où se tenait le roi avec sa famille on

avait vu par les fenêtres arriver l'armée de l'émeute, on l'avait vue envahir le château, et on entendait son avantgarde s'approcher rapidement, avec le bruit d'une tempête, à travers les vestibules, les salons, les galeries, tandis que la queue de cette armée inondait encore le Carrousel, le quai, le jardin, le pont, et les rues voisines. Il n'était point de catastrophe que l'on ne pût redouter. L'orage ébranlait déjà les portes de la chambre. Quelques gardes nationaux, entre autres le chef de bataillon Acloque, avaient obtenu l'honneur d'entourer, en ce danger, la famille royale. La reine, éperdue, s'adressant à eux, s'écrie Sauvez votre roi. » Ils tirent leurs épées.

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Eloignez-vous,» dit Louis XVI; « cinq ou dix épées ne les empêcheront pas de nous massacrer, s'ils le veulent. Je me présenterai seul pour leur déclarer que je ne sanctionnerai ni le décret contre les prêtres, ni celui de la formation d'un camp sous Paris. »

Il fait retirer la reine, qui va se réfugier dans la chambre de son fils, et en même temps, comme on frappait violemment à la porte, il ordonne d'ouvrir.

La porte s'ouvre à deux larges battants. La foule hésite un instant à entrer, et reste immobile sur le seuil, en contemplant le roi, frappée de son air de dignité et de bonté. Puis elle se précipite dans l'appartement.

Alors mille cris éclatent, quelques-uns contradictoires. Qu'il s'explique; écoutons-le. Emmenons-le à l'Assemblée. A bas le veto! Mort à l'Autrichienne!

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La sanction! La sanction! »

Enfin, c'est ce dernier cri qui domine. Par-dessus les têtes des groupes qui entourent le roi, les piques se dirigent vers lui, et ces cris ébranlent la salle : « La sanction ! La sanction! Non!» répond le roi.

La foule ne cessait d'affluer; et le roi, retiré dans l'embrasure d'une fenêtre avec le petit groupe de ses défenseurs, voyait sans pâlir défiler ces bandes qui le menaçaient de leurs piques et inclinaient vers lui leurs bannières chargées d'emblèmes sanglants et d'inscriptions outrageantes. Elles roulaient dans le château, de chambre en chambre, comme un torrent. Madame Elisabeth, bravant tout, se fraye un passage jusqu'auprès de son frère : « Voilà l'Autrichienne, dit un des assaillants; « saisissons-la. Non», s'écrie un garde national, « c'est Madame Elisabeth. -Ah! » dit la princesse, « pourquoi les détromper? Leur erreur pouvait sauver la reine. »

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La chaleur était affreuse; le roi était en nage. Au milieu des cris, une voix se fait entendre: « Buvez à la santé de la nation. » Et de main en main on se transmet un verre de vin qu'on lui présente. » Le roi tend la main pour prendre le verre. « Q'allez-vous faire, sire?» s'écrie une voix; « qui sait si ce vin n'est pas empoisonné? Non, sire,» dit un garde national, « on n'en veut point à votre vie, on n'a voulu que vous faire peur. Touchez là, » lui dit le

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roi en lui prenant la main et en la plaçant sur son cœur, « et jugez si j'ai peur. »

à

peu.

Il boit en entier le verre de vin. Cette marque de condescendance et de confiance apaise la foule et l'exalte en même temps. On lui crie : « Mettez sur votre tête le bonnet de la liberté. » Il y consent; et quelques applaudissements se mêlent aux cris: La sanction! A bas le veto! qui commencent à devenir plus rares: peu à peu la foule afflue moins rapidement, s'écoule plus vite; elle disparaît enfin; et l'on n'entend plus que d'un peu loin le bruit des pas et le murmure des voix, décroissant peu La reine, retirée dans la chambre de son fils avec la princesse de Lamballe et quelques autres dames, avait peine à se contenir; elle tremblait pour les jours de son époux et voulait aller partager son sort. On l'avait retenue, on lui avait prouvé que, si elle paraissait au milieu de cette foule acharnée contre elle, elle ajouterait aux périls du roi. Mais une des dérivations de ce torrent impétueux qui circulait dans le château arrive à la porte de cet asile; la porte résiste; les émeutiers l'enfoncent à coups de hache. La reine s'enfuit par une autre porte et se réfugie dans la salle du conseil, voisine de celle où était le roi. Là des gardes nationaux l'entourèrent et la protégèrent; ils l'avaient fait asseoir contre une table; elle tenait d'une main sa fille, de l'autre son fils; au-dessus de sa tête ils avaient étendu, comme sauvegarde, le drapeau de leur bataillon; sur la tête de l'enfant ils placèrent un bonnet rouge. La foule qui entra dans cette salle ne commit aucun nouvel excès.

Il était six heures du soir. Le maire de Paris, Péthion, parut enfin. Quant à Manuel, procureur de la commune, il n'avait cessé, pendant tout le temps, de se promener tranquillement sous les fenêtres du palais.

On assure que Péthion, tandis que la foule s'écoulait, dit au roi « Le peuple s'est présenté avec dignité; le peu

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ple sortira de même que Votre Majesté soit tranquille. » On assure qu'il ajouta, en s'adressant aux émeutiers qui s'en allaient « Vous venez de prouver que vous êtes un peuple libre et sage; maintenant, retirez-vous, je vais vous en donner l'exemple; et qu'après ces mots il se retira en effet.

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Le palais ne fut entièrement délivré qu'à huit heures du soir. Alors le roi rentra dans sa chambre, où la reine avec ses enfants l'attendait. Dès qu'elle le vit, elle se jeta dans ses bras, et il la tint quelques instants pressée contre sa poitrine. Une députation de l'Assemblée, qui venait d'arriver, était présente, et les cœurs, même les plus insensibles, étaient vivement émus. L'Assemblée avait déjà envoyé une première députation auprès du roi; elle en envoya ensuite une troisième.

Avant la fin de la crise, Louis XVI avait dit à un des députés qui se trouvaient au près de lui : « Il se pourrait bien qu'aujourd'hui le représentant héréditaire de la nation et quelques-uns de ses représentants temporaires ne vissent pas la fin de la journée... Après tout, on en parlerait beaucoup demain, et ensuite l'on n'y penserait peut-être plus.»

Le lendemain, il y eut encore quelques mouvements autour du château. L'enfant royal se réfugia plein d'effroi dans les bras de sa mère, en s'écriant: « Ah! maman! est-ce qu'hier n'est pas fini? »

Louis XVI adressa au peuple français une proclamation, cri suprême de la royauté en détresse, résolue à périr plutôt que de s'avilir. « Si les hommes, » dit-il, « qui veulent la ruine de la monarchie, ont besoin d'uff crime de plus, ils peuvent le commettre; jamais on n'arrachera au roi rien contre ce qu'il regarde comme l'intérêt public et contre son devoir. »

XVIII

DEPUIS LE 20 JUIN JUSQU'AU 10 AOUT.

La journée du 20 juin avait prouvé deux choses : l'une que le roi ne céderait pas, et qu'on n'obtiendrait de lui, contrairement à sa conscience, ni le rappel des ministres girondins, ni le décret contre les ecclésiastiques, ni la formation d'un camp révolutionnaire sous Paris; l'autre, que contre lui l'on pouvait tout oser, et que ni l'Assemblée, ni la municipalité, seules puissances alors reconnues, ne tenteraient de le défendre.

A la nouvelle de cet événement, Lafayette avait été saisi d'horreur. Il accourut à Paris, lut à l'Assemblée une lettre dans laquelle il la suppliait de supprimer les clubs et de soutenir la Constitution menacée. Ses supplications véhémentes n'obtinrent rien. A la vérité, une protestation contre les événements du 20 juin fut couverte sur-lechamp à Paris de 20 000 signatures. Mais les amis de l'ordre ne faisaient que signer, et leurs adversaires agissaient. Lafayette repartit pour son armée, le cœur plein des plus tristes pressentiments.

Dès qu'il eut quitté Paris, la municipalité brisa son buste, qu'elle avait placé dans la salle de ses séances, et son effigie fut brûlée dans le Palais-Royal, sous les yeux de Philippe d'Orléans. Au nom des Jacobins, Collotd'Herbois dénonça Lafayette à l'Assemblée comme un soldat factieux, organe des tyrans conjurés. Les débats sur cette dénonciation eurent lieu au milieu d'une agitation excessive en dedans de l'Assemblée et au dehors. Les Girondins aussi s'acharnaient à la perte de Lafayette; mais le centre, pour cette fois, se réunit aux Constitutionnels. L'Assemblée déclara qu'il n'y avait lieu à suivre. Cette décision fut accueillie par la multitude avec des cris

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