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citoyens de tout âge et de tout sexe, admis indistinctement à assister à des prédications criminelles, peuvent s'abreuver journellement de ce que la calomnie a de plus impur, la licence de plus contagieux: où l'on dit tout haut que le veto n'est pas plus difficile à renverser que la Bastille, où le récit d'un meurtre atroce, accompagné des plus cruelles circonstances, a été couvert d'horribles applaudissements. »

De son camp Lafayette écrivait à l'Assemblée contre les Jacobins une lettre non moins véhémente. Mais, en vain Lafayette à l'armée, et La Rochefoucauld à Paris, donnaient à l'Assemblée, au Gouvernement, à tous les amis d'une sage liberté, le signal d'une sorte d'insurrection contre cette puissance illégale et si fortement organisée; enivrés de leur popularité, les chefs des Girondins n'écoutèrent point les voix qui les auraient sauvés.

C'est alors que Roland, Clavière et les autres ministres, voulurent contraindre Louis XVI d'adhérer à des mesures inouïes, que l'Assemblée, d'accord avec eux, venait de résoudre contre les ecclésiastiques insermentés. Le projet de loi voté par l'Assemblée armait toutes les autorités locales du droit de déporter tout prêtre que vingt pétitionnaires dénonceraient comme troublant l'ordre public; le prêtre qui ne se serait pas conformé à l'arrêté de déportation serait condamné pour ce seul fait, par les tribunaux, à dix ans de détention. »

Comment espérer que le juste et pieux Louis XVI sanctionnerait un tel décret? Roland, Clavière et les autres, ni par prières, ni par menaces, ne purent l'obtenir.

Tandis qu'on se déchaînait ainsi contre les ecclésiastiques qui avaient refusé le serment, quelques-uns de ceux qui l'avaient prêté ne semblaient guère s'honorer de leur profession. Dans l'Assemblée, un des évêques constitutionnels (ils y étaient assez nombreux) demande que le costume ecclésiastique, hors de l'exercice des fonctions sacerdotales, soit supprimé. A l'instant même, un évêque

se dépouille de sa croix d'or; Fauchet, évêque du Calvados, ôte sa calotte de sa tête et la met dans sa poche, au milieu des applaudissements et des éclats de rire.

Le veto opposé par le roi au projet de loi révolutionnaire qui frappait les prètres avait violemment irrité l'Assemblée; mais la volonté du roi, sur ce point, était inflexible, et il était décidé à résister, s'il le fallait, jusqu'à la déchéance et à la mort.

Pour se venger du refus du roi, l'Assemblée, peu de jours après, supprima sa garde constitutionnelle comme soupçonnée d'incivisme.

Le roi, qui venait de rejeter un décret qui blessait sa conscience, accepta celui-ci, qui ne mettait en danger que sa vie.

Sa garde fut donc sur-le-champ licenciée; et pour veiller à la sûreté de sa personne, il ne lui resta que la garde nationale de Paris et quelques compagnies suisses. Les événements se pressent.

Les ministres, qui n'avaient pu arracher au roi la loi contre les prêtres, n'espérant point obtenir son adhésion à une autre mesure révolutionnaire qu'ils avaient projetée, osèrent la présenter à l'Assemblée de leur chef, et sinon malgré lui, du moins sans avoir reçu son autorisation. Voici le texte de cette proposition :

« A l'occasion de l'anniversaire du 14 juillet, chaque canton choisira 5 hommes armés dont la réunion formera un camp de 20 000 hommes sous Paris. »

Le but évident de ce projet était d'opposer à la garde nationale parisienne, encore redoutée des agitateurs, une armée révolutionnaire; car les choix, faits dans un tel moment et sous l'influence des Jacobins, ne pouvaient porter que sur des hommes d'une exaltation excessive. Aussi, dès que cette proposition, immédiatement adoptée par l'Assemblée, fut connue dans Paris, elle y causa les plus vives alarmes; et une pétition, par laquelle le roi était

supplié d'y apposer son veto, fut couverte en un instant de 8000 signatures.

Pour refuser sa sanction, le roi n'avait pas attendu cette pétition.

Roland alors lui adressa une lettre fameuse, qui fut répandue à profusion, et qui peut se résumer ainsi : « La fermentation est excessive et universelle; vous ne la calmerez point par des paroles, mais par des actes. Il faut vouloir tout ce que veut le peuple. Or le peuple veut la proscription des prètres insermentés; il veut le camp sous Paris. L'Assemblée lui a accordé ces deux choses; si vous persistez à les lui refuser, il les prendra. »

Le roi vit qu'il fallait nécessairement ou céder ou périr. De ces deux maux il préféra le moindre.

Il destitua Roland, Servan et Clavière.

Dumouriez, qui, tout en partageant leur opinion, avait blâmé leur conduite inconstitutionnelle, et qui s'imposa alors au roi comme ministre de la guerre, crut l'occasion favorable pour arriver au faîte du pouvoir et de la gloire; il renouvela à Louis XVI l'assurance du plus entier dévouement, et lui répondit de sauver la royauté et la constitution s'il consentait à sanctionner les deux décrets. Louis lui signifia son refus d'un ton que Dumouriez ne lui avait jamais vu prendre ; et après deux jours, Dumouriez, obligé de remettre son portefeuille, fut placé à la tête d'une armée, ce qu'il ambitionnait depuis longtemps.

Le nouveau ministère fut composé d'hommes insignifiants, dont il est inutile de recueillir les noms.

En rompant ainsi avec la Gironde, Louis XVI avait compris que pour lui le moment suprême n'était pas loin. Il se refusa à plusieurs projets de fuite qui lui furent proposés alors, et qui ne lui inspiraient aucune confiance; d'ailleurs à tous ces projets le nom de Lafayette était mêlé, et le nom de Lafayette était odieux à la reine.

Après avoir pris cette résolution décisive, le roi tomba quelque temps dans une affreuse mélancolie. Il fut dix jours de suite sans articuler un mot, même au sein de sa famille.

La reine (dit Mme Campan dans ses Mémoires) le tira de cette position en se jetant à ses pieds, en employant tantôt des images faites pour l'effrayer, tantôt les expressions de sa tendresse pour lui. Elle réclamait aussi celle qu'il devait à sa famille, et alla jusqu'à lui dire que, s'il fallait périr, ce devait être avec honneur, et sans attendre qu'on vînt les étouffer l'un et l'autre sur le parquet de leur appartement. »>

Louis reprit son empire sur lui-même. Il relut l'histoire de Charles Ier. Il relut surtout l'Imitation de Jésus-Christ, livre tout plein d'encouragements et de consolations, et qui disait plus encore à lui qu'aux autres lecteurs, puisque, destiné à imiter jusqu'à la fin son divin modèle, il allait, lui aussi, avoir son calvaire.

XVII

JOURNÉE DU 20 JUIN 1792.

En apprenant le renvoi du ministère girondin, la presse révolutionnaire avait poussé des cris de fureur; Lafayette fit éclater la satisfaction la plus vive. Il écrivit à l'Assemblée et la supplia de profiter de cette occasion pour fermer les clubs.

Loin de là, elle déclare, par un décret, que Roland, Servan et Clavière, ont bien mérité de la patrie.

Dès ce moment, les Girondins s'unissent plus étroitement que jamais aux Jacobins, qu'ils n'aiment ni n'estiment, mais qu'ils espèrent diriger d'abord et renverser ensuite. Ils ont voué à Louis XVI une haine personnelle, à la royauté une guerre à mort. Leurs tendances républicaines sont devenues une révolte non encore

déclarée, mais implacable, contre la Constitution. Ils rêvent pour la France une république ou athénienne, ou spartiate, ou romaine, ou américaine; cette république, ils la veulent honnête et la parent déjà en idée de toutes les vertus, de toutes les gloires; mais chaque fraction de parti entend l'arranger à sa fantaisie.

Ce que les Jacobins prêchaient plus que jamais, c'était l'égalité ce mot exaltait les classes inférieures, qui, enivrées par les flatteries des Jacobins, s'attribuaient alors exclusivement ce nom de peuple, nom qui, détourné ainsi de sa vraie signification, contribua beaucoup à donner une apparence de légitimité à tous les excès. Mille personnes ameutées sur un point de la ville, cent personnes vociférant dans les tribunes de l'Assemblée, vingt personnes dans une rue, quatre personnes dans un cabaret, sont le peuple.

Ce peuple-là, furieux du renvoi des ministres patriotes, voulut essayer de contraindre Louis XVI par la peur à rappeler ces ministres et surtout à sanctionner les deux projets de loi. L'effervescence qui régnait dans les faubourgs faisait comprendre qu'une grande manifestation allait avoir lieu. L'air était chargé de tempêtes, comme à la veille des journées d'octobre. La manifestation fut fixée par Santerre et par les autres Jacobins directeurs d'émeutes au 20 juin, troisième anniversaire du fameux serment du jeu de paume.

des

Sous prétexte de solenniser ce jour, et d'aller défiler en armes devant l'Assemblée, dès le matin, plusieurs bandes de fédérés armés de piques se mettent en marche, faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, recrutent sur leur route une foule de gens armés; et, arrivées sur la place du Carrousel, se trouvent réunies au nombre de plus de 20 000 hommes, tous animés d'une fureur sombre, et proférant des clameurs menaçantes.

La cour et le jardin du palais étaient presque sans dé

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