Page images
PDF
EPUB

mande à être entendu. Malgré les efforts de Vaublanc et de Mathieu-Dumas, cette demande si juste est rejetée. Brissot, secondé par Guadet et par Vergniaud, obtient, séance tenante, un décret d'accusation contre Delessart, à qui ses amis conseillèrent inutilement la fuite, et qui, se fiant à son innocence, se laissa le soir même conduire à Orléans. Deux autres membres du cabinet, menacés du même sort, donnèrent leur démission.

Le ministère feuillant ou constitutionnel se trouve ainsi désorganisé et dissous. Les chefs de la Gironde, Brissot, Condorcet, Gensonné, font promettre au roi qu'ils calmeront leur parti, s'il veut choisir parmi eux ses nouveaux ministres; et le roi se voit obligé d'accepter les hommes que la Gironde lui impose. Ces hommes, d'après la Constitution, ne pouvaient être pris dans l'Assemblée.

Roland eut l'intérieur, Clavière les finances, Dumouriez les affaires étrangères, et quelques jours plus tard, Servan la guerre. Brissot, Gensonné et leurs amis, qui menaient déjà l'Assemblée, menèrent aussi le ministère; la droite fit de l'opposition avec plus d'énergie que d'espoir; elle ne cessa d'etre accusée de vouloir renverser la Constitution pour avoir deux Chambres, par ceux qui voulaient renverser cette même Constitution pour avoir la république. La Gironde était donc devenue maîtresse des affaires; nous allons la voir à l'œuvre.

XVI

MINISTÈRE GIRONDIN.

Deux hommes dans le ministère avaient une valeur réelle, Roland et Dumouriez.

Roland, ancien inspecteur des manufactures, ne manquait ni de lumières ni de talents; son caractère était

ferme, sa probité était austère; passionné pour les vertus républicaines, il en offrait en lui l'image; sa femme, mieux encore. Mme Roland était l'âme et la gloire du parti de la Gironde, dont les chefs, depuis quelques mois, se réunissaient dans ses salons. Belle, énergique, lacédémonienne par le caractère, athénienne par le goût et par l'esprit, elle imprimait l'impulsion au parti, composait les circulaires de Roland et était plus ministre que lui.

Dumouriez était un ancien officier général, remarquable par un caractère entreprenant, par une activité infatigable, par une perspicacité rare.

Dumouriez et ses collègues voulurent que la France jetât un défi à ceux qui la menaçaient et déclarât sur-lechamp la guerre à François II. Louis XVI dut se résoudre à cette démarche. Son inclination personnelle l'en éloignait; mais il pensa que son devoir de roi constitutionnel l'y obligeait.

Le roi vint donc à l'Assemblée, accompagné de ses ministres. Là il exposa les griefs de la France contre l'Autriche, « qui ne cessait de donner des encouragements aux émigrés et de leur fournir des armes, qui couvrait notre frontière de soldats, et qui excitait le reste de l'Europe contre nous. Il était donc urgent de répondre à ces provocations par une déclaration de guerre. » En prononçant ces paroles, la contenance du roi était ferme, mais triste, et l'altération de sa voix trahissait l'inquiétude mortelle de son âme. Il retourna à son palais, après avoir ainsi donné à contre-cœur le signal de cette guerre, qui devait hâter sa perte et celle de tous les siens, et embraser le monde pendant un quart de siècle.

L'Assemblée entra en délibération sans désemparer, et très-avant dans la nuit, à la presque unanimité, la guerre fut déclarée à François, roi de Hongrie et de Bohême, et de plus empereur d'Allemagne.

Cette nouvelle, qui se propagea rapidement en France, y

fut partout accueillie avec des transports de joie. Robespierre et les Jacobins, craignant que la guerre ne rendit à Lafayette son influence, se montrèrent d'abord mécontents; puis, de peur de perdre leur popularité, les Jacobins se montrèrent aussi belliqueux que les autres, tout en redoublant d'efforts pour anéantir la discipline dans l'armée. Le premier devoir des soldats en ce moment, »> écrivait Marat dans son journal, « c'est de massacrer leurs chefs. » Un mandat d'arrestation fut lancé contre lui, et en même temps contre un écrivain monarchiste, Royou, qui faisait aux principes de la Révolution une guerre acharnée. Royou se cacha, Marat ne fit que rire du mandat lancé contre lui, qui ne fut point exécuté, et, la municipalité ayant fait enlever ses presses, les frères et amis (c'est ainsi que les Jacobins se nommaient entre eux) lui en fournirent sur-le-champ de nouvelles.

L'armée du centre, forte de 52 000 hommes, et couvrant la frontière, depuis Weissenbourg jusqu'à Philippeville, fut confiée à Lafayette, qui sortit en toute hâte de sa retraite. Lorsqu'il avait quitté Paris, la garde nationale lui avait fait présent d'une épée forgée avec un verrou de la Bastille; lorsqu'il y repassa pour se rendre à l'armée, cette même garde nationale fit la haie jusqu'au delà des barrières, aux acclamations de tout le peuple, et l'Assemblée, à laquelle il se présenta, lui dit, par l'organe de son président : « Nous sommes tranquilles, nous opposons à l'ennemi la Constitution et Lafayette. » Il adressa à son armée un très-bel ordre du jour; elle était enthousiaste de lui, on ne l'appelait que le héros des Deux Mondes, et il espérait en ce moment, avec de grandes chances de succès, la double gloire de repousser l'ennemi du dehors et d'écraser l'ennemi du dedans, le jacobinisme.

Rochambeau, avec l'armée du nord, forte de 48 000 hommes, couvrait la frontière depuis Philippeville jusqu'à Dunkerque; et Luckner, avec l'armée du Rhin, un peu

moins forte, depuis Weissenbourg jusqu'à Bâle. La frontière des Alpes et des Pyrénées, que l'étranger ne menaçait pas encore, était gardée par des troupes assez peu nombreuses, sous le commandement de Montesquiou.

Et cependant, le début de ces grandes guerres, qui devaient être si glorieuses, fut horrible. Dumouriez avait voulu que l'on prît sur-le-champ l'offensive, et qu'on se jetât inopinément sur la Belgique, où la présence des troupes pouvait rallumer le feu d'une insurrection contre l'Autriche qui avait éclaté en 1790, et que la prudence de Léopold avait promptement étouffée. Deux lieutenants de Rochambeau, Théobald Dillon et Biron, reçoivent l'ordre de se porter, le premier, de Lille sur Tournay, avec 4000 hommes; le second, de Valenciennes sur Mons, avec 10 000. Mais à peine Dillon a-t-il franchi la frontière à Quiévrain et aperçu l'ennemi, qu'une terreur panique s'empare de ses troupes; on s'écrie: « Nous sommes trahis! Sauve qui peut! » Le corps d'armée de Biron éprouva, de son côté, la même déroute, avec des circonstances exactement semblables. Dans leur fuite, les soldats de Dillon, accusant leur chef de les avoir trahis, le massacrèrent. Lafayette accourt à la hâte, rétablit l'ordre, et ayant battu les Autrichiens dans trois affaires d'avantposte, retrempe le moral des troupes. Rochambeau, qu'on empêcha de sévir contre les assassins de son lieutenant, donna sa démission et ne fut pas remplacé; ses troupes furent partagées entre Lafayette et Luckner. On résolut de se tenir, jusqu'à nouvel ordre, sur la défensive, et les ennemis, n'étant pas encore prêts, n'attaquèrent pas.

Ces événements, redoublèrent l'irritation contre les aristocrates, qu'on accusa d'avoir envoyé des émissaires dans les deux camps pour crier le fatal sauve qui peut! Nonseulement Dillon ne fut point vengé; mais les Jacobins, à leur tribune, firent l'éloge de ses assassins. Il y eut, à cette occasion, dans leurs journaux, de cruelles allusions contre

le prétendu comité autrichien, contre Marie-Antoinette et contre Louis XVI, à qui la nomination du ministère girondin n'avait pas rendu la faveur populaire, parce qu'il avait fait, disait-on, cette nomination à contre-cœur, et contraint par la nécessité. Ainsi tout lui était imputé à crime. Ce qu'il faisait dans le sens de la Révolution était attribué à la peur; et ce qu'il faisait dans un autre sens, à la trahison. Jusque dans son palais, parvenaient à ses oreilles mille cris menaçants contre la reine et contre lui. L'effervescence martiale des Parisiens croissait de jour en jour; la municipalité avait fait donner des piques à tous ceux qui voulaient se fédérer pour la défense du pays; et, à l'instigation de Santerre, brasseur de bière, démagogue trèsinfluent dans le faubourg Saint-Antoine, les fédérés des faubourgs vinrent, armés de ces piques, défiler militairement devant l'Assemblée, après avoir lancé sur le château, en passant, des regards farouches.

« Recevez l'hommage de nos piques,» dit l'orateur de ces bandes; «< nous vous prions de surveiller le château des Tuileries. Nous sommes prêts à purger la terre des amis du roi, et à le contraindre lui-même à ne plus nous tromper. Le réveil du lion n'est pas loin. »

Roland, tout honnête homme qu'il était, fermait les yeux sur ces excès et sur tous les autres de même nature. Et cependant ses circulaires, adressées aux autorités départementales, prêchent la modération et la sagesse, et annoncent qu'il soutiendra la Constitution jusqu'à la mort. Il pensait sans doute alors ce qu'il disait.

Mais le directoire départemental de Paris, ayant audessus de lui Roland, et au-dessous Péthion, et impuissant à empêcher le mal, sous la pression de ces deux hommes, répondit résolument aux circulaires, par l'organe de La Rochefoucauld, en feignant d'apprendre à Roland ce que Roland savait aussi bien que lui, « l'existence à Paris d'une chaire publique de diffamation, où les

« PreviousContinue »