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Sur la demande d'Avignon et du comtat Venaissin, et en vertu des anciens droits de la France, elle déclare que ces deux Etats font partie de l'empire français.

Elle accorde au roi une garde constitutionnelle de douze cents fantassins et six cents cavaliers. Elle maintient provisoirement la garde suisse.

Elle rend sur l'état des colonies des décrets qui, venant trop tard et mal exécutés, ne purent empêcher que l'opulente colonie de Saint-Domingue fût à jamais perdue pour

nous.

Déjà elle avait fait transporter au Panthéon, en grande pompe, les restes de Voltaire. Elle déclare que JeanJacques Rousseau est digne des mêmes honneurs, mais que, par respect pour ses dernières volontés, ses cendres continueront de reposer à Ermenonville.

Elle statue sur une infinité d'objets de législation, de codification ou d'administration générale.

De ces dispositions, la plus importante est le décret qui déclare que le mariage, considéré jusque-là en France comme un lien essentiellement religieux, n'est, aux yeux de la loi, qu'un simple contrat civil; décret dont une des conséquences fut que la tenue des registres de l'état civil, qui avait jusqu'alors appartenu au clergé, devint une attribution municipale.

Enfin, après douze jours d'étude et de méditation, Louis XVI déclare qu'il accepte l'acte constitutionnel.

Il acceptait sincèrement, ne doutant point que l'exercice de la portion de pouvoir qui lui était attribuée ne lui permît, sinon de faire beaucoup de bien, du moins d'empêcher beaucoup de mal.

A cette acceptation il ne mit qu'une condition, c'est qu'une amnistie générale serait accordée à toutes les personnes accusées ou condamnées pour des faits relatifs à la révolution; et l'Assemblée, avec autant d'empressement que de bonne grâce, y ajouta l'annulation d'une loi par

laquelle elle avait frappé d'une contribution extraordinaire les biens des émigrés.

La nouvelle de l'acceptation fut accueillie par l'immense majorité de la population parisienne avec des transports de joie. Elle couvrit, par des acclamations presque unanimes, les cris de défiance et de haine que la démagogie ne manqua pas d'exhaler. La reine et le roi eurent encore quelques beaux jours et purent se croire aimés. Quand le roi alla solennellement à l'Assemblée prêter serment à la Constitution, les démagogues se cachèrent ou se turent; et cette population si impressionnable et si mobile mêla avec enthousiasme aux cris de Vive la nation! celui de Vive le roi ! La ville, le palais, les ChampsÉlysées, furent brillamment illuminés. Paris eut une de ces belles fêtes dont il aime tant à jouir, et qu'il oublie si vite.

J'ai déjà fait connaître en peu de mots ce que cette Constitution offrait de plus important : j'ai dit tout ce qui est nécessaire à l'intelligence de ce qui va suivre. J'ai expliqué comment, par l'organisation judiciaire et administrative, le roi et ses ministres, privés d'initiative, étaient réduits à un droit de surveillance générale. Dans toutes les communes, à Paris comme ailleurs, le maire seul pouvait donner des ordres à la force armée; et ni l'autorité départementale ne pouvait prescrire au maire, ni les ministres ne pouvaient prescrire à l'autorité départementale de donner ces ordres; du moins c'est ainsi que la Constitution fut entendue et exécutée à Paris.

C'est le 1er octobre 1791 que, laissant la France entre les mains du roi constitutionnel et de l'Assemblée législative, les membres de l'Assemblée constituante sortirent de leur salle, pour rentrer de cet exercice de la toute-puissance dans la vie privée; car non-seulement ils s'étaient interdit à eux-mêmes le droit de faire partie de la législature et du ministère; mais ceux qui, comme Bailly et Lafayette,

occupaient des postes éminents, crurent, par délicatesse, devoir s'en démettre. Tandis qu'ils défilaient au sortir de leur salle et se dispersaient, la multitude les contemplait dans un profond silence. Seuls, Robespierre et Péthion recurent une sorte d'ovation, que les Jacobins leur avaient préparée, et l'on entendit retentir ces cris : « Vive le vertueux Péthion! vive l'incorruptible Robespierre! »

Telles sont les acclamations de sinistre augure qui signalèrent la transition du régime provisoire au régime

nouveau.

Les Jacobins, les Cordeliers et les autres agitateurs voyaient avec joie cette Assemblée toute-puissante, qui en les tolérant les dédaignait et les contenait, remplacée par une autre, qu'ils espéraient entraîner et dominer.

Les membres qui avaient appartenu à la droite émigrèrent en grande partie; Maury alla à Coblentz, où il reçut le meilleur accueil, et de là à Rome, où il fut fait cardinal.

L'Assemblée nationale constituante avait siégé vingt-neuf

mois;

Ses membres avaient reçu une indemnité de dix-huit francs par jour;

Elle avait rendu environ 2500 lois ou décrets.

J'ajoute ici aux faits déjà mentionnés :

Qu'elle établit dans l'administration des finances un ordre inconnu avant elle;

Qu'elle rendit aux descendants de tous les Français qui s'étaient expatriés lors de la révocation de l'édit de Nantes, non-seulement leur nationalité, mais leurs biens; ces biens, par ordre de Louis XIV, avaient été nou confisqués, mais séquestrés;

Que, sur la demande de l'Académie des sciences et sur le rapport de Talleyrand, elle décida que l'on établirait des poids et des mesures uniformes, et que, pour obtenir une unité de mesuré universelle et invariable, qui pourrait être

adoptée par toutes les nations étrangères, on adopterait pour base de ce nouveau système la longueur du quart du méridien terrestre, dont un arc serait mesuré entre Barcelone et Dunkerque.

Ainsi finit cette assemblée, dont la gloire, malgré de graves fautes, sera immortelle, par les lumières de ses membres, par leur courage, par leur désintéressement, par leur patriotisme également ardent et sincère sur tous les bancs sans exception, par le talent incomparable de ses orateurs; assemblée qui, tout en détruisant ce que l'ancien régime avait de mauvais, a fait voir ce qu'avait d'excellent cette France même de l'ancien régime, qui avait pu produire, en telle quantité, de tels hommes.

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

XV

MINISTÈRE CONSTITUTIONNel.

Pour apprécier les faits qui vont suivre, il faut bien se rappeler que la liberté n'avait pas été établie en France par un mouvement progressif, mais par une irruption violente, et que, comme toutes les puissances peu sûres d'ellesmêmes, elle était à l'excès inquiète et soupçonneuse, ne rêvant que complots, tyrannie, trahisons; et toutes les prérogatives laissées au roi lui semblaient autant de bastilles où le pouvoir absolu pouvait se retrancher contre elle.

La société n'était pas, comme celle de nos jours, instruite par une longue série de fautes et de malheurs, et formée presque en entier d'hommes dont la position est nettement prononcée; mais elle était dans une perpétuelle ébullition, composée d'hommes également inquiets, les uns parce qu'ils craignaient de perdre ce qu'ils venaient de conquérir, les autres parce qu'ils désiraient de reprendre ce qu'ils avaient perdu; les uns et les autres inhabiles encore à manier les institutions nouvelles; la guerre étrangère étant aux portes, et menaçant de se compliquer d'une guerre civile; et la religion, qui calme tant d'autres maux, ne pouvant qu'aviver ceux-là, obligée qu'elle était de se débattre à la fois et contre la philosophie qui l'opprimait, et contre le schisme qui la déchirait.

Mais, par un rare bonheur, la France avait à la tête du

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