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peine si le roi put se promener dans le jardin, qui resta fermé au public.

En même temps l'Assemblée décréta Bouillé d'accusation, licencia les gardes du corps et suspendit Louis XVI de l'exercice des fonctions royales : « On informera sur l'enlèvement du roi; une commission de trois membres recevra sa déclaration et celle de la reine. »

Dès que ces décrets eurent été rendus, c'est-à-dire dès le lendemain matin, Lafayette se présenta devant le roi, dont l'air majestueux et calme le frappa. « Sire, » dit Lafayette, « Votre Majesté connaît mon attachement pour Elle; mais je ne lui ai point laissé ignorer que si Elle séparait sa cause de celle du peuple, je resterais du côté du peuple. - C'est vrai. Je dois vous dire franchement que jusqu'à ces derniers temps j'avais cru être dans un tourbillon de gens de votre opinion, dont vous m'entouriez; j'ai reconnu dans ce voyage que je m'étais trompé, et que cette opinion est l'opinion générale. -Votre Majesté at-elle quelque ordre à me donner? — Il me semble,» reprit le roi en souriant, que je suis plus à vos ordres que vous n'êtes aux miens. »

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La déclaration du roi écrite de sa main porte que les motifs de son départ sont les outrages et les menaces qui avaient été faits à sa famille et à lui-même, et qu'il n'avait pas eu l'intention de sortir du royaume.

« J'ai reconnu dans mon voyage, » dit-il en finissant, « que l'opinion publique était décidée en faveur de la révolution; j'oublierai volontiers tous les désagréments que je puis avoir essuyés, pour assurer la paix et la tranquillité de la nation. »

Dans la déclaration de la reine, sa magnanimité respire; elle ne songe qu'à justifier (si ce mot peut convenir ici, car quelle loi divine ou humaine défendait à Louis XVI et à sa famille d'user d'une liberté commune à tous?) les personnes qui pouvaient se trouver compromises.

Cette fuite de la famille royale, qui, si elle eût réussi, aurait permis à Louis XVI, devenu libre, de montrer toute sa bonté, toute sa résignation aux sacrifices que la révolution avait rendus nécessaires, ayant ainsi échoué, le perdit dans l'opinion, qui lui attribua les desseins les plus violents.

Les hommes qui avaient contribué à son arrestation furent magnifiquement récompensés. L'Assemblée partagea entre eux une somme de deux cent mille francs. Drouet eut trente mille francs pour sa part, Billaud dix mille.

XIV

CONSTITUTION DE 1791. FIN DE L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

Tandis que le roi était captif, que l'Assemblée nationale exerçait, outre ses propres attributions, celles de la royauté, et que, par suite, le public s'accoutumait davantage, non-seulement de jour en jour, mais d'heure en heure, à l'idée que la France pouvait se passer d'un chef suprême, sept comités furent chargés simultanément par l'Assemblée d'examiner quatre questions.

« Le roi est-il coupable pour avoir fui?

« L'est-il pour avoir, en fuyant, laissé un manifeste? Cette fuite et le manifeste prouvent-ils qu'il était complice de Bouillé ?

<< Ou bien est-il inviolable? et son inviolabilité, qu'il soit innocent ou non, doit-elle couvrir tout ce qu'il a fait?»

Cette discussion passionnait au plus haut degré le public, qui, naturellement, s'en occupait autant et même plus que l'Assemblée. Tout se trouvait remis en question, et l'on parlait sérieusement de juger le roi, de le déposer, et d'établir la république. C'est alors que Danton et les Cordeliers, qui se prononcèrent nettement et violemment

pour ce parti, commencèrent à prendre beaucoup d'ascendant sur le peuple. En même temps, le parti orléaniste, auquel on a attribué une influence exagérée sur les premiers faits de la révolution, se dessina fortement, et poussa à la déchéance du roi, dans l'espoir que Philippe-Joseph obtiendrait ou la royauté ou du moins la régence. Ce fut peine inutile. Ce parti resta faible, quoi qu'on ait dit; mais en s'alliant aux démagogues, il ajouta à leur force.

Il n'y avait donc réellement que deux opinions en présence : l'une voulait la constitution et le roi, l'autre voulait détrôner le roi et établir la république. La première était infiniment plus nombreuse; mais la seconde faisait chaque jour de nouveaux progrès et prenait une attitude menaçante; et il était à craindre, si l'on ne sortait pas promptement du provisoire, que la lutte des opinions ne dégénérât en guerre civile.

La crise était d'autant plus dangereuse, qu'à la nouvelle de la fuite du roi, les royalistes, dans les départements, croyant la contre-révolution faite, s'étaient abandonnés à une joie insensée; et, par un contre-coup inévitable, dans les départements l'esprit révolutionnaire s'était exalté

outre mesure.

La crainte des excès et des crimes qu'au milieu de cette effervescence pouvait occasionner un changement radical du gouvernement, contribua puissamment à ramener dans le parti constitutionnel un grand nombre de députés qui avaient paru incliner vers les Jacobins.

Les Jacobins eux-mêmes se divisaient; parmi eux l'opinion constitutionnelle eut un moment le dessus. Danton et les Cordeliers, impatients, ayant adressé une pétition à l'Assemblée, pour obtenir l'abolition de la royauté, à la tribune des Jacobins un membre traita cette pétition d'acte de scélératesse et fut applaudi; mais les Jacobins revinrent bientôt aux idées démagogiques. Le PalaisRoyal, qu'on avait rouvert, toujours rempli d'une foule

énorme, retentissait de motions incendiaires. Les cris de la province se joignaient à ceux de la capitale; Marseille déclara qu'au premier signal ses bataillons de volontaires iraient à Paris placer de force la Vérité sur le fauteuil national, entre Robespierre et Danton.

En ce moment, le côté droit de l'Assemblée frappa un grand coup. L'acte qui suspendait le roi de ses fonctions était à leurs yeux un attentat horrible. Une protestation fut rédigée par eux; et Foucault se présenta à la tribune pour la lire. Mais la majorité lui refusa la parole, et les signataires de la protestation durent se contenter de la faire imprimer. Dans cette pièce, après avoir protesté avec véhémence contre l'usurpation par l'Assemblée des fonctions royales, et contre les atteintes portées à l'inviolabilité de la personne du roi par la suspension et par la captivité, les signataires déclarent qu'ils ne peuvent continuer de prendre part à des délibérations entachées d'un crime qu'ils ne veulent point partager; que cependant un devoir sacré leur défend d'abandonner les intérêts du roi et de la famille royale; que par ce seul motif ils continueront de siéger à l'Assemblée, mais qu'ils ne prendront plus part aux délibérations qui ne concernent pas les seuls intérêts qui leur restent à défendre. Suivent les noms de deux cent quatre-vingt-dix membres.

Cette déclaration exaspéra les constitutionnels, qui, craignant l'exaltation des républicains, seraient volontiers entrés en arrangement avec le côté droit et lui auraient accordé, dans le texte de la constitution, des modifications importantes. Aussi Thouret, irrité, montrant la protestation aux nobles de son parti qui n'étaient pas sans inquiétude sur l'avenir de la France et sur le leur propre, et qui le sollicitaient de faire quelques concessions, leur dit : Tenez, lisez; plus d'arrangement: ces gens-là nous forcent, pour échapper à leur haine, de nous appuyer sur le peuple. »

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Parmi les deux cent quatre-vingt-dix noms, ne figure point celui de Cazalès. L'Assemblée ne devait plus entendre cette voix si éloquente et si pure. Ne voulant pas être témoin des maux qu'il prévoyait, et ne pouvant plus rien pour la cause à laquelle il s'était voué, il donna sa démission et se rendit auprès des princes. Par haine du sage libéralisme qui respirait dans ses discours, les émigrés l'accueillirent fort mal, se souciant peu, au reste, des services que la logique et l'éloquence pouvaient leur rendre, et ne comptant que sur la force des armes, par laquelle ils se croyaient sûrs d'écraser la révolution en peu de jours. Cazalès erra trois ans en Allemagne, en Angleterre, en Italie, et revint en France après la terreur.

La protestation des deux cent quatre-vingt-dix fut un signal pour la plupart des royalistes qui se trouvaient encore à l'intérieur : l'émigration prit des proportions colossales; ce fut une mode, et aussi une sorte de nécessité. On a beaucoup blâmé les émigrés, qui, s'ils fussent restés en France, auraient, dit-on, empêché beaucoup de mal. Cela est douteux: il est facile de faire, après les événements, ces sortes de suppositions.

Ainsi la noblesse française se trouvait divisée en deux camps ennemis. Les uns en petit nombre, comme Talleyrand, Lafayette, s'étaient dévoués à la cause nationale; les autres étaient décidés à rendre au roi sa puissance; et de la cause royale, il faut le dire, ils ne séparaient point celle de leurs priviléges. Les uns et les autres obéissaient sans doute à leur conscience. Ce qui a nui aux émigrés, ce qui a excité contre eux une irritation durable et profonde, c'est leur alliance avec l'étranger; mais cette alliance était le malheur de leur position et non de leur choix; et l'étranger la leur fit payer cher.

Quand arriva le jour où l'Assemblée devait statuer sur le sort de Louis XVI et du pays en même temps, la discussion fut à la fois solennelle et passionnée. Il était, disait

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