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le roi que, peu après, l'on força, par la crainte d'une nouvelle émeute, d'aller ainsi que la reine, le jour de Pâques, entendre, à Saint-Germain-l'Auxerrois, la messe d'un curé constitutionnel, le roi résolut de faire tous ses efforts pour sortir de captivité.

En attendant, comme les dispositions des puissances étrangères envers la France devenaient de plus en plus hostiles, il se vit obligé de leur adresser une déclaration par laquelle il se disait libre.

XIII

FUITE ET RETOUR DU ROI.

Décidé à fuir, Louis XVI s'entendit avec son frère, qui, avec la princesse sa femme, fit secrètement ses préparatifs pour quitter Paris le même jour que le roi, mais par un autre chemin.

Bouillé, qui commandait sur la frontière belge, se dévoua au salut de la famille royale. Il convint de l'attendre à Montmédy, où elle se rendrait par Châlons et Varenne. A Montmédy, le roi, se trouvant libre au milieu d'une armée fidèle, aurait mis en sûreté sa famille et aurait pris conseil des circonstances.

Le roi voulut que toute sa famille partît avec lui dans la même voiture, sans oublier la gouvernante de Madame Royale; grave imprudence.

Il fallait un passe-port. L'ambassadeur de Russie le donna en ces termes : « Laissez passer la baronne de Korf (c'était la reine) avec deux enfants, une femme de chambre (c'était Mme Élisabeth), un valet de chambre (c'était le roi), et trois domestiques (c'étaient trois gardes du corps). Le secret le plus profond fut gardé, aussi bien au Luxembourg, pour l'évasion de Louis-Stanislas, qu'aux Tuile

ries, pour celle du roi. Aux Tuileries, on avait bien des précautions à prendre. Il fallait surtout échapper à la surveillance de la garde nationale, et particulièrement de Lafayette, qui faisait des rondes continuelles et qui ne dormait plus.

Tous les obstacles furent surmontés. Le 20 juin 1791 (second anniversaire du serment du jeu de paume), vers minuit, tandis que Louis-Stanislas et Madame s'échappaient du palais de Luxembourg, et suivaient rapidement la route de Valenciennes, le roi et sa famille se réunissaient dans l'appartement du gouverneur des Tuileries, Villequier, qui avait une issue sur le Carrousel; là on se déguise, et l'on sort du château par groupes séparés. La reine, à qui un garde du corps donnait le bras, rencontre la voiture de Lafayette, qui venait observer le château; ses gens marchaient avec des torches allumées. La reine se dérobe à leurs regards en entrant sous un guichet. On traverse le pont Royal; on se trouve réuni sur le quai de la rive gauche: deux voitures bourgeoises reçoivent les fugitifs; ils se dirigent vers la porte Saint-Martin et suivent le faubourg. La barrière est franchie sans obstacle; on arrive à Bondy, où attendaient deux voitures de voyage. On y monte; on part.

En quittant les Tuileries, le roi avait laissé un écrit dans lequel il déclarait qu'il s'éloignait parce qu'il n'était pas libre. Au bas de la déclaration rédigée en termes modérés étaient écrits ces mots :

« Le roi défend à ses ministres de signer aucun acte en son nom jusqu'à ce qu'ils aient reçu ses ordres ultérieurs; il enjoint au garde du sceau de l'État de le lui renvoyer dès qu'il en sera requis de sa part. »

Vers huit heures du matin, la nouvelle du départ du roi se répand dans Paris. On tire le canon d'alarme, on sonne le tocsin, on ferme toutes les barrières. Les boutiques se ferment; les rues se remplissent d'une multitude

inquiète et irritée; une foule en fureur ayant rencontré Cazalès qui se rendait à l'Assemblée, ses jours furent quelque temps en danger. Les agitateurs veulent profiter de l'occasion: ils brisent partout les emblèmes de la royauté, essayent de soulever la population, parlent hautement de proclamer la république. Marat ne restait point inactif. Dans toutes les rues il faisait afficher et lire à haute voix un manifeste commençant en ces termes : « Voici le moment de faire tomber la tête des ministres et de leurs subalternes, de Motié, de tous les scélérats de l'état-major, de Bailly, de tous les municipaux contre-révolutionnaires, de tous les traîtres de l'Assemblée nationale; emparezvous sur-le-champ de leurs personnes. >>

Toutes ces provocations furent sans effet. Bailly et Lafayette, qui comprenaient la gravité des circonstances, redoublèrent d'activité et d'énergie. Par leurs soins, les bataillons de la garde nationale se réunissent sous leurs drapeaux et prêtent serment de fidélité à l'Assemblée nationale; à leur instigation, une foule d'ouvriers honnêtes, tous les charbonniers, tous les forts de la halle, imitent cet exemple et jurent d'être fidèles à la Constitution et obéissants aux ordres de l'Assemblée. Ainsi le projet des agitateurs échoue.

Ce qui contribua surtout à maintenir l'ordre, ce fut la contenance de l'Assemblée. Au milieu de l'effervescence et de l'alarme générale, elle reste calme, fière, énergique; elle ne se plaint pas du roi; elle fulmine contre les ennemis de la patrie, qui, dit-elle, l'ont enlevé. Elle s'empare du pouvoir exécutif, ordonne aux ministres de continuer à exercer leurs fonctions, et se déclare en permanence.

L'Assemblée avait pour président Alexandre de Beauharnais, qui certes ne se doutait guère que la suite de tous ces événements finirait par placer son petit-fils sur le trône de Louis XVI. Beauharnais, dans cette circonstance critique, se montra à la hauteur de sa mission, par l'ordre

qu'il sut maintenir dans les délibérations, par sa dignité, sa fermeté, et sa présence d'esprit.

Avec l'approbation de Beauharnais et de Bailly, et avant même la réunion de l'Assemblée, Lafayette avait envoyé ses aides de camp sur toutes les routes, avec ordre aux municipalités de mettre obstacle aux projets des ennemis de la patrie qui ont emmené le roi.

Au milieu de tout ce mouvement, Robespierre avait dit-on, grand'peur; il craignait que les événements n'amenassent plus tard une réaction royaliste, dont il serait victime. A l'Assemblée, il ne dit rien ou presque rien. Le soir aux Jacobins il se dédommagea, et, tentant d'ameuter contre elle un auditoire de plus de deux mille personnes :

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Oui, » dit-il, « la presque universalité de l'Assemblée nationale est contre-révolutionnaire, les uns par ignorance, les autres par terreur, d'autres par ressentiment, par un orgueil blessé, d'autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu'ils sont corrompus. Je sais qu'en parlant ainsi, j'aiguise contre moi mille poignards; je sais le sort qu'on me réserve; je recevrai comme un bienfait la mort qui m'empêchera d'être témoin des maux que je prévois. Ce discours eut un résultat tout autre que celui auquel l'orateur s'attendait sans doute tous les assistants, au lieu de s'engager à attaquer l'Assemblée, s'engagèrent à défendre la vie de Robespierre, exposée par les vérités hardies qu'il venait d'énoncer à la tribune; et tous, individuellement, prêtèrent ce serment ridicule. En ce moment, Danton, voyant entrer Lafayette, fit contre lui la sortie la plus violente, et demanda formellement sa tête. Danton n'eut pas plus de succès que Robespierre. Lafayette s'en alla après lui avoir répondu dédaigneusement quelques paroles insignifiantes. La réunion se sépara très-tranquillement, sans avoir adopté aucune motion violente: ce qui assura le maintien du calme dans Paris. Alexandre de Lameth et ses amis contribuèrent beaucoup à obtenir ce résultat.

Cependant Louis-Stanislas et la princesse sa femme, partis séparément, étaient arrivés tous deux heureusement à Mons.

La famille royale avait continué sa route sans obstacle jusqu'à Sainte-Menehould. Là, pendant que la voiture était arrêtée pour changer de chevaux, le roi, impatient, mettait fréquemment la tête à la portière. Le fils du maître de poste, Drouet1 crut le reconnaître. Ce jeune homme, l'année précédente, à la fête de la fédération, avait vu Louis XVI. Pour mieux s'assurer qu'il ne se trompait pas, il prend un assignat sur lequel était empreinte l'effigie royale, il compare, il porte ses yeux du papier à la voiture, si fréquemment et avec tant d'attention, que la reine en conçut quelque inquiétude. Puis Drouet s'élance sur le meilleur cheval de son père, prend un chemin de traverse beaucoup plus court que la route, et, bien avant la voiture du roi, il arrive à Varenne-en-Argonne. Là il avertit Sausse, procureur de la commune, qui convoque sans bruit la garde nationale. Tandis qu'elle se réunit, Drouet court chercher un de ses amis, professeur révoqué du collége de Juilly, Billaud, qui en l'honneur de cette journée s'appela depuis Billaud-Varenne; aidés de deux ou trois autres personnes, ils renversent sur le pont de Varenne, où passe la route, d'énormes voitures, les unes vides, les autres chargées, et comme, avant d'arriver à ce pont, la voiture du roi devait s'engager sous une assez longue voûte, Drouet, Billaud et leurs camarades bien armés se placent sous cette voûte en embuscade.

Il était onze heures et demie du soir : la nuit était sombre. On entend de loin le roulement des deux voitures royales. Elles arrivent. Drouet s'élance à la tête des chevaux et les arrête. « Vos passe-ports, » crie-t-il; et il menace, ainsi que ses camarades, de tirer si les voitures avancent.

1. Ne pas confondre avec le général Drouet.

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