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XII

DEPUIS LA MORT DE MIRABEAU JUSQU'A LA FUITE DU ROI.

La mort de Mirabeau laissait la famille royale sans appui; il était évident que le mouvement révolutionnaire, n'étant plus dirigé par cette main puissante, allait devenir plus violent.

Les deux Lameth, Barnave, Adrien Duport espérérent le maîtriser à leur tour; ils aspiraient évidemment à l'héritage de Mirabeau. Ils firent de nouveau cause commune avec les constitutionnels, cessèrent d'ètre systématiquement hostiles à la cour, et s'associèrent franchement à quelques mesures contre les excès démagogiques.

Car l'Assemblée, qui voyait, dans l'énergie, même extralégale, des amis de la révolution, le plus puissant moyen d'imposer à ses ennemis, réprimait rigoureusement cette effervescence lorsqu'elle allait jusqu'au crime. Ainsi, à Douai, dans une émeute qui fut horriblement signalée par l'assassinat d'un officier de la garde nationale, pendu à la lanterne, la municipalité s'étant refusée à proclamer la loi martiale, l'Assemblée, indignée, ordonna l'arrestation de la municipalité tout entière, et, malgré les efforts de Robespierre, la fit transférer à Orléans, où elle venait d'établir une haute Cour de justice, chargée de juger les crimes d'État. La haine des démagogues parisiens contre l'Assemblée s'en accrut.

Mais c'est en vain qu'ils défendirent de toutes leurs forces la liberté illimitée de pétitionnement, et la liberté également illimitée d'affichage, qui couvrait les murs de Paris de provocations incendiaires. Ces deux abus, énergiquement attaqués par Chapelier, vivement soutenus par Robespierre, furent supprimés. Il fut interdit aux communes de se réunir sans autorisation, pour pétitionner, et les pétitions

durent être signées de tous les pétitionnaires; le droit d'affichage fut sévèrement réglementé. C'est depuis ce jour que, pour éviter la confusion, le papier blanc est réservé pour les actes de l'autorité, et que les particuliers doivent employer du papier de couleur.

C'était là de sages mesures. Mais il en eût fallu bien d'autres, dictées par le même esprit, pour calmer les maux auxquels la tourmente révolutionnaire exposait alors la France.

La constitution, que l'on supposait devoir remédier à tous ces maux, était à peu près achevée; et peut-être les dangers qu'elle recélait eussent-ils été bien amoindris, si les hommes éclairés et fermes qui l'avaient faite, eussent été chargés de sa mise à exécution. Mais par un désintéressement et une magnanimité qui devinrent funestes à la France, les membres de l'Assemblée constituante se déclarèrent inéligibles à la législature qui devait les suivre. Robespierre, dans un discours qui reçut des applaudissements auxquels il n'était guère habitué, insista sur le danger que feraient courir à la liberté publique des hommes qui, en se perpétuant dans les fonctions législatives, assureraient leur domination personnelle. « Donnez à vos concitoyens ce grand exemple d'amour pour l'égalité; donnez-le à vos successeurs. Que les Français comparent le commencement de votre carrière avec la manière dont vous l'aurez terminée, et qu'ils doutent quelle est celle de ces deux époques où vous vous êtes montrés plus purs, plus grands, plus dignes de leur confiance. »

La question fut décidée, ou plutôt emportée par un vote presque unanime.

En même temps que la constitution, l'Assemblée achevait les divers codes et les lois organiques. Dans la discussion sur le code pénal, un orateur demanda avec véhémence l'abolition, à tout jamais, et dans tous les cas, de la peine de mort: « Aux yeux de la vérité et de la justice, ces

supplices ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels, commis, non par des individus, mais par des nations entières avec des formes légales.... L'horreur pour le crime diminue, dès que la loi ne le punit plus que par un autre crime. »

Quel était cet orateur?..... C'était Robespierre.

Cependant l'agitation des esprits était telle que l'Assemblée chargea cinq comités de se réunir pour lui présenter leurs vues sur les moyens de rétablir le calme.

Les cinq comités réunis attribuèrent le désordre à deux causes, savoir à l'extérieur, l'attitude de l'émigration, qui, sous les ordres du prince de Condé, commençait à prendre les armes; à l'intérieur, le mauvais vouloir des officiers de l'armée.

Robespierre proposa de licencier, c'est-à-dire de destituer tous les officiers sans exception; il soutint que les officiers étaient des tyrans et les soldats des victimes; et que ce qu'on appelait des marques d'insubordination de la part du soldat n'étaient que des symptômes de vie, provoqués par un sentiment louable et généreux.

Cazalès soutint les droits de la discipline, et obtint que la demande du licenciement fût repoussée. Mais on imposa aux officiers un serment qui se terminait ainsi : « Si je manque à cet engagement, je consens à être regardé comme un homme infâme, indigne de porter les armes et d'être compté au nombre des citoyens français. »

La plupart des officiers refusèrent ce serment, dont les termes en effet n'étaient guère acceptables, et se démirent. Ce fut pour ceux qui prêtèrent le serment, ainsi que pour les sous-officiers et soldats, l'occasion d'un avancement inouï. On vit de simples lieutenants devenir, en dix-huit mois, généraux de division, et des soldats arriver non moins rapidement au grade de capitaine. Les officiers démissionnaires allèrent en grande partie grossir les rangs de l'émigration.

Quant aux dangers venant de l'extérieur, un décret, présenté, au nom des cinq comités, par Fréteau, et adopté, enjoignit au prince de Condé de rentrer en France, dans le délai de quinze jours, ou de s'éloigner des frontières, et déclara que s'il se présentait en armes sur le territoire, tout citoyen aurait droit de lui courir sus ainsi qu'à ses complices.

En ce moment, l'approche des élections pour la prochaine Assemblée législative qui devait remplacer l'Assemblée constituante, vint encore surexiter les esprits déjà si échauffés par les discussions relatives aux prêtres et aux émigrés. Aux Jacobins, et dans les sociétés patriotiques dont la France était couverte, et qui correspondaient avec eux, on s'occupait activement de toutes les questions relatives à la composition de la future assemblée. Brissot les traitait avec talent dans ses publications, dont la tendance était évidemment républicaine. L'influence de Brissot grandissait chaque jour dans le parti exalté; aussi Robespierre était mortellement jaloux de lui.

Les élections, comme je l'ai dit, étaient à deux degrés. Les assemblées primaires, composées de tous les citoyens actifs, nommaient les électeurs. Aussi, afin d'avoir des électeurs choisis dans les classes inférieures, Robespierre voulait qu'ils reçussent une indemnité; ce qu'il n'obtint pas. Desmoulins, dans son journal, tâchait d'ameuter les citoyens non compris sur les listes primaires, en leur disant que cette exclusion équivalait pour eux à la dégradation civique, peine récemment votée par l'Assemblée pour les actions infâmes. Il demandait de quelle action infâme avaient été convaincus les 200 000 citoyens de Paris non compris sur les listes. Cette question agitait beaucoup le peuple, et les pétitions à ce sujet pleuvaient à l'Assemblée, qui ne s'en occupait pas.

Les membres des assemblées primaires de Paris intra muros étaient au nombre de 78 000; ils devaient nom

mer 779 électeurs, qui, réunis à ceux de la banlieue, éliraient les 24 députés de Paris. De toutes parts se publiaient des listes de citoyens présentés au choix des sections pour être nommés électeurs; les titres de tous ces candidats étaient chaudement discutés. De son côté, Marat publiait chaque jour d'interminables listes intitulées SCÉLÉRATS ET COQUINS, comprenant les noms de ceux qui, selon lui, ne devaient pas être choisis comme électeurs.

Au milieu de cette agitation électorale, Louis XVI n'avait plus qu'une pensée, celle de mettre sa famille et sa personne en sûreté; car, à Paris, tout était à craindre pour elles, comme on ne le vit que trop un peu plus tard. Déjà, deux mois auparavant, il avait voulu s'assurer s'il était libre ou captif, et il avait acquis la preuve que son palais était pour lui une prison comme il venait d'être malade, il avait annoncé qu'il irait à Saint-Cloud passer les premiers jours de sa convalescence; mais au moment où il voulut partir, la population tout entière de Paris et toute la garde nationale, malgré les efforts de Bailly et de Lafayette, couvrant la place Louis XV, empêchèrent les chevaux de faire un pas. Le roi rentra au château. Il en savait assez sur sa position.

Quant à Lafayette, il avait senti avec amertume l'outrage que la garde nationale lui avait fait par sa désobéissance; il donna sa démission sur-le-champ. Alors tous les bataillons, après avoir renouvelé individuellement et signé le serment d'obéir dans toutes les circonstances à Lafayette, se réunissent à l'hôtel de ville; la municipalité se met à leur tête; et comme la nuit était venue, cet immense cortége, à la lueur de flambeaux, se rend à la demeure de Lafayette. Lafayette se laisse fléchir; il consent à être réélu, et reprend à l'instant même le commandement.

Le roi, à qui personne n'obéissait, à qui l'on ne témoignait nul regret de la violence qu'il venait de subir;

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