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Qu'allaient faire ces membres de l'Assemblée? Plusieurs d'entre eux croyaient, en conscience, pouvoir prêter ce serment. Mais parmi eux, qui oserait donner l'exemple? Celui qui le donna fut Grégoire; après lui, quelques autres prêtres et un seul évêque, Gobel; quant à Talleyrand, il s'était déjà démis de son évêché d'Autun pour être un des directeurs du département de Paris.

Le nombre de ceux qui s'étaient présentés étant fort restreint, l'Assemblée, sur la demande de Barnave, décide qu'il va être fait un appel nominal de tous ceux de ses membres à qui le serment ecclésiastique est imposé.

Le premier qui se présente à l'appel de son nom est l'évêque d'Agen, Bonnac. Au moment où il prend la parole, on entend, en dehors de la salle, des clameurs. forcenées; c'était une foule énorme qui voulait empêcher la résistance du clergé par l'intimidation. « Monsieur le maire, » dit Cazalès à Bailly, « vous entendez ces cris. » Bailly sort pour rétablir l'ordre, et les clameurs, sans cesser tout à fait, deviennent moins menaçantes. Bonnac, prenant la parole: « C'est le cœur navré de douleur.... Point de paroles,» s'écrie-t-on du côté gauche. « Prêtezvous le serment, oui ou non? - Non ; je ne donne aucun regret à ma place; j'en donnerais à votre estime, je veux la conserver. »

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Il s'assied. Un curé de son diocèse, Fournet, est appelé: « Je me fais gloire et honneur de suivre mon évêque, comme Laurent suivit son pasteur, jusqu'au supplice.

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L'évêque de Poitiers, Saint-Aulaire : « J'ai soixantedix ans, j'en ai passé trente-cinq dans l'épiscopat, où j'ai fait tout le bien que je pouvais faire. Accablé d'années et d'études, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse. Je prendrai mon sort en esprit de pénitence.

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Tandis que cette scène imposante se passait dans l'Assemblée, le bruit redoublait au dehors, malgré les efforts de Bailly, et les menaces contre les ecclésiastiques réfrac

taires se faisaient entendre avec une violence toujours croissante. Par ordre de l'Assemblée, l'appel nominal cesse et le président interpelle collectivement tous les ecclésiastiques, pour qu'après qu'il aura prononcé la formule chacun d'eux vienne à la tribune dire purement et simplement: Je le jure.

Interpellation inutile. Tous restent à leur place et gardent le silence.

Plusieurs minutes s'écoulent.

L'Assemblée décide que tous sont déclarés démissionnaires de leurs fonctions ecclésiastiques.

Il fut décidé que le serment serait prononcé à Paris et dans les départements, le dimanche suivant, à l'issue de la messe paroissiale.

Le clergé, comme on s'y attendait, se divisa. A Paris, le curé de Saint-Sulpice refusa le serment, au milieu d'un affreux tumulte et des cris à la lanterne, proférés par le club des Cordeliers, qui s'étaient rendus en masse dans cette église. A Saint-Eustache, le curé le prêta et quarante-huit prêtres avec lui. Mirabeau avait passé la nuit entière chez ce curé, qui était le confesseur du roi et de la reine, pour le décider. Il conserva sa cure; mais ses augustes pénitents le quittèrent. On a calculé qu'à Paris, sur huit cents prêtres, il y eut deux cents prestations de serment et six cents refus.

Dans les départements, la proportion fut à peu près la

même.

Cette résistance de la grande majorité du clergé amena des scènes de violence. Arracher de l'autel des curés et les évêques, chasser les uns de leurs presbytères, les autres de leurs palais, élire de nouveaux titulaires, les installer par force dans les églises et dans le domicile de leurs prédécesseurs, c'est ce qui se fit partout, et ces actes violents ne pouvaient s'exécuter sans beaucoup de difficultés, de résistances, de délais. De là une infinité de troubles.

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L'Assemblée, irritée, accueillit un nouveau décret rédigé par Chassé pour accélérer le remplacement des ecclésiastiques qui n'avaient pas prêté serment.

Cazalès-parla avec éloquence contre toutes ces mesures. On l'interrompait sans cesse.

C'est une tyrannie affreuse du côté gauche, » dit Montlosier.

Laissez rendre ce décret, » cria Maury à Cazalès. « Nous en avons besoin. Encore deux ou trois comme cela, et tout sera fini. Descendez de la tribune.

Oui, descendez, » dit Regnault (de Saint-Jean-d'Angély); votre langage produit parmi le public des tribunes une agitation dangereuse. » Et cela était vrai ce public trépignait de colère.

« Si l'Assemblée, » dit Cazalès, « ne veut pas qu'on l'éclaire, parce que le public nous entend, certes, c'est une bien mauvaise institution que d'avoir admis le public à notre audience. »

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Nouveaux murmures. « Quand l'Assemblée nationale, dit le président (c'était Grégoire, qu'on avait récompensé de sa conduite en l'élevant à la présidence) « a admis le public à ses séances, elle a cru devoir rendre le peuple présent à la discussion de ses grands intérêts; mais cette mesure n'a jamais influé sur ses déterminations. »

On applaudit. « M. le président, » dit Cazalès, « a parfaitement répondu à ce que je n'ai point dit. Je voudrais que cette enceinte pût s'agrandir et contenir la nation tout entière; elle m'entendrait et me jugerait. »

Enfin, libre de parler, Cazalès prononça ces prophétiques paroles, qui depuis ont été si souvent citées :

« Je dis qu'une scission se prépare; je dis que la presque universalité des évêques, et les curés en grande partie, croient que la religion leur défend d'obéir à vos décrets; que ces principes sont d'un ordre supérieur à vos lois; que quand vous chasserez les évèques de leurs siéges

et les curés de leurs presbytères pour vaincre cette résistance, vous ne l'aurez pas vaincue vous serez seulement au premier pas de la carrière qui s'ouvre devant vous. Doutez-vous que les évêques, chassés de leurs siéges, n'excommunient ceux qui auront été mis à leur place? Doutez-vous qu'une partie des fidèles ne demeure attachée. à ses anciens pasteurs? Alors le schisme est introduit, les querelles de religion commencent. Alors les peuples douteront de la validité des sacrements; ils craindront de voir fuir devant eux cette religion sublime, qui, saisissant l'homme dès le berceau, et le suivant jusqu'à la mort, lui offre des consolations touchantes dans toutes les circonstances de la vie. Vous verrez les catholiques, errants sur la surface de l'empire, suivre dans les cavernes, dans les déserts, leurs ministres persécutés, afin de recevoir d'eux des sacrements valides; alors dans tout le royaume les catholiques seront réduits à cet état de misère et de persécutions, de terreur, dans lequel les protestants avaient été plongés par la révocation de l'édit de Nantes, par cet acte dont votre justice a été indignée. et dont votre humanité a gémi.... Quand il serait démontré que l'Église de France se trompe, oseriez-vous balancer à retirer un décret que l'Eglise réprouve, et dont l'exécution doit amener tant de maux? Craignez, prévenez des convulsions qui ensanglanteraient la France. »

Mirabeau répondit à Cazalès, et après quelques paroles sur le fond de la question, il ajouta : « Un membre a dit tout à l'heure: Laissez rendre le décret; nous en avons besoin. Ce mot est profond; peut-être aussi est-il indiscret. Quelques membres nous présentent des pronostics sinistres, et peut-être prennent-ils leurs vœux pour des espé

rances. »>

Au milieu des applaudissements qui accueillent ces paroles, la voix de Cazalès se fait entendre :

« Mes vœux, » dit-il, «sont très-purs.

Il n'y a rien

dans ma phrase, » reprit Mirabeau, « qui soit personnel à M. Cazalès; et, s'il était question ici de caution individuelle, je cautionnerais sa loyauté.

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Le décret fut rendu et exécuté sans pitié. Les anciens évèques déclarèrent tous, par des lettres pastorales, que leurs propres pouvoirs et ceux de tous les anciens titulaires ecclésiastiques subsistaient, et que les successeurs qu'on leur donnerait par élection seraient des intrus qui, par le seul fait de leur serment et de leur intrusion, se trouveraient canoniquement interdits.

Inutiles efforts. En moins de quinze jours, presque tout le personnel ecclésiastique fut renouvelé.

Siéyès aurait bien voulu, quoi qu'il en dît, être nommé évêque de Paris; les Parisiens lui préférèrent Gobel. Grégoire fut nommé évêque à Blois; Lamourette, à Lyon. Le caractère épiscopal fut conféré par Gobel et par Talleyrand à quelques évêques constitutionnels, qui le conférèrent ensuite à leurs collègues.

Les ecclésiastiques insermentés, ou autrement appelés réfractaires, conservèrent la confiance du plus grand nombre des fidèles. La famille royale ne voulut jamais en admettre d'autres. Les démagogues ne cessaient de s'acharner contre ces prêtres et contre leurs adhérents; et cependant peu devait leur importer qu'un prêtre fût assermenté ou non, puisque l'abolition du culte catholique était dans leur pensée, comme on le vit deux ans plus tard.

Cependant l'Europe observait avec une attention inquiète tout ce qui se passait en France; les nouvelles de Paris allaient jusqu'aux extrémités du monde soulever les craintes et la colère des uns, animer les secrètes espérances des autres. Les puissances continentales redoutaient la contagion des idées révolutionnaires, et en même temps elles s'alarmaient au sujet de Louis XVI, surtout l'empereur d'Allemagne, frère de Marie-Antoinette. Mais l'Angle

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