Page images
PDF
EPUB

renne, pour le démolir. Heureusement un voisin eut la présence d'esprit de dire : « La maison n'est pas à lui ; il n'est que locataire.» A ces mots, les émeutiers changent de dessein: ils pénètrent dans l'hôtel, dévastent et cassent tout. Meubles, glaces, lits, argenterie, or et bijoux, tout est ou dispersé ou brisé et jeté par les fenêtres. « Nous sommes honnêtes gens,» disaient les chefs; « nous protégeons nos amis; le premier qui volera un clou serą pendu.» Tous en sortant avaient la veste déboutonnée, le col ouvert et les poches renversées. Lafayette vint avec la garde nationale; Bailly vint avec une escorte; tout était fini il ne restait rien à briser. Desmoulins, dans sa joie, appela cela un jugement du tribunal de

cassation.

Si au dehors de l'Assemblée on échangeait des coups d'épée et de pistolet, au dedans c'était un perpétuel assaut de paroles violentes; trop fidèle image de l'animosité qui augmentait sans cesse dans toute la France, entre les divers partis.

La contenance hautaine du côté droit donnait à penser à ses ennemis qu'il se sentait armé d'une puissance égale à sa fierté; et, comme on ne voyait pas ses forces, on croyait que sa confiance lui venait du succès de quelques pratiques secrètes. De là, dans une grande partie du public, une méfiance que le temps ne calmait point et qui s'étendait sur la cour, sur le ministère, sur les chefs militaires et sur les constitutionnels eux-mêmes.

Sans soupçonner précisément Bailly et Lafayette, on surveillait toutes leurs démarches, on épiait leurs relations de toute nature, on notait toutes leurs visites au roi, tandis que Mirabeau continuait d'être l'objet d'une admiration et d'une confiance entière, de la part même des démagogues les plus fougueux; et déjà cependant Mirabeau s'était mis en rapport avec la cour et ne prenait guère la peine de s'en cacher.

C'est dans ces circonstances si critiques que l'on discuta des mesures à l'aide desquelles la discipline, fortement ébranlée dans l'armée navale, fut rétablie comme elle venait de l'être dans l'armée de terre. L'Assemblée, à cette occasion, résolut de donner le pavillon tricolore à la marine, qui avait jusqu'alors conservé le pavillon blanc. Foucault soutint que, pour ménager les susceptibilités de l'armée navale, et par respect pour des préjugés honorables, il fallait laisser à la marine le pavillon blanc; il termina par ces paroles : « Laissez à des enfants ce hochet des trois couleurs. »

Mirabeau, indigné, s'élance à la tribune : « Aux premiers mots proférés dans cet étrange débat, » dit-il, « j'ai ressenti, je l'avoue, comme la plus grande partie de cette assemblée, les bouillons de la furie du patriotisme jusqu'au plus violent emportement. » La gauche applaudit; a droite se met à rire. « Donnez-moi quelques moments d'attention,» poursuivit l'orateur en s'adressant à la droite; « je vous jure qu'avant que j'aie cessé de parler, vous ne rirez plus. » Il eut alors une de ses plus belles improvisations, et comme on lui avait jeté le nom de factieux, il termina en ces termes :

« Les véritables factieux sont ceux qui parlent des préjugés qu'il faut ménager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage. Non, messieurs, non; leur folle présomption sera déçue, leurs sinistres présages, leurs hurlements blasphémateurs seront vains elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales; elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats, mais comme celui de la sainte confraternité des amis de la liberté sur toute la terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans. Je demande que la mesure proposée soit adoptée; je demande que les matelots, à bord des vaisseaux, le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, au

lieu du cri accoutumé et trois fois répété de Vive le roi! disent: Vivent la nation, la loi et le roi! »

La salle retentit pendant près d'un quart d'heure de bravos et d'applaudissements. Les adversaires de Mirabeau, comme il le leur avait prédit, ne riaient plus; ils frémissaient. L'un d'eux, l'ayant appelé scélérat et assassin, fut envoyé à l'Abbaye pour trois jours.

Ainsi s'accroissait de jour en jour la popularité de Mirabeau, popularité dont il comptait faire usage, quand le moment serait venu, pour rétablir l'ordre et rendre à la royauté sa force. Du reste, il méprisait toutes les injures, et quant aux duels il avait déclaré qu'il n'en accepterait aucun.

Au milieu d'une agitation si violente, le ministère ne pouvait tenir. On voulait des hommes plus fortement prononcés en faveur du mouvement révolutionnaire. Necker dut partir le premier.

il

Ce ministre, dont le renvoi avait provoqué l'insurrection parisienne et la prise de la Bastille, avait cessé d'être populaire. Son orgueil, ou peut-être sa vertu, l'avait toujours tenu éloigné de Mirabeau, qui seul, par son génie, pouvait, en fondant la liberté, sauver la royauté, rôle dont Necker s'était cru à tort capable. Aussi, tandis qu'au milieu des orages Mirabeau grandissait, Necker ne cessait de s'amoindrir. Dans les questions de finances, accabla l'Assemblée de propositions tout à fait au-dessous des circonstances, et également repoussées des deux partis. Le dépit s'empara de lui. Choqué des observations dont Camus et quelques autres avaient accompagné la publication du Livre rouge, il osa les appeler des hommes novices en affaires et encore à l'apprentissage des vertus publiques. La gauche lui devint hostile, et la droite, qui ne lui pardonnait point le passé, le repoussa sans ménagement lorsqu'il voulut se joindre à elle. Dédaigné de cette assemblée qu'il avait cru dominer, suspect à ce peuple qui, un an auparavant avait placé sur la porte de son hô

tel cette inscription: Au ministre adoré, il écrivit à l'Assemblée qu'il repartait pour la Suisse. L'Assemblée fit fort peu d'attention à sa lettre, mais profita de son départ pour supprimer, non pas précisément de nom, mais de fait, le ministère des finances, en s'emparant du Trésor public, qu'elle fit administrer par une de ses commissions. A la nouvelle du départ de Necker, le peuple de Paris fit éclater la joie la plus vive. Poursuivi par les injures et par l'animadversion de tous les partis, il fut arrêté à Arcis-sur-Aube, et ne put continuer sa route qu'à la faveur d'un décret de l'Assemblée; à Vesoul, le même peuple qui, dix-huit mois auparavant, avait traîné sa voiture, l'insulta et maltraita les gens de sa suite. Necker laissait au Trésor, comme garantie de sa gestion, une somme de deux millions, dont la restitution lui fut opiniâtrément refusée par les divers gouvernements qui se succédèrent en France; sa fille, Mme de Staël, l'obtint de la justice de Louis-Stanislas, devenu roi.

Les autres ministres se retirèrent successivement devant les manifestations menaçantes de l'opinion, à l'exception de Montmorin, qui garda le portefeuille des affaires étrangères. Louis XVI se vit obligé de les remplacer par un ministère constitutionnel, c'est-à-dire appartenant au parti qui avait alors la majorité, et beaucoup plus dévoué à l'Assemblée qu'au roi. Duport-Dutertre eut les sceaux; Duportail, la guerre ; Delessart, l'intérieur; Fleurieu, la marine. Leur origine plébéienne et la médiocrité de leur fortune leur firent trouver grâce auprès des démagogues. C'étaient d'honnêtes gens, et ils ne manquaient pas de capacité. Mais ni le roi, ni les ministres ne gouvernaient plus la France; l'Assemblée était tout, et, entraînée par la passion, elle ne se gouvernait plus guère elle-même.

XI

DEPUIS LE CHANGEMENT DE MINISTÈRE JUSQU'A LA MORT
DE MIRABEAU.

Ce qui avait le plus contribué à irriter l'Assemblée et la commune de Paris contre les ministres, c'est que la constitution civile du clergé était encore comme un fait non avenu. Le roi ne l'avait pas sanctionnée; sa conscience s'en alarmait; et, depuis cinq mois, il résistait à tous les efforts qu'on faisait pour arracher son adhésion.

α

Enfin, l'Assemblée, impatiente, frappa un grand coup. Elle ordonna à tous les évêques, curés et autres ecclésiastiques, de prêter serment de se conformer aux décrets relatifs à la constitution civilė du clergé. Tous ceux qui ne prêteront point ce serment seront considérés comme démissionnaires et immédiatement remplacés, et s'ils se permettaient encore d'exercer leurs anciennes fonctions, ils seraient traités comme perturbateurs du repos public. » Et comme les ecclésiastiques alléguaient que la constitution civile du clergé n'avait pas encore été sanctionnée par le roi, les persécutions contre Louis XVI recommencèrent avec plus d'acharnement que jamais. Le soir du jour de Noël, un rassemblement nombreux se forma sous les fenêtres de la famille royale et demanda la sanction par des cris forcenés. De son côté, l'Assemblée insistait d'une manière presque menaçante. La reine alors était fort malade. Le roi comprit qu'un plus long refus amènerait des maux incalculables et rendrait inutiles tous les sacrifices qu'il avait faits jusqu'alors au bien de la France. Il signa.

Aussitôt l'Assemblée ordonne que dans la huitaine le serment soit prêté, en commençant par ceux de ses membres qui appartenaient au clergé.

« PreviousContinue »