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rabeau et adopté unanimement, malgré Robespierre, que l'Assemblée refusa d'entendre, quoiqu'il se cramponnât obstinément à la tribune.

Le roi voulut nommer Bouillé maréchal de France; il refusa, ne voulant pas devoir à la guerre civile cet honneur suprême. C'était un homme d'un grand caractère; déjà, après l'expédition d'Amérique, où il s'était couvert de gloire, le roi ayant voulu acquitter les dettes qu'il avait contractées pendant la guerre, il avait refusé, afin de ne pas ajouter aux charges de l'État.

Une cérémonie funèbre eut lieu au champ de Mars en l'honneur des soldats morts à Nancy pour la défense des lois; toutes les tribunes étaient tapissées de draperies noires semées de larmes; partout se lisait le nom de Desille, entouré de lauriers et de cyprès.

Les soldats de Mestre de camp et du régiment du roi obtinrent leur pardon; ceux de Châteauvieux furent jugés par un conseil de guerre de leur nation, qui condamna quarante d'entre eux aux galères.

Desmoulins, Carra, Fréron, Hébert, Marat et les autres rédacteurs des journaux démagogiques, célébrèrent ces quarante hommes comme des martyrs de la liberté, chargèrent Bouillé de malédictions, et encadrèrent leurs feuilles de noir en l'honneur des rebelles qui avaient péri.

X

DEPUIS LA FÉDÉRATION JUSQU'AU CHANGEMENT DE MINISTÈRE.

J'ai dit qu'après la fête de la fédération, la lutte des partis prit un caractère de violence qui dépassa ce qu'on avait vu jusqu'alors. Le parti de la contre-révolution avait vu que, dans les provinces, la majorité était dévouée au roi et à l'ordre, et il se figurait que tous les amis du roi

et de l'ordre étaient favorables à l'aristocratie. Il y eut à Jalès, dans les Cévennes, une sorte de fédération, opposée à l'autre, par laquelle les chefs de diverses gardes nationales du midi, comptant sur les émigrés et sur les puissances étrangères, s'engageaient à travailler au rétablissement de l'ancien régime; le camp de Jalès se dispersa, se reforma ensuite, et un foyer contre-révolutionnaire subsista assez longtemps dans ces contrées.

Non-seulement les deux côtés opposés de l'Assemblée se firent dès lors une guerre violente; mais dans le sein même de la majorité existait une scission sourde, entretenue par les jalousies et par les prétentions rivales des deux clubs où se préparaient ses décisions. Ces deux clubs étaient celui des Jacobins et celui des Feuillants.

Un club, dit des Amis de la Constitution, avait été formé, dans l'origine, par quelques députés du côté gauche, qui s'installèrent dans le couvent des Jacobins, rue SaintHonoré, et dans le langage habituel on les désigna par le nom de ce local. Ce club admit ensuite des membres de la commune, et enfin toutes les personnes qui se présentèrent, et l'on n'exigea d'autre titre d'admission qu'un entier dévouement aux principes révolutionnaires. Sur tous les points de la France, des clubs se formèrent et s'affilièrent à celui des Jacobins; il devint très-nombreux, très-influent, très-bruyant; ses séances étaient publiques. Les deux Lameth et Barnave dirigèrent d'abord ce club. Robespierre et Péthion, le premier surtout, y exerçaient une grande influence, ainsi que Brissot.

Le club de 89, qu'on appela depuis club des Feuillants, était composé de députés qui voulaient une constitution monarchique mixte, telle à peu près que celle qui fut votée. Tandis que les Jacobins voulaient toujours pousser la révolution en avant, les Feuillants ne voulaient que la consolider. Ils espéraient que Louis XVI, content des avantages que lui réservait le nouveau gouvernement, se

réunirait à eux et adopterait de bonne foi la Constitution. Ils n'attribuaient point à ce prince les obstacles qu'ils éprouvaient, et ils avaient raison. Lafayette, Bailly, Roederer, Chapelier, La Rochefoucauld, Sieyès, fondateurs et chefs du club de 89, étaient originairement membres du club des Jacobins. Fatigués du tumulte des séances et de la violence des orateurs, ils avaient cessé peu à peu d'assister aux séances des Jacobins, et ils avaient fondé le nouveau club, qui s'établit dans le couvent des Feuillants, tout près de la terrasse qui porte encore

ce nom.

Quant à Mirabeau, craint et recherché des chefs des deux clubs, il faisait pencher la balance pour l'un ou pour l'autre, selon qu'il adhérait aux Jacobins ou aux Feuillants. Ainsi que plusieurs autres députés, il était membre des deux clubs.

Les membres de la droite formèrent aussi leur club, qu'on appela club monarchique; mais il ne dura pas et fut dispersé par une émeute.

Les Jacobins et les Feuillants, quoique ennemis, se réunissaient toujours lorsqu'il s'agissait d'attaquer la noblesse et le clergé, ou lorsqu'il fallait obtenir quelque décret populaire. Ferrières, à qui ces détails sont empruntés,, ajoute :

« Il n'y avait à l'Assemblée nationale qu'à peu près trois cents membres véritablement hommes probes, exempts d'esprit de parti, étrangers à l'un ou à l'autre club, voulant le bien, le voulant pour lui-même, indépendamment d'intérêts d'ordre, de corps, toujours prêts à embrasser la proposition la plus juste et la plus utile, n'importe de qui elle vînt et par qui elle fût appuyée.

«

Adoptant toujours ce qui était bon, éloignant toujours ce qui était mauvais, ils ont souvent donné la majorité à des délibérations qui, sans eux, eussent été rejetées par un esprit de faction.

« Je ne saurais m'empêcher à ce sujet, ajoute-t-il, de remarquer la conduite impolitique des nobles et des évêques. Comme ils ne tendaient qu'à dissoudre l'Assemblée, qu'à jeter la défaveur sur ses opérations, loin de s'opposer aux mauvais décrets, ils étaient d'une indifférence à cet égard que l'on ne saurait concevoir. Lorsque le président posait la question, ils sortaient de la salle, invitant les députés de leur parti à les suivre; ou bien, s'ils demeuraient, ils leur criaient de ne point voter. Les clubistes, par cet abandon, devenus la majorité de l'Assemblée, décrétaient tout ce qu'ils voulaient.

« Le haut clergé et la noblesse, croyant fermement que ce nouvel ordre de choses ne subsisterait pas, hâtaient la ruine de la monarchie et leur propre ruine. A cette conduite insensée, ils joignaient une insouciance insultante et pour l'Assemblée et pour le public qui assistait aux séances. Ils n'écoutaient point, riaient, parlaient haut, confirmant ainsi le peuple dans l'opinion peu favorable qu'il avait conçue d'eux, et, au lieu de travailler à regagner sa confiance, ils ne travaillaient qu'à acquérir sa haine et son mépris. Toutes ces sottises venaient de ce qu'ils ne pouvaient se persuader que la révolution était faite depuis longtemps dans l'opinion et dans le cœur de tous les Français. Ils s'imaginaient, à l'aide de ces faibles digues, contenir un torrent qui grossissait chaque jour. Ils forçaient, par cette obstination maladroite, les révolutionnaires à étendre leur système de révolution au delà même du but qu'ils s'étaient proposé. »

Ces paroles, d'un des membres les plus sages du côté droit de l'Assemblée constituante, expliquent les événements qui vont suivre.

La discussion sur la constitution et sur les lois organiques continua donc dans l'Assemblée au milieu d'un perpétuel orage, et fut troublée par des incidents de toute nature, même par des duels.

Ainsi, à l'occasion d'une enquête sur les événements des 5 et 6 octobre, Cazalès prononça le mot de brigands. Barnave, sur qui par hasard en ce moment Cazalès avait les yeux, l'interrompit : « Est-ce à moi que vous vous adressez? Voulez-vous m'insulter personnellement? Prenez garde; je ne le souffrirai pas. Entendez comme il vous

plaira ce que j'ai dit,» répond Cazalès.

Le lendemain, les deux députés eurent une rencontre au bois de Boulogne ; ils échangèrent deux coups de pistolet. Barnave, favorisé par le sort, tira ses deux coups le premier, et du second frappa Cazalès au front. La blessure heureusement était peu dangereuse.

Depuis ce duel, les deux illustres orateurs, sans cesser de se combattre à la tribune, devinrent amis.

Le duel de Lameth et de Castries dénote encore plus d'exaspération.

Provoqué par un jeune homme à se battre sous un frivole prétexte, Charles de Lameth, d'après le conseil de ses amis, avait refusé, Le lendemain, quand il se présente à l'Assemblée, mille brocards injurieux, partant de la droite, pleuvent sur lui. « Mais, » dit Lameth, « je n'ai pas tellement renoncé à demander raison des outrages, que je ne sois prêt à me mesurer avec qui que ce soit d'entre vous. » En parlant ainsi, il regardait, soit par hasard, soit par intention, le duc de Castries. « Pour moi, » dit Castries, « je brûle depuis longtemps de me couper la gorge avec quelqu'un d'entre vous. Si la partie vous plaît, je suis votre homme. A l'instant même. »

Tous deux sortent de la salle avec leurs témoins. Le jour tombait; à peine pouvait-on distinguer les objets. Les lames des deux adversaires se croisent; Lameth est blessé assez grièvement à la main.

Dès le lendemain matin, la nouvelle de ce combat se répand dans Paris, et le peuple, ameuté contre Castries par les démagogues, se porte en foule à son hôtel, rue de Va

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