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avait été saccagée. On put juger dès ce jour combien les esprits de la population parisienne étaient inflammables. Cette émeute était d'un exemple dangereux; ce qui était plus dangereux encore, c'est qu'elle resta impunie.

Chaque collége électoral avait donné un mandat impératif aux députés qu'il avait choisis. Ces mandats sont ce qu'on appela les cahiers des états généraux.

Tous ou presque tous ces cahiers, en recommandant la fidélité au roi, demandent une foule d'innovations plus ou moins praticables, plus ou moins utiles.

La noblesse, dans ses cahiers, paraît s'inquiéter médiocrement des intérêts du clergé; mais elle se montre ardente pour le maintien de ses propres priviléges. Cependant elle autorise ses mandataires à renoncer en son nom à l'exemption d'impôts, et même aux droits féodaux moyennant indemnité.

Le clergé, dans presque tous ses cahiers, demande la conservation de ses prérogatives; il émet le vœu que, pour mettre un terme au relâchement de la discipline ecclésiastique, les conciles et les synodes soient rétablis, qu'on décrète l'abolition de la pluralité des bénéfices, l'obligation de la résidence pour les prélats, l'augmentation des revenus des curés.

Les cahiers les plus importants sont ceux du tiers état. Presque unanimement les corps électoraux exigent que leurs mandataires votent pour que les délibérations des états généraux aient lieu par tête et non par ordre. Liberté civile et politique, liberté de la presse et liberté de conscience, égalité de tous les citoyens devant la loi, réunion périodique des députés de la nation chargés de voter les impôts, suppression de la vénalité des places de juges et autres, réforme des abus, création d'institutions. utiles, tels étaient alors les vœux de la France entière, exprimés dans ces cahiers; et ces vœux, on ne doit point l'oublier, étaient conformes aux désirs du roi. Son titre

de fils aîné de l'Église et sa position de chef de la noblesse l'obligeaient, il est vrai, à de grands ménagements envers les deux ordres privilégiés, mais ne lui faisaient point oublier ce qu'il devait au peuple, pour qui il avait la plus sincère affection.

II

OUVERTURE DES ÉTATS GÉNÉRAUX.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Enfin, le jour si impatiemment attendu était arrivé, et, après cent soixante-quinze ans d'interruption, les états généraux de la France étaient réunis.

La veille du jour fixé pour l'ouverture, eut lieu une procession solennelle, et une messe fut célébrée dans l'église de Saint-Louis, à Versailles, en présence du roi et des trois ordres. Un public immense, venu de Paris en grande partie, saluait les députés à leur passage; l'attendrissement, le respect, la joie, brillaient dans tous les yeux. Quant aux députés eux-mêmes, ce passage des Mémoires de l'un d'entre eux1 fait connaître combien, en abordant leur mission, ils étaient profondément émus :

« Pendant la cérémonie religieuse, des pensées sublimes, mais mélancoliques, vinrent s'offrir à moi. Cette France, ma patrie, je la voyais, appuyée sur la religion, nous dire : « Etouffez vos querelles; voici l'instant décisif qui va me « donner une nouvelle vie ou m'anéantir à jamais.... » Amour de la patrie! tu parlas à mon cœur.... Des larmes de joie coulaient de mes yeux; mon Dieu, ma patrie, mes concitoyens, étaient devant moi. »

Le lendemain, 5 mai 1789, eut lieu la séance d'ouverture. Dès midi, la salle présentait le coup d'œil le plus im

1. Le marquis de Ferrières.

posant. A la droite du trône, le clergé, en soutane et en grands manteaux, et à sa tête les cardinaux et les évêques avec leurs robes rouges et violettes et leurs rochets. A gauche, la noblesse magnifiquement vétue, avec veste et parements de drap d'or, cravate de dentelle, le chapeau à plumes à la Henri IV, de riches épées au côté. En face du trône, le tiers état, dont l'extérieur simple contrastait avec toute cette magnificence: habit noir, petit manteau noir, cravate de batiste; Mirabeau vėtu comme ses collègues du tiers.

Vers une heure on annonce l'arrivée du roi, tous les députés se lèvent.

Le roi paraît; les applaudissements les plus vifs se font entendre, accompagnés des cris de Vive le roi! Louis monte sur son trône. On remarque que ses regards se promènent avec un air de satisfaction sur la réunion des députés. La reine se place à côté de lui, hors du dais, sur un fauteuil inférieur au trône. La famille royale entoure le roi; les princes du sang, les ministres, les ducs et pairs de France sont placés un peu plus bas; et le surplus du cortége couvre les degrés de l'estrade. Toute cette cour étincelait d'or et de diamants.

Le grand maître des cérémonies annonce du geste que le roi va parler. Aux acclamations succède le plus profond silence. Le roi prononce ces paroles, sincère expression de ses sentiments:

<< Messieurs, ce jour que mon cœur attendait depuis longtemps est enfin arrivé, et je me vois entouré des représentants de la nation à laquelle je me fais gloire de commander.

<< Un long intervalle s'était écoulé depuis la dernière tenue des états généraux; et, quoique la convocation de ces assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une force nouvelle, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur.

< La dette de l'État, déjà immense à mon avénement au trône, s'est encore accrue sous mon règne : une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition.

« Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations, se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés.

« C'est dans cette confiance, messieurs, que je vous ai rassemblés, et je vois avec sensibilité qu'elle a déjà été justifiée par les dispositions que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs priviléges pécuniaires. L'espérance que j'ai conçue de voir tous les ordres, réunis de sentiments, concourir avec moi au bien général de l'Etat, ne sera point trompée.

"Les esprits sont dans l'agitation; mais une assemblée des représentants de la nation n'écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, messieurs, qu'on s'en est écarté dans plusieurs occasions récentes; mais l'esprit dominant de vos délibérations répondra aux véritables sentiments d'une nation généreuse, et dont l'amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif : j'éloignerai tout autre souvenir. »

Ceci était une allusion à la conduite du parlement de Paris. Le roi continua :

« Je connais l'autorité et la puissance d'un roi juste au milieu d'un peuple fidèle et attaché aux principes de la monarchie; ils ont fait l'éclat et la gloire de la France; je dois en être le soutien, et je le serai constamment.

<< Mais tout ce qu'on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer de mes sentiments.

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Puisse, messieurs, un heureux accord régner dans cette assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume! C'est le souhait de mon cœur, c'est le plus ardent de mes vœux, c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples.

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Le discours du roi fut suivi de longs applaudissements. Alors le roi, s'étant assis sur son trône, se couvrit. Tous les gentilshommes suivirent son exemple. Quelques membres du tiers, commençant dès cet instant leur guerre à l'inégalité, voulaient se couvrir; d'autres s'y opposèrent. De là une rumeur au milieu de laquelle on n'entendait que ces mots Couvrez-vous! Découvrez-vous! Le roi, pour y mettre fin, se découvrit, et tout le monde l'imita.

La parole est donnée au garde des sceaux Barentin. Il insiste sur les intentions généreuses du roi, et rappelle les titres de Louis XVI à la confiance de la nation.

Puis vint le rapport de Necker. Dans ce rapport perce l'inquiétude dont ce ministre, alors si populaire, était agité sur les résultats de la grande mesure qu'il avait provoquée; car il s'attendait à une lutte immédiate entre le tiers état et les deux autres ordres, et se sentait impuissant à la prévenir.

A ce rapport de Necker était annexé l'état général des revenus et des dépenses fixes. On y remarque avec épouvante que, sur la recette nette de 476 millions, l'Etat est obligé de payer annuellement 237 millions d'intérêts et de rentes, et qu'en outre le déficit annuel de la dépense sur la recette dépasse 56 millions.

Lorsque Necker eut terminé sa lecture, le roi leva la séance et se retira avec son cortége, tandis que l'assemblée faisait entendre mille cris répétés de Vive le roi! Il se retira, dis-je, le cœur plein d'espérance, et les députés se séparèrent avec l'intention de procéder dès le lendemain à la vérification des pouvoirs.

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