Page images
PDF
EPUB

l'abondance sur le sol français et protégeant l'agriculture; là, le Génie de la constitution s'élevait vers le ciel; plus loin était tracé en grosses lettres le serment de la fédération.

Le roi avait été déclaré chef de la fédération. Pour ce jour-là seulement, il commandait en personne toutes les gardes nationales du royaume. Le 14, dès la pointe du jour, les rues avoisinant le champ de Mars étaient inondées de monde. Le défilé dura très-longtemps. A trois heures un quart seulement, les diverses bannières se trouvèrent rassemblées autour de l'autel de la patrie. Il pleuvait presque sans interruption; mais les chants et les farandoles, et les rires joyeux de cent mille fédérés et de deux cent mille spectateurs, faisaient oublier le mauvais temps. Dès que le roi fut arrivé, l'évêque d'Autun (c'était le fameux Talleyrand-Périgord) célébra la messe, assisté des aumôniers de la garde nationale, revêtus d'aubes blanches et portant la ceinture tricolore. L'office achevé, l'évêque éleva les mains et appela la bénédiction du ciel sur l'oriflamme de la France, confiée au courage des armées de terre. Soudainement le soleil brilla. Lafayette profita de l'instant propice pour monter sur l'autel de la patrie, l'épée nue en main, la pointe en bas, et prononça le serment fédératif, tel qu'il avait été prescrit par l'Assemblée nationale : « Nous jurons d'être à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi; de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi; de protéger, conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés, la libre circulation des grains et des subsistances dans l'intérieur du royaume, et la perception des contributions publiques sous quelque forme qu'elles existent, et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. »

Après lui tout le monde dit : « Je le jure. » Les troupes accompagnèrent ce serment de fanfares, de chants militaires et de décharges d'artillerie, à tel point que le canon,

«

la musique, les applaudissements, firent, dit un contemporain enthousiaste, trembler le ciel et la terre. Ensuite les membres de l'Assemblée nationale prêtèrent le serment. Enfin le roi se découvrit, leva la main, et dit: Moi, roi des Français, je jure à la nation d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle de l'État, à maintenir la Constitution et à faire exécuter les lois. » L'oriflamme de la France s'inclina pour recevoir le serment du roi. Les bravos; les cris recommencèrent et furent suivis d'un Te Deum. Puis, les fédérés se retirèrent en ordre.

On prêta ce même serment le même jour, à la même heure, dans les quarante-quatre mille municipalités de France.

Paris, le soir, fut brillamment illuminé; un bal s'ouvrit sur la place de la Bastille. Sur les ruines de la vieille forteresse, s'élevaient des arcades de feuillage: il était impossible de rien voir de plus animé; on dansait à la clarté des verres de couleur, blanc, bleu, rouge.

Après la fête, les fédérés des départements restèrent encore quelques jours dans Paris et y recurent toutes sortes d'honneurs et de fêtes; les différentes sections se les arrachaient pour leur offrir des banquets patriotiques. A la Muette, on dressa une table de vingt-deux mille couverts.

Qui n'aurait pensé qu'à la suite de cette fète, la concorde allait régner, au moins pendant quelque temps? Mais les esprits étaient alors si agités et si mobiles, que les événements donnaient presque toujours le démenti aux prévisions les mieux fondées. C'est de la fédération au contraire que date un accroissement de haine et d'irritation entre les partis, qui devait finir par tout perdre. Cette union entre toutes les gardes nationales, ennemies du désordre, et les hommages rendus au roi et à la reine par les fédérés, avaient relevé les espérances du parti royaliste, qui, à l'Assemblée et au dehors, devint plus hautain

et plus hardi, en sorte que les amis de la révolution, irrités et alarmés, inclinèrent de plus en plus vers les mesures de violence; et la démagogie fit des progrès rapides. Avant de retracer la lutte qui s'ensuivit, je dois parler des inquiétudes que donnait alors l'armée.

On n'a pas oublié que, dès le commencement de la révolution, les soldats en général avaient pris parti pour elle, et que le régiment des gardes françaises en avait donné l'exemple, et en avait été récompensé. Cet exemple avait produit nécessairement une grande agitation dans l'armée. Presque tous les soldats et les sous-officiers étaient enfants. du peuple, tandis que tous les officiers étaient nobles. Le parti du privilége et le parti de l'égalité se trouvaient en quelque sorte en présence sous les mêmes drapeaux. Les journaux patriotes voyaient dans les soldats des soutiens de la révolution, et dans leur insubordination même, une garantie contre les projets réactionnaires que leurs officiers pouvaient concevoir.

Presque partout les soldats, ainsi surexcités par les journaux et par les clubs, se livraient à de graves désordres.

Un décret de l'Assemblée, qui prescrivait aux soldats une fidélité inviolable à la discipline, apaisa sur tous les points les émeutes militaires. Seule, la garnison de Nancy ne rentra point dans le devoir.

Cette garnison était composée de trois corps: le régiment du roi infanterie, le Mestre de camp cavalerie et le régiment suisse de Châteauvieux. Sur le faux bruit que les officiers voulaient emporter les drapeaux et les caisses, et s'enfuir à l'étranger, les soldats des trois régiments se saisissent des caisses, se mettent en pleine révolte et s'emparent de la ville. Nancy était dans l'épouvante; plus de trois cents familles s'enfuirent à la hâte; une populace immonde, accourue des faubourgs et des villages voisins, se joignit aux rebelles et mérita ainsi d'être appelée

par Marat la seule partie saine de la société. Les autorités départementales et municipales invoquèrent en toute hâte la protection de l'Assemblée. Les rebelles vivaient à discrétion aux dépens des habitants, et on tremblait à la pensée des excès auxquels ils pouvaient se porter.

L'Assemblée s'inquiète des dangers qui menacent Nancy, et en même temps la violation de son récent décret l'irrite. Elle déclare infâmes et indignes de porter les armes les soldats désobéissants et séditieux; elle ordonne que les auteurs de la révolte soient poursuivis comme criminels de lèse-nation, et qu'un officier général soit armé de pouvoirs extraordinaires pour assurer leur châtiment.

Immédiatement le roi chargea Bouillé de cette mission. Le marquis de Bouillé, avec le titre de général en chef de l'armée de Meuse, Saar et Moselle, avait son quartier général à Metz.

Dès qu'il a reçu les ordres du roi, il part pour Nancy avec des troupes de ligne et des détachements de la garde nationale de Metz, empressée de montrer à l'Assemblée nationale son zèle à lui obéir; il envoie en avant un parlementaire pour signifier aux rebelles le décret de l'Assemblée et leur intimer l'ordre de rentrer dans le devoir. Puis avec 3000 hommes d'infanterie, 1400 de cavalerie et 4 pièces d'artillerie, il arrive auprès de la porte Stainville, qu'il trouve garnie de troupes et défendue par deux canons. Les rebelles déclarent qu'ils veulent une capitulation, et que, si elle est refusée, ils emploieront contre lui la force. Il les somme de lui livrer passage. Ils apprêtent leurs canons pour faire feu sur lui.

C'est alors qu'eut lieu l'action du jeune Desille, officier du régiment du roi. Tandis que, tenant en main la mèche allumée, les rebelles vont mettre le feu aux canons chargés à mitraille, ce jeune homme s'élance vers eux et les supplie de rentrer dans le devoir, ou du moins de ne pas tirer. Ses instances sont vaines, mais son courage s'ac

croît en même temps que leur fureur; il arrache de leurs mains les mèches enflammées, et, se plaçant sur un des canons qu'il couvre de son corps: « Non, >> dit-il, « le régiment ne trahira pas la patrie. » Cependant il s'aperçoit que les rebelles vont mettre le feu à l'autre pièce; il se jette alors devant la bouche de ce second canon, en s'écriant : « Non! ou vous ne tirerez pas, ou vous me tuerez. » Ils hésitent, et il retourne devant l'autre pièce. Alors les rebelles, furieux, s'efforcent de l'en arracher. Le jeune homme ne cessa d'embrasser l'embouchure du canon qu'après avoir reçu quatre coups de fusil, tous mortels. On l'emporta dans une maison voisine, où il expira au bout de quelques minutes. Ses derniers mots furent : « Du moins, je ne survivrai pas au déshonneur de mon régiment.

[ocr errors]

Ainsi ce fut par un coup de canon chargé à mitraille et par une décharge de mousqueterie que l'on répondit à la sommation de Bouillé. Ses soldats ripostent par un feu très-vif; ils enfoncent la porte; ils s'emparent des canons; ils renversent tout ce qui se présente à eux. Le combat dans les rues dura avec acharnement pendant trois heures. Enfin, à sept heures, les Suisses de Châteauvieux étant presque tous ou tués ou blessés ou pris, le régiment Mestre de camp ayant pris la fuite, le régiment du roi, rentré dans sa caserne, fait dire qu'il veut se rendre. Bouillé va à leur caserne, seul. Il les trouve honteux et repentants; ils veulent rendre leurs armes, il les leur laisse, et leur ordonne de partir sur-le-champ pour la destination qu'il leur assigne. Les troupes victorieuses avaient perdu 400 hommes, dont 30 appartenant à la garde nationale de Metz.

La nouvelle de ces événements arrive promptement à l'Assemblée. Un décret approuvant la conduite de Bouillé, honorant l'héroïque dévouement de Desille, accordant des pensions aux familles des gardes nationaux tués en combattant sous le drapeau de la loi, fut proposé par Mi

« PreviousContinue »