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que qui touchaient au dogme: « Nous vous proposons de consulter l'Église gallicane. Nous supplions, avec les instances les plus respectueuses, le roi et l'Assemblée de permettre la convocation d'un concile national. Dans le cas où cette proposition ne serait pas adoptée, nous déclarons ne pas pouvoir participer à la délibération. » Cette demande ne fut pas admise; et les ecclésiastiques opposés au projet de loi, c'est-à-dire le plus grand nombre, s'abstinrent; au nombre de ceux qui l'acceptaient étaient Gobel, évêque de Lydda, et, comme on pense bien, Talleyrand, évêque d'Autun.

Voici les principales dispositions de cette constitution civile du clergé, qui fut la cause de tant de troubles, et qui, de même que la constitution politique élaborée à la même époque, dura peu et disparut dans la tempète :

Il y avait un diocèse par département. Les chapitres des églises cathédrales et tous les autres chapitres, abbayes, prieurés, chapelles et bénéfices, étaient supprimés. Il était statué qu'après son élection, un évèque ne pourrait s'adresser au pape pour obtenir l'institution canonique; qu'il lui écrirait seulement comme au chef visible de l'Église, en témoignage de la communion qu'il était résolu d'entretenir avec lui; et quant à l'institution canonique, il la demanderait au plus ancien évêque de la province. Quant au choix des évêques et des curés, il était dévolu aux mêmes corps électoraux chargés de nommer les administrations civiles. L'église cathédrale devenait une église paroissiale dont l'évêque était le pasteur immédiat; les vicaires de cette paroisse devaient la desservir avec lui et former son conseil. On donnait aux curés le droit de choisir leurs vicaires parmi les prêtres ordonnés ou admis dans le diocèse, sans qu'ils eussent besoin de l'approbation de l'évêque. Tous les archevêques et évêques en exercice étaient supprimés, et il devait être immédiatement procédé à l'élection d'un évêque dans chaque département.

Après l'adoption de cette loi, la question des traitements fut agitée. Les curés devaient avoir à Paris 6000 fr.; dans les autres villes, selon leur importance, 4000, 3000, 2400 fr.; dans les paroisses rurales, 1200 fr. Quant aux évêques, Cazalès demanda pour eux un traitement élevé, afin que la charité ne faillît pas entre leurs mains. Robespierre s'y opposa et dit que la charité s'exercerait plus sûrement d'une autre manière. Malgré lui, on accorda à Paris 50 000 fr.; dans les villes les plus importantes, 20 000 fr.; dans les autres, 12 000 fr. Cette fixation a paru raisonnable, et a été maintenue ou à peu près.

La constitution civile du clergé fut votée le 12 juillet 1790, et immédiatement soumise à l'acceptation du roi. Mais la conscience de Louis XVI était alarmée. Toujours prêt à se départir de ses droits pour le bien de la paix, il ne croyait pas pouvoir disposer des droits de l'Eglise. Pendant cinq mois entiers il lutta, et cette résistance, qui accroissait chaque jour son impopularité d'une manière inquiétante, ne put changer les dispositions de l'Assemblée.

On verra un peu plus loin comment elle arracha son adhésion.

IX

FÉDÉRATION.

Nous avons expliqué qu'à la suite des 5 et 6 octobre, et dans l'incertitude des événements, au milieu des troubles auxquels les provinces étaient en proie, diverses fédérations particulières s'étaient formées.

L'approche du 14 juillet, anniversaire de la prise de la Bastille, suggéra aux Parisiens l'idée d'une fédération générale entre toutes les communes et toutes les gardes nationales du royaume, fédération qui serait solennellement jurée dans une grande fête, afin d'achever et de consacrer

ainsi la fusion de tous les Français en une nation véritablement une.

L'adresse des citoyens de Paris, faisant appel aux Français des départements, était brûlante de patriotisme, et, comme tous les actes émanant de Bailly et de ses amis politiques, elle respirait le plus pur dévouement au roi.

C'est vers cette époque qu'eut lieu la célèbre discussion sur le droit de paix et de guerre. Tandis que Cazalès et ses amis luttaient en vain pour conserver à la royauté quelques débris de son pouvoir à l'intérieur, Mirabeau vint inopinément à leur secours, pour conserver au roi, dans les relations extérieures, sa majesté et sa puissance. Le roi devait-il être dépouillé de tout droit relatif à la guerre et à la paix? Devait-il n'être sur ce point capital que l'exécuteur des volontés d'une Assemblée législative? Cette question fut suscitée incidemment par Alexandre de Lameth à l'occasion de quelques menaces adressées par l'Angleterre à l'Espagne, notre alliée.

La discussion a laissé de profondes traces dans les souvenirs. On vit alors Mirabeau tout entier. Cet ardent apôtre de la liberté voulait, par amour même de la liberté, que la royauté restât forte. Il mit un art infini dans le développement de sa proposition, qui, en apparence, attribue concurremment aux deux pouvoirs, législatif et exécutif, le droit de guerre, mais qui en réalité fait la part du roi beaucoup plus grande aussi la gauche était mécontente et étonnée, autant que la droite était satisfaite. Son discours, fréquemment interrompu par les applaudissements de ses adversaires habituels et par les marques d'improbation de ses amis, produisit dans tout Paris une sensation profonde. Les anarchistes, furieux, cherchèrent à ameuter la population contre Mirabeau, et l'accusèrent hautement de corruption et de perfidie. Les deux Lameth et quelques autres députés, jaloux de sa popularité et de sa gloire, propagèrent ardemment ces calomnies. Dès le

soir mille pamphlets étaient criés sous ce titre : La grande trahison du comte de Mirabeau, dans ces mêmes rues qui retentissaient ordinairement de ce cri: Le grand discours, le beau discours, le patriotique discours du comte de Mirabeau!

Ce fut Barnave qui le lendemain parla pour l'opinion qui laissait à la législature le droit de décider de la paix ou de la guerre, et au roi seulement le soin d'exécuter ses décrets. Par la logique serrée de l'argumentation, par la lucidité de la démonstration, par la chaleur du style, il approcha de son rival; et même, favorisé par les applaudissements enthousiastes du côté gauche, il eut l'air de l'avoir vaincu. La majorité voulait fermer la discussion et aller sur-le-champ aux voix.

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Mirabeau dit alors : « Le grand nombre des membres de cette assemblée qui paraissent séduits, persuadés, convaincus par le discours de M. Barnave, croient que ce discours triomphera de toutes les répliques, ou ils ne le croient pas. S'ils le croient, il me semble qu'on peut attendre de la générosité de leur admiration qu'ils ne craindront pas une réplique, et qu'ils laisseront la liberté de répondre s'ils ne le croient pas, leur devoir est de s'instruire. »

La discussion resta donc ouverte, et le lendemain, Mibeau répondit :

« C'est, » dit-il, « une étrange manie, c'est un déplorable aveuglement que celui qui anime ainsi les uns contre les autres des hommes qu'un même but, un sentiment unique, devraient, au milieu des débats les plus acharnés, toujours rapprocher, toujours réunir; des hommes qui substituent ainsi l'irascibilité de l'amour-propre au culte de la patrie, et se livrent les uns les autres aux préventions populaires. Et moi aussi on voulait, il y a peu de jours, me porter en triomphe, et maintenant l'on crie dans les rues : La grande trahison du comte de Mirabeau...... Je n'avais pas besoin de

cette leçon pour savoir qu'il est peu de distance entre le Capitole et la roche Tarpéienne; mais l'homme qui combat pour la raison, pour la patrie, ne se tient pas si aisément pour vaincu. Ces coups de bas en haut ne m'arrêteront pas dans ma carrière. Je leur dir ai: Répondez si vous pouvez, calomniez ensuite tant que vous voudrez. »

Après avoir ainsi foudroyé ses détracteurs, il déclare qu'il rentre dans la lice, armé de ses seuls principes et de la fermeté de sa conscience, et qu'il va poser à son tour le véritable point de la difficulté, avec toute la netteté dont il est capable.

C'est ce qu'il fit, et la nécessité de grandir le pouvoir royal dans l'intérêt même de la liberté publique fut soutenue et développée ce jour-là comme elle ne l'avait pas été encore.

Lafayette lui vint en aide Lafayette, qui comprenait la gravité de la circonstance, déclara, au moment où on allait voter, qu'il se rangeait à la proposition de Mirabeau, légèrement amendée par Fréteau, en ces termes :

« Le droit de la paix et de la guerre appartient à la nation. La guerre ne pourra être décidée que par un décret de l'Assemblée nationale, qui sera rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et qui sera consenti par lui. »

« J'adhère de tout mon cœur à cet amendement, » dit Mirabeau; « c'est pour cela que je combats depuis cinq jours. Je demande que le mot sanctionné soit mis à la place de consenti. »

Le mot sanctionné fut donc substitué à l'autre ; l'article fut adopté, ainsi que le reste de la loi, à la presque unanimité; et la séance fut levée aux applaudissements de l'Assemblée et aux cris d'allégresse des spectateurs. Mirabeau fut plus populaire que jamais.

Peu de jours après on s'occupa de la fédération. L'As

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