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léon III; Custine, Biron, Montesquiou, Latour-Maubourg, Menou, qui plus tard commandèrent les armées de la république; Puisaye, qui organisa la chouannerie; Clermont-Tonnerre; le prince Victor de Broglie, fils du maréchal; le duc de La Rochefoucauld, protecteur éclairé des sciences; le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, philanthrope illustre; Matthieu de Montmorency, qui représenta la France trente ans plus tard au congrès de Vérone; Sillery-Genlis, chef du parti d'Orléans; d'Epremesnil, Duport, Dandré, Fréteau, Lepelletier-SaintFargeau, membres des parlements; Vaudreuil, une des gloires de la marine française; d'Avaray, à qui Louis XVIII dut son salut; des hommes qui se firent un nom dans les lettres, Lévis, Boufflers, Marnésia, Destutt-Tracy; Montlosier, si connu par son opposition aux jésuites sous Charles X.

Sur la liste des représentants du clergé ne se trouve point l'abbé Siéyès, ni sur celle de la noblesse le comte de Mirabeau. C'est le tiers état qui, à Paris, nomma Siéyès; Siéyès, qui eut cette étrange destinée de commencer la révolution et de la finir, trait d'union entre deux dynasties, donnant une main, sans le vouloir, à Louis XVI pour le faire descendre du trône, et l'autre main, sans le savoir, à Napoléon pour l'aider à y monter.

C'est le tiers état de Provence qui nomma Mirabeau. Cette élection a eu tant d'importance qu'il convient d'en parler avec quelque détail.

Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, avait alors quarante ans. Le nom qu'il portait avait été rendu célèbre par son grand-père, officier général sous Louis XIV, et brave entre les plus braves dans ces temps de gloire militaire, et par son père, grand économiste, grand philanthrope, surnommé l'Ami des hommes, et en même temps (ce qui n'est nullement incompatible avec les titres qui précèdent) tyran et bourreau de sa famille. Sous sa

ment d'une constitution fondée sur les idées philosophiques d'alors, la France allait entrer dans une ère de liberté et de félicité dont l'attente faisait battre tous les cœurs.

De ces abus qu'il s'agissait de supprimer, le plus grave était celui qui exemptait de tout impôt les biens des nobles et des ecclésiastiques, possesseurs alors des trois quarts au moins du territoire français. On ne pouvait évidemment sortir de la crise financière qu'en soumettant tout le monde aux charges publiques. A cela le clergé objectait qu'il donnait à l'Etat ses prières, et la noblesse que, sur les champs de bataille, elle donnait son sang. Au clergé, l'on répondait qu'il pouvait prier pour la patrie et contribuer pour elle; et à la noblesse, on demandait si le sang du peuple, qui avait aussi coulé dans les batailles, n'était que de l'eau.

Une question préliminaire et très-importante, surtout pour la répression de cet abus, devait être d'abord résolue.

Les états généraux de tout temps avaient été composés de trois chambres séparées, élues par le clergé, par la noblesse, par le tiers état. Comment procéder à ces élections? Tous les précédents étaient obscurs et contradictoires.

Le roi consulta à ce sujet une seconde assemblée des notables, et fit appel à tous les publicistes. La presse, alors sévèrement contenue, obtint sur ce point toute liberté, et la France fut en un instant inondée d'écrits. Le plus célèbre fut celui de l'abbé Siéyès, ainsi intitulé: Qu'est-ce que le tiers état? Tout. Qu'a-t-il été jusqu'ici? Rien. Que veut-il être? Quelque chose. Clair et logique cette fois (car ordinairement Siéyès enveloppait ses idées d'une métaphysique nuageuse), l'auteur montrait qu'il y avait en France tout au plus quatre-vingt mille ecclésiastiques, et cent mille nobles; voilà, disait-il, cent quatre-vingt mille privilégiés; comparez ce nombre à celui de vingt-six millions d'hommes, et décidez la question. Cet écrit eut un succès

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prodigieux. Siéyès et beaucoup d'autres publicistes réclamaient en conséquence le doublement du tiers, c'est-àdire ils voulaient que le tiers état eût à lui seul autant de représentants que les deux autres ordres ensemble. Cette question se débattait dans tout le royaume au milieu de la plus vive effervescence. Les membres des ordres privilégiés s'opposaient de toutes leurs forces au doublement du tiers, qui augmenterait son importance politique et assurerait sa prépondérance dans le cas où l'on en viendrait à réunir pour voter les trois ordres ensemble, au lieu d'en former trois chambres séparées. Mais Necker pensait que le vote en commun deviendrait peut-être nécessaire pour briser la résistance que les deux premiers ordres pourraient mettre à l'abolition de leurs priviléges, et, nonobstant l'avis contraire d'une seconde assemblée des notables, il obtint du roi le doublement du tiers.

Le parlement de Paris, dont les membres avaient la prétention d'appartenir à la noblesse, ayant voulu s'opposer au doublement, perdit en un instant la popularité de mauvais aloi que son opposition au gouvernement lui avait acquise; en se rétractant, il ne la recouvra pas.

Dans plusieurs provinces, le clergé et surtout la noblesse tâchèrent d'empêcher la double représentation du tiers, mais ils finirent par se résigner; en Bretagne seulement, la noblesse aima mieux ne point nommer de députés que de céder, et l'ordre de la noblesse aux états généraux se trouva ainsi privé de 23 représentants.

L'époque fixée pour la réunion des états généraux fut le 4 mai le lieu fut Versailles, où la cour résidait depuis Louis XIV.

Le nombre des députés fut fixé à environ 1200 (il avait été de 800 en 1536). Les colonies furent admises à la représentation, et Saint-Domingue, pour sa part, eut 12 députés.

L'élection se fit à deux degrés par le suffrage universel. Chacun des trois ordres eut une assemblée électorale, au

cruelle discipline, les passions du jeune Mirabeau prirent une mauvaise direction; sa jeunesse fut orageuse et souillée; un amour coupable pour une femme mariée, amour dont la publication des Lettres à Sophie a conservé à la postérité les brûlants souvenirs, expliqua, sans les justifier, les sévices de son père, qui, par des lettres de cachet obtenues du gouvernement, le fit longtemps traîner de prison en prison.

De là, dans Mirabeau, l'horreur de l'arbitraire et une ardente passion pour la liberté; passion qui, aux approches de la révolution, s'exalta encore par un amour effréné de la gloire.

Ses premiers essais comme orateur avaient eu lieu récemment devant le parlement de Provence, dans une cause qui lui était personnelle; et là s'était révélée une éloquence supérieure à tout ce que, depuis Bossuet, la France avait entendu. Aix et toute la Provence furent éblouis d'admiration, et à l'audience l'on vit son antagoniste, le célèbre Portalis (depuis ministre des cultes), ronger, en versant des pleurs de dépit, le crayon qu'il tenait à la main pour prendre des notes. Au moment de l'élection, Mirabeau s'était déclaré pour le doublement du tiers, et la noblesse provençale, irritée, décida, afin de l'exclure, que ses choix ne porteraient que sur des nobles actuellement possesseurs d'un fief. Indigné, Mirabeau sortit de l'assemblée électorale, en lui laissant pour adieux ces paroles « Dans tous les pays, dans tous les âges, les grands ont implacablement poursuivi les amis du peuple; et si, je ne sais par quelle combinaison de la fortune, il s'en est élevé quelqu'un dans leur sein, c'est celui-là surtout qu'ils ont frappé, avides qu'ils étaient d'inspirer la terreur par le choix de la victime. Ainsi périt le dernier des Gracques de la main des patriciens; mais, atteint du coup mortel, il lança de la poussière vers le ciel, et de cette poussière naquit Marius, Marius moins grand pour avoir exterminé

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les Cimbres que pour avoir abattu dans Rome le pouvoir dominateur des nobles. » Le tiers état provençal accueillit avec transport ce candidat repoussé par la noblesse: Aix et Marseille s'illuminèrent en l'honneur de Mirabeau; partout le peuple dételait et traînait sa voiture; les émeutes qui agitaient alors la Provence, comme beaucoup d'autres parties du royaume, s'apaisaient comme par enchantement à sa voix.

Dès lors, on put prévoir quelle domination il allait

exercer.

Parmi les 584 députés du tiers, Mirabeau sans doute, comme orateur et même comme homme politique, était hors ligne. Mais après lui une foule d'autres étaient remarquables par le savoir et par des talents supérieurs. On va voir en scène Bailly, membre des trois Académies; Mounier, Malouet, Bergasse, Barnave, Chapelier, Desmeuniers, Target, Thouret, Treilhard, Tronchet, Chasset, Camus, Chabroud, Robespierre, Péthion, Buzot. Parmi ceux qui, ne brillant pas au premier rang dans l'assemblée, ont été ensuite célèbres à divers titres, je citerai seulement Boissy d'Anglas, Lanjuinais, Laréveillère- Lépaux, Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély), Rewbel, Merlin (de Douai), Barrère, les deux Garat; deux grands financiers, Lebrun, traducteur du Tasse, et Mollien; Volney, Frochot, le jurisconsulte Grenier, Lapparent, le docteur Guillotin, Brillat-Savarin; je pourrais en citer encore un grand nombre.

Ajoutons que, chez la plupart des députés des trois ordres, la noblesse du caractère répondait à la supériorité du talent.

A l'époque des élections, il y eut sur divers points quelques désordres. A Paris, sous le faux prétexte qu'un fabricant de papiers nommé Réveillon avait dit qu'un ouvrier peut vivre avec quinze sous par jour, le faubourg Saint-Antoine s'était ameuté, et la maison de Réveillon

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