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ainsi très-populaire; les rigueurs qui furent exercées, à l'occasion de sa résistance, envers quelques-uns de ses membres, entre autres d'Épremesnil, ajoutèrent à la fois et à sa popularité et à son audace.

Il s'opposait à ce qu'on établît de nouveaux impôts, et le gouvernement ne trouvait plus à emprunter. La guerre d'Amérique, qui avait fondé la république des États-Unis, qui avait valu au marquis de Lafayette et à d'autres officiers français un nom illustre, et qui avait contribué à répandre en France, et particulièrement dans la jeune noblesse, des idées démocratiques, avait accru de près d'un milliard le fardeau de la dette publique, léguée par Louis XV. Le gouffre du déficit se creusait d'année en année d'une manière effrayante. On tremblait que la banqueroute ne fût au bout.

Réduit ainsi à l'extrémité, le ministère allait d'expédients en expédients. Enfin, il eut l'idée de s'adresser aux deux ordres privilégiés pour obtenir d'eux quelques sacrifices. Mais, dès qu'il s'agit de toucher à ses pensions, qui étaient énormes, et à ses immunités, la noblesse de cour manifesta de l'irritation; et quant au clergé, le roi l'ayant réuni pour lui demander des subsides, n'obtint, au lieu d'argent, que des doléances. Une assemblée des notables, convoquée à Versailles, se sépara sans résultats.

Dans ces circonstances, le parlement de Paris déclara que le droit de consentir de nouveaux impôts, comme de réformer les anciennes lois, n'appartenait qu'aux états généraux, assemblée représentative de la nation, qui n'avait pas été réunie depuis la régence qui suivit la mort d'Henri IV. Ce n'est pas que le parlement désirât les états généraux; il les redoutait au contraire: il ne voulait qu'effrayer le gouvernement et flatter l'opinion.

Mais, à cette époque d'effervescence, le nom des états généraux n'avait pu être prononcé en vain : Necker, Génevois habitant Paris, que le roi venait de replacer à la

tête des finances, s'empara de la déclaration du parlement, et fit de la convocation des états généraux son affaire personnelle; il fit comprendre à Louis XVI qu'un appel à la nation pouvait seul sauver le royaume.

Le roi promit les états généraux, et telle était l'exaltation des esprits, qu'il n'aurait pu ensuite, sans le plus grave danger, ou éluder ou retarder l'exécution de sa pro

messe.

La reine, Marie-Antoinette de Lorraine-Autriche, qui avait beaucoup d'ascendant sur l'esprit de son époux, était opposée à cette mesure qui lui semblait, comme elle l'était en effet, grosse de tempêtes. Dès lors, l'opinion publique attribua à la reine et à son entourage, qu'on appelait le comité Polignac (du nom de la duchesse de Polignac, sa confidente intime), l'opposition que le mouvement national rencontra dès son début. A ce comité appartenaient le second frère du roi, Charles-Philippe, comte d'Artois, qui a régné plus tard sous le nom de Charles X, et la grande majorité des personnes de la cour.

L'aîné des frères du roi, Louis-Stanislas, Monsieur, qui fut roi plus tard sous le nom de Louis XVIII, voyait sans s'effrayer arriver les états généraux; il pensait que des réformes pourraient s'opérer pacifiquement, et il ne répugnait pas à voir quelques formes du gouvernement anglais introduites dans celui de la France. Une partie de la haute noblesse pensait comme lui et se complaisait dans l'espérance d'une chambre des pairs.

Quant au premier prince du sang, Philippe-Joseph, duc d'Orléans, depuis longtemps il faisait cause commune avec les parlements séditieux; et la révolution pouvait compter sur lui, si loin qu'elle voulût aller.

Plusieurs esprits sages s'inquiétaient, ne sachant pas si le mouvement qui se préparait serait habilement dirigé. Mais la masse de la nation était comme ivre de joie; on espérait que, par la suppression des abus et par l'établisse

ment d'une constitution fondée sur les idées philosophiques d'alors, la France allait entrer dans une ère de liberté et de félicité dont l'attente faisait battre tous les cœurs.

De ces abus qu'il s'agissait de supprimer, le plus grave était celui qui exemptait de tout impôt les biens des nobles et des ecclésiastiques, possesseurs alors des trois quarts au moins du territoire français. On ne pouvait évidemment sortir de la crise financière qu'en soumettant tout le monde aux charges publiques. A cela le clergé objectait qu'il donnait à l'Etat ses prières, et la noblesse que, sur les champs de bataille, elle donnait son sang. Au clergé, l'on répondait qu'il pouvait prier pour la patrie et contribuer pour elle; et à la noblesse, on demandait si le sang du peuple, qui avait aussi coulé dans les batailles, n'était que de l'eau.

Une question préliminaire et très-importante, surtout pour la répression de cet abus, devait être d'abord résolue.

Les états généraux de tout temps avaient été composés de trois chambres séparées, élues par le clergé, par la noblesse, par le tiers état. Comment procéder à ces élections? Tous les précédents étaient obscurs et contradictoires.

Le roi consulta à ce sujet une seconde assemblée des notables, et fit appel à tous les publicistes. La presse, alors sévèrement contenue, obtint sur ce point toute liberté, et la France fut en un instant inondée d'écrits. Le plus célèbre fut celui de l'abbé Siéyès, ainsi intitulé : Qu'est-ce que le tiers état? Tout. Qu'a-t-il été jusqu'ici? Rien. Que veut-il être? Quelque chose. Clair et logique cette fois (car ordinairement Siéyès enveloppait ses idées d'une métaphysique nuageuse), l'auteur montrait qu'il y avait en France tout au plus quatre-vingt mille ecclésiastiques, et cent mille nobles; voilà, disait-il, cent quatre-vingt mille privilégiés; comparez ce nombre à celui de vingt-six millions d'hommes, et décidez la question. Cet écrit eut un succès

prodigieux. Siéyès et beaucoup d'autres publicistes réclamaient en conséquence le doublement du tiers, c'est-àdire ils voulaient que le tiers état eût à lui seul autant de représentants que les deux autres ordres ensemble. Cette question se débattait dans tout le royaume au milieu de la plus vive effervescence. Les membres des ordres privilégiés s'opposaient de toutes leurs forces au doublement du tiers, qui augmenterait son importance politique et assurerait sa prépondérance dans le cas où l'on en viendrait à réunir pour voter les trois ordres ensemble, au lieu d'en former trois chambres séparées. Mais Necker pensait que le vote en commun deviendrait peut-être nécessaire pour briser la résistance que les deux premiers ordres pourraient mettre à l'abolition de leurs priviléges, et, nonobstant l'avis contraire d'une seconde assemblée des notables, il obtint du roi le doublement du tiers.

Le parlement de Paris, dont les membres avaient la prétention d'appartenir à la noblesse, ayant voulu s'opposer au doublement, perdit en un instant la popularité de mauvais aloi que son opposition au gouvernement lui avait acquise; en se rétractant, il ne la recouvra pas.

Dans plusieurs provinces, le clergé et surtout la noblesse tâchèrent d'empêcher la double représentation du tiers, mais ils finirent par se résigner; en Bretagne seulement, la noblesse aima mieux ne point nommer de députés que de céder, et l'ordre de la noblesse aux états généraux se trouva ainsi privé de 23 représentants.

L'époque fixée pour la réunion des états généraux fut le 4 mai: le lieu fut Versailles, où la cour résidait depuis Louis XIV.

Le nombre des députés fut fixé à environ 1200 (il avait été de 800 en 1536). Les colonies furent admises à la représentation, et Saint-Domingue, pour sa part, eut 12 députés.

L'élection se fit à deux degrés par le suffrage universel. Chacun des trois ordres eut une assemblée électorale, au

chef-lieu de chaque bailliage (on appelait ainsi les subdivisions territoriales sous le rapport judiciaire; les bailliages prenaient le nom de sénéchaussées dans les pays de droit écrit). Dans chaque paroisse, quiconque payait une contribution quelle qu'elle fût, et était âgé de vingt-cinq ans, concourut au choix des électeurs du tiers état.

Chaque réunion électorale forma son bureau, délibéra sur les instructions qu'elle devait donner à ses mandataires, et, outre le nombre de députés qui lui avait été assigné en raison de la population du bailliage, nomma un ou deux suppléants pour les remplacer en cas de besoin.

Le clergé eut 291 représentants; cinquante étaient évêques. La plupart de ces prélats se recommandaient par leurs vertus et leurs talents à l'estime publique, entre autres Dulau, archevêque d'Arles; Boisgelin, archevêque d'Aix; La Luzerne, évêque de Langres; Beauvais, évêque de Senez; Juigné, archevêque de Paris. Il y avait aussi parmi eux le cardinal de Rohan, tristement célèbre par l'affaire du collier de la reine; il y avait deux Talleyrand, l'un archevêque de Reims, l'autre évêque d'Autun, et Gobel, évêque de Lydda in partibus. Parmi les autres députés du clergé, il faut citer avant tout Maury; l'abbé de Montesquiou, depuis ministre; Latil, qui devint cardinal et confesseur du roi Charles X; l'abbé de Pradt. Les curés étaient fort nombreux, et la plupart, appartenant au tiers état par leur naissance, votèrent avec lui; Grégoire est le plus connu. Un moine, dom Gerle, prieur d'un couvent en Auvergne, siégea en costume de chartreux.

Les représentants de la noblesse se trouvaient réduits à 270 par l'abstention de la noblesse bretonne. Le duc d'Orléans figurait au nombre de ces députés. Parmi eux ont été célèbres à divers titres Lafayette, Cazalès, les deux frères Alexandre et Charles de Lameth, LallyTollendal; Beauharnais, grand-père de l'empereur Napo

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