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VI. Mme SAND (Georges) (1804-1876) est une autre meurtrière, dont la vie littéraire peut se partager en trois phases:

A la première, celle de la passion dans toute sa verve, appartiennent les romans: "Indiana," "Valentine," "Lélia," "Jacques," "André et Lavinia."

A la seconde, celle du dogmatisme, philosophique et politique, appartiennent: Le Compagnon du tour de France," "Spiridion," "Les sept cordes de la Lyre," "Le Péché de M. Antoine"...

A la troisième, celle de l'idylle champêtre, appartiennent: "La Mare du diable," "François le Champi," "La petite Fadette."

Déçue dans ses espérances d'un bonheur qu'elle croyait trouver dans un foyer et séparée de son mari, Mme Sand exhale, dans ses romans, ses rancunes personnelles contre le mariage, contre la famille, contre la société, contre la religion évidemment. Contrairement à Balzac, elle place la félicité de l'homme dans la jouissance des plaisirs grossiers - non d'un monde réel -- mais d'un monde idéal, imaginaire, irréalisable: c'est le côté dangereux de ses œuvres, quant à l'individu, en le poussant à la recherche d'un bonheur vague, indéfini, insaisissable, lequel n'existant point finit par dégoûter de la vie et conduire au suicide; quant à la famille, en tentant de la renverser et de la détruire, par l'abolition

du mariage et la réhabilitation de l'adultère ; quant à la société, en concourant à la corrompre par le relâchement des mœurs, par la destruction des lois morales qui la régissent et la conservent, par la substitution d'une autre société idéale, plus capable de procurer aux hommes le bonheur dont ils se montrent si affamés.

Cette infortunée préparait ainsi l'avènement du socialisme et des révolutions de la rue. Elle a dépensé un art remarquable de peindre les passions de l'âme à cette œuvre haineuse et injuste. (à suivre.)

N° VIII.

Méthode théorique et pratique de composition littéraire.

N.-B.--Nous commençons la publication d'un long et beau travail que nous avons reçu d'un Séminaire canadien. Nos lecteurs constateront sans doute, comme nous, et avec le même plaisir, que cette "Conférence académique,"

faite à des élèves par un condisciple, est riche d'idées et de raisonnements, remarquable de clarté, de justesse et d'ordre. - Donnons la parole à notre

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jeune "académicien," devenu à son insu notre collaborateur.

MESSIEURS,

a consacré la formule.

"Le moi est haïssable." Ce mot est ancien, mais le sens en est profond, comme toutes les "pensées" dont le génie de Pascal La Fontaine ne pensait pas autrement, ni La Rochefoucauld a épuisé la même idée, la poussant jusque dans les recoins de l'abstraction et de la subtilité.

La Bruyère, non plus.

Ce culte du moi, le dix-septième siècle tout entier l'a tenu en aversion. Il n'en pouvait être qu'ainsi dans une société où toute œuvre littéraire aspire à former résonance sur la harpe merveilleuse qui chante les sentiments de l'époque, où la littérature se révèle si universellement impersonnelle.

Les temps s'écoulent; avec eux changent les goûts. Le romantisme a paru, qui a défié le passé, abdiqué la tradition, en attendant qu'il renie le bon sens et se métamorphose, d'excès en excès, jusqu'à n'être plus lui-même. Nos littérateurs, grands et petits, nous les rencontrons, "eux partout, eux toujours, eux encore; et quand, par hasard, ils essaient de sortir d'eux-mêmes, nous reconnaissons toujours, leurs déguisements, Lord Byron ou V.Hugo." (Brunetière.) Le véritable, le beau lyrisme s'est corrompu aux mains des chefs d'une école nouvelle, qui semblent avoir pour profession de se livrer en spectacle à leurs contemporains, en leur servant les débris de leur âme, selon l'expression peut-être un peu réaliste de M. Fréchette "comme des tranches de melon." Tel est le goût qui a prévalu: la mesquine adoration du moi. C'est à cette idole que nous refuserons toujours notre encens.

--

En conséquence, Messieurs, comme les notes consignées dans ce discours sont le résultat d'un travail commun, les "je," les "moi," les "nous" seront, sur mes lèvres, l'écho de la voix de chaque membre de cette Académie. Ces considérations préliminaires m'assureront, je l'espère, le bénéfice de votre indulgente bienveillance.

I. Partie. Sujet général : Invention.

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Il s'agit donc pour nous, Messieurs, de développer une idée quelconque, au moyen d'un système logique, raisonné, autant que pratique.

Faisons choix de celle-ci : "La Chevalerie au moyen-âge."

Ce seul mot est le point de départ. Mais, à son énoncé seul, quelle grandiose perspective nous est ouverte ! Le champ est immense, et que d'esprits supérieurs l'ont exploité! Néanmoins

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il ne se peut tellement moissonner

Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.—(LA FONTAINE.) -"On court grand risque de s'y perdre," insinue quelqu'un, ou du moins d'ennuyer par des redites."-Sans doute 1 mais la forme sera nouvelle, elle sera nôtre: "Ne puis je penser, après les habiles et les anciens, une chose vraie et que d'autres penseront après moi?" (LA BRUYÈRE I.)

Plaçons notre esprit en face de ce thème : "La chevalerie au moyen-âge." Suggestit! le sujet l'est au suprême degré la première trouvaille n'en est que plus facile. Le crayon court sur le papier, où l'on peut lire cette ligne: "La chevalerie est une... société."

La lutte est engagée; il faut la soutenir sans trève ni relâche : c'est l'intelligence, le jugement aidé de la mémoire-le sujet appartient à l'histoire-qui doivent déblayer le terrain et mettre à découvert les lingots d'or ou les diamants; nous nous réservons de les peser, d'en estimer la valeur, de les classer dans la suite. l'œuvre !...

A

Première opération : Invention du sujet gênéral.

1o Origine :-Cette société, la chevalerie, si brillante... est née d'une haute pensée, d'un cœur généreux et vaillant, passionné pour le beau, le grand, le bien, la vertu morale, religieuse, militaire, humanitaire.

2o But:-" immédiat," tel que limité par celui qui en a jeté les bases; "réel," celui, dans le fait, qu'atteignit chaque branche de la Chevalerie.

3o Raison providentielle :-Durée de son existence... Etat social et inconstances où cette institution parut surtout l'instrument de desseins et de la volonté de Dieu.

4° Influence: S'il est permis de juger le mérite d'une institution par ses effets, comme de l'arbre par ses fruits, quelle n'était pas la noblesse de ce bataillon divin, constitué sur terre le défenseur de la famille, le vengeur de la justice outragée, le porteétendard, au milieu des nations, de l'honneur, de la courtoisie, du courage et de la loyauté !

Institution sainte et salutaire, exigeant tant de belles qualités du jeune homme qui veut s'enrôler dans ses rangs; si la naissance y conduisait naturellement, le mérite individuel gardait sa prépondérance que vaut celle-là sans celui-ci ?

:

La chevalerie est le sol natal où s'est acclimaté l'esprit d'initiative, d'entreprise, de générosité, de sacrifice, l'esprit "chevaleresque" presque synonyme de "français," qui a refleuri sur tant de champs de bataille, de nos jours, depuis la Syrie jusqu'à Castelfidardo et à Patay.

Quelle part glorieuse, prise aux Croisades! Chaque ordre s'y est donné une mission: l'un marche contre les Sarrasins d'Orient l'autre marche contre ceux d'Occident ou d'Afrique, Turcs et Maures... L'histoire perpétue le souvenir des luttes... héros... fondateurs et œuvres... Malte, Rhodes, Espagne. . Jérusalem...

Enfin, après le succès et la gloire, abus et faiblesses chez quelques-uns: les Templiers. Causes de leur ruine: excès de richesses, luxe, inaction, relâchement, scandales...

5° Constitution :-L'ordre général chefs, maîtres, cours, commanderies. Modifications selon les circonstances et les lieux. 6o Cérémonies: - Elles naissent de la gloire d'entrer dans l'ordre. Le jeune adolescent, attaché à un chevalier qui l'instruit, devient jugǝ, reçoit ensuite des places de confiance et d'honneur. Les privations qu'il s'impose... discipline préparatoire.

7° Vertus :-Celles que l'on vient de mentionner. Puis, promesses de dévouement jusqu'à la mort, d'obéissance aux règles de l'ordre, aux volontés des chefs... l'amour de l'orphelin.

8° Pratiques:-Fêtes de la réception. Gloire qui rejaillit sur la maison qui s'honore de cette affiliation. Les tournées, occasions de montrer la valeur personnelle : les spectateurs, la lutte, la victoire abus qui s'y glissent. Droits du chevalier, ses titres, son prestige.

II. Partie: Sujet circonscrit : Invention, ie et 2e disposition.

Nous avons donc envisagé la chevalerie, et les idées ont surgi comme par enchantement. Sur laquelle convient-il de s'arrêter en vue d'un développement?... Etudier les "constitutions, les faits glorieux, les pratiques ou cérémonies " serait faire preuve d'une riche érudition. "L'origine " et le "but" s'expliquent par

par la tution.

"raison providentielle" qui fait susciter cette instiLa raison providentielle se reconnaît dans "l'influence" qu'elle s'est acquise à travers l'espace et le temps, si elle n'a pas menti à sa mission; et les "vertus" en sont la manifestation.— Nous arrivons par ce procédé d'élimination littéraire à ce sujet circonscrit Influence de la Chevalerie au moyen-âge. Tout est à recommencer.

Quoi! La peine prise à former la première gerbe d'idées serait perdue! Non pas! Seulement, il faut expier la faute de ne pas avoir su circonscrire le sujet, dès le début. Bonne et grave leçon à retenir !

Procédons sur-le-champ à une deuxième opération, et voici les idées qui se pressent en foule.

1o La chevalerie fait sienne la cause de la chrétienté, qui s'appuie sur sa foi et ses serments, qui la bénit comme un champion de ses droits.

2o Elle ennoblit le caractère de l'individu. auquel elle demande la piété, puisqu'il sera défenseur du droit de Dieu.

3o Elle acquiert de jour en jour un surcroit de considération. et ses bientaits éveillent la sympathie, qui s'affirme à l'extérieur par des dons, à l'intérieur par l'admiration.

4o Le chevalier ouvre son cœur aux enthousiasmes de la vraie grandeur, pour se hausser au niveau de sa vocation : dans le combat, il sera vainqueur ou victime.

5o La vertu réunit une foule de ces hommes d'élite. Chacun se perfectionne, et cette société particulière est le bras puissant de la grande société pour laquelle elle vit et palpite.

6o A la Chevalerie la chrétienté doit le recouvrement de ses possession d'Orient, la délivrance du tombeau de Jésus-Christ.

70 La distinction est un devoir d'état, dans ses rangs. Elle entraîne la sympathie pour le faible, le dévouement à l'opprimé, la courtoisie envers tous.

8° L'Europe chante des poèmes épiques en l'honneur de sa libératrice, qui abat la fureur du Sarrasin et repousse l'audace du Maure.

9o Le chevalier, d'apparence rude et raide comme son armure, aura la délicatesse des manières.

10o Le spectateur, admirateur ému de cette œuvre, veut s'enrôler sans ses gonfalons, qui abritent tant de vertus civiles et morales alliées à tant de noblesse d'idée et de sentiment.

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