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que la méthode "nouvelle " - qui est celle de l'Université en

France-intéresse vivement les élèves et rend les classes très actives et très fructueuses. Nous en appelons à l'expérience des Maîtres qui ont opté pour ce mode et l'ont mis en pratique.

Comme cette seconde méthode n'exclut pas nécessairement la première-laquelle a contribué à former tant d'esprits supérieurs -nous avons pleine liberté de produire ici des exemples de lecture expliquée, pour aider à la culture des facultés littéraires des élèves des pensionnats et des collèges, c'est-à-dire des abonnés préférés de notre REVUE.

EXEMPLES.

I. CLASSES INFÉRIEURES. (1)

TEXTES.

I.-La Campagne Romaine.

C'est un cimetière abandonné. Les longs tertes monotones se suivent en files interminables, pareils à ceux qu'on voit sur un champ de bataille, quand on a recouvert les grandes tranchées où sont entassés les morts. Pas un arbre, pas un ruisseau, pas une cabane. En deux heures je n'ai aperçu qu'une hutte ronde à toit pointu, comme on en trouve chez les sauvages. Même les ruines manquaient; de ce côté, il n'y a point d'aqueducs.

De loin en loin, on rencontre un char à bœufs; tous les quarts de lieue, un chêne vert rabougri hérisse, au bord du chemin, son feuillage sombre; c'est le seul être vivant, un traînard morne, oublié dans la solitude.

L'unique trace de l'homme, ce sont les barrières qui bordent la voie, et de long en large traversent la verdure onduleuse pour contenir les troupeaux, au temps des pâturages; mais, en ce mo

(1) Voici une liste d'auteurs utiles à consulter: 1. Méthode sommaire de lecture expliquée: l'abbé Gouraud (Nantes, chez Mazeau). 2. Cours de lecture expliquée: Robert (Paris, chez Ar. Colin). - 3. Principes d'analyse et de composition: Lebaigue (Paris. Belin.). -4. Livre de lecture et de récitation : Urbain et Couturier (Paris. Vic et Amat.).

ment, tout est vide, et le ciel arrondit sa coupole avec une sérénité douloureuse et ironique, au dessus du champ funèbre. Le soleil se couche, et l'azur pâlissant devient si limpide, qu'une teinte imperceptible d'émeraude verdit son cristal. Rien ne peut exprimer ce contraste entre l'éternelle beauté du ciel et la désolation irrémédiable de la terre.

TAINE.

2.-Observations.

Ce passage, qu'il s'agit d'expliquer à des élèves de 12 à 15 ans, doit comprendre les remarques suivantes :

1. Idée générale : description de la campagne romaine.

2. Idées secondaires : écrire au tableau noir l'idée contenue dans chaque phrase, en soulignant à la craie les mots :

1. Cimetière.

2. Tertres qui se suivent en file.

3. Sol dénudé.

4. Excepté une hutte.

5. Excepté un char à bœufs... un chêne vert.

6. L'homme: barrières révélant sa trace.

7. Aspect du ciel (après celui du sol).

8. Conclusion: contraste du ciel et de la terre.

3. Etude des mots :-cimetière (demandez la définition: terrain bénit où l'on enterre les morts (ici) ;-tertre: éminence de terre isolée dans une plaine, et terminée en plate-forme; éminence de terre recouvrant une sépulture (ici); -monotone : toujours sur le même ton ; qui lasse par la répétitiou des mêmes choses (ici); file... pareil: semblable, analogue, comme, etc., etc.

Toutes ces notions sont mises au tableau et transcrites par les élèves sur un cahier de notes bien soigné.

4. Etude des phrases: remarques grammaticales et ortographiques, ponctuation (qu'on néglige trop) :-quelle règle de grammaire pour : abandonné (p. pass.), longs... interminables)... pareils (et non, pareilles).. où sont entassés les morts: art de renvoyer le sujet après le verbe-les écoliers n'y songent jamais, etc., etc.

En deux classes d'une heure, nous avons ainsi expliqué ce morceau-préparé d'avance évidemment, avec l'aide du " Dictionnaire de Hatzfeld "-à des élèves de "sixième" et de "cinquième," et la seconde fois, on nous l'a récité par cœur, les uns aidant les

autres.

II. CLASSES INTERMÉDIAIRES. (1)

I.-Le Canadien et le Serpent.

Au mois de juillet 1791, nous voyagions dans le Haut-Canada, avec quelques familles sauvages de la nation des Onontagués. Un jour que nous étions arrêtés dans une grande plaine, au bord de la rivière Génésie, un serpent à sonnettes entra dans notre camp. Il y avait parmi nous un Canadien qui jouait de la flûte; il voulut nous divertir, et s'avança contre le serpent avec son arme d'une nouvelle espèce. A l'approche de son ennemi, le reptile se forme en spirale, aplatit sa tête, enfle ses joues, contracte ses lèvres, découvre ses dents empoisonnées et sa gueule sanglante; il brandit sa double langue comme deux flammes; ses yeux sont deux charbons ardents; son corps, gonflé de rage, s'abaisse et s'élève comme les soufflets d'une forge; sa peau, délatée devient terne et écailleuse; et sa queue, dont il sort un bruit sinistre, oscille avec tant de rapidité, qu'elle ressemble à une légère vapeur.

Alors le Canadien commence à jouer sur la flûte; le serpent fait un mouvement de surprise, et retire la tête en arrière. A mesure qu'il est frappé de l'effet magique, ses yeux perdent leur âpreté, les vibrations de sa queue se ralentissent, et le bruit qu'elle fait entendre s'affaiblit et meurt peu à peu. Moins perpendiculaires sur leur ligne spirale, les orbes du serpent charmé s'élargissent, et viennent tour à tour se poser sur la terre, en cercles concentriques. Les nuances d'azur, de vert, de blanc et d'or reprennent leur éclat sur sa peau frémissante; et, tournant légèrement la tête, il demeure immobile dans l'attitude de l'attention et du plaisir.

Dans ce moment, le Canadien marche quelques pas, en tirant de sa flûte des sons doux et monotones. Le reptile baisse son cou nuancé, entr'ouvre avec sa tête les herbes fines, et se met à ramper sur les pas du musicien qui l'entraîne, s'arrêtant lorsqu'il s'arrête, et recommençant à le suivre, quand il commence à s'éloigner. Il fut ainsi conduit hors de notre camp, au milieu d'une

(1) On consultera avec fruit, outre les auteurs mentionnés, ceux-ci: 1. Traité d'explication française: Gazier ;-2. Explication et analyse: Henry ;3. Analyse explicative et raisonnée: Ditandy.-Tous ces opuscules se vendent chez Belin, Paris.

foule de spectateurs, tant sauvages qu'Européens, qui en croyaient à peine leurs yeux.

A cette merveille de la mélodie, il n'y eut qu'une voix dans l'assemblée pour qu'on laissât le merveilleux serpent s'échapper.

CHATEAUBRIAND.

2.-Observations.

Pour l'analyse et l'explication de cet extrait si bien écrit, on suivra les mêmes avis que pour le précédent; mais comme les élèves sont supposés plus avancés, on y ajoutera surtout des remarques littéraires.

1. Narration descriptive.

--

2. Circonstance de temps: "au mois... un jour que..." de lieu: "HautCanada... rivière...“ de personnes "un serpent... un Canadien.

3. Peinture du serpent en courroux "tête... joues... etc." L'auteur a écrit après observation minutieuse: vrai procédé d'invention, à retenir et à pratiquer.

4. Le fait, objet du récit, raconté avec les couleurs d'un pinceau d'artiste. 5. Conclusion brève et forte: laisse deviner l'impression des assistants. 6. Examinez les images, les métaphores, le style, les figures, l'harmonie, l'alliance des mots. Aimez-vous: "comme les soufflets d'une forge"? Non,

c'est forcé, etc. etc.

7. D'après ce récit, cherchez les règles d'une "narration," les idées, leur invention, le début, le milieu, la fin: voilà un moyen agréable de connaître la théorie.

* **

Nous avons étudié ce passage avec des élèves de " quatrième et de troisième," qui s'émerveillent de l'art de l'auteur et goûtent la fraîcheur de son talent supérieur. Mieux vaut insister sur une ou deux pages que d'en lire cent à la légère, à la hâte, à l'étourdie.

III.-CLASSES SUPÉRIEURES. (1)

I.-Portrait de Cliton.

Cliton n'a jamais eu en toute sa vie que deux affaires, qui est de dîner le matin et de souper le soir : il ne semble né que pour la digestion. Il n'a de même qu'un entretien : il dit les entrées qui ont été servies au dernier repas où il s'est trouvé; il dit combien il y a eu de potages et quels potages; il place ensuite le rôti et les entremets; il se souvient exactement de quels plats on a relevé (remplacé) le premier service; il n'oublie pas les hors-d'œuvre, le fruit et les assiettes; il nomme tous les vins et toutes les liqueurs dont il a bu; il possède le langage des cuisines autant qu'il peut s'étendre, et il me fait envie de manger à une bonne table où il ne soit point. Il a surtout un palais sûr, qui ne prend point le change, et il ne s'est jamais vu exposé à l'horrible inconvénient de manger un mauvais ragoût ou de boire un vin médiocre.

C'est un personnage illustre dans son genre, et qui a porté le talent de se bien nourrir jusques où il pouvait aller. On ne reverra plus un homme qui mange tant et qui mange si bien; aussi est-il l'arbitre des bons morceaux, et il n'est guère permis d'avoir du goût pour ce qu'il désapprouve.

Mais il n'est plus; il s'est du moins fait porter à table jusqu'au dernier soupir. Il donnait à manger le jour qu'il est mort. Quelque part où il soit, il mange; et s'il revient au monde, c'est pour manger.

(LA BRUYÈRE, Ch. XI. L'homme.)

2.-Observations. (1).

1° Comme ce thème s'adresse à l'intelligence, au jugement et au goût des élèves des classes de littérature, il y a lieu d'attendre de leur part-non plus un travail de grammaire ou d'étymologie-mais une composition de critique littéraire.

2o Tentons un essai, qui servira d'exemple, si l'on veut :

(1) Nous conseillons les auteurs suivants :-Verdunoy: Les auteurs français expliqués (Paris, Briguet). 2. Bourgoin: Les maîtres de la critique au XVII siècle (Paris. Garnier).-3. Passard: Ratio studiorum (en français) (Poussielgue, Paris).-4. Condamin: La composition française (Paris, CrovilleMorant).

(1) V. Gasquy: Narration, ch. I.

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