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Et ma petite hôtesse vit encore! Tant mieux! Qu'elle se cache bien ce soir, demain, tout l'hiver, dans un coin, au-dessus de l'air chaud des tuyaux qui me défendent du froid! Elle sera douce, paisible, en repos, le long de la rude saison : elle m'oubliera, je l'oublierai, comme le monde perdra mon souvenir, quand je ne serai plus, et que les neiges, les frimas, les nuits étendront leurs blancs et noirs linceuls sur ma tombe.

Puisse alors mon âme, ramassant ses petites épargnes de patience, de temps, de mortification, de compassion, de bonté, se trouver assez riche pour acheter un trône et une couronne, au séjour de l'éternel repos et de la béatitude sans mesure, sans mélange, sans terme! Petite mouche et ses sœurs y auront-ils alors un souvenir, le souvenir de l'obole versé dans mon trésor ?!

La chanson des Mouches. (1)

Seules: tout repose.

La cuisine est close:
Disons,

Par bandes errantes,

Mille susurrantes

Chansons!

Par un volet de la fenêtre

Glisse un clair rayon de soleil ;
Il nous picote, il nous pénètre :
Tout se tait, restons en éveil.

Eté qui flamboie
Sois par notre joie

Fêté ;

Dans la clarté blonde

Menons notre ronde

D'été !

Zon! zon! La vieille ménagère

Cueille les prunes dans son clos:

(1) Le poète suppose que les mouches se parlent entre elles, dans la solitude, loin des maîtres du logis.

Zon! zon! Notre troupe légère
Bruit au logis en repos !

Dans un coin, la chatte
S'endort sur la patte

Du chien:

L'un dort en silence,

Et l'autre ne pense
A rien !

Le nez de la chatte est tout rose,
Et celui du chien est tout noir:
Zon! zon! Que chacune s'y pose
Pour irriter leur nonchaloir !

Agitant l'oreille,

La chatte sommeille,

Rêvant :

Croyant qu'il nous happe,
Le vieux chien attrappe
Du vent!

Zon! zon! Vibrons, laissons-nous vivre, Et, sous le plafond enfumé,

Autour des bassins de cuivre,

Voltigeons sur le rythme ailé !

La noire araignée
Demeure éloignée

D'ici :

Un balai fidèle

Prend constamment d'elle

Souci !

Pendant le bal, tout ce qu'on aime
Se trouve au bahut mal fermé:
Le beurre en mottes, et la crême,
Et le miel, régal enbaumé !

Les plaisirs du monde
Sont pour notre ronde
Aisés :

Longues rêveries,

Danse et sucrerics,

Baisers!

Quand par la fenêtre on nons chasse,
Nos essaims effarés et prompts
Tournent un instant dans l'espace,
Et par la porte nous rentrons.

Zon! zon! Tout repose.

La cuisine est close:

Disons,

Par bandes errantes,

Mille susurantes

Chansons!

CH. GRANDMOUGIN.

N° VIII.

Développement par comparaison.

Le mauvais riche.

N.-B. --Bossuet prêchant devant la cour sur l'impénitence finale dans un moment où une horrible famine désolait le royaume -se laisse entraîner à parler de ce qui préoccupait tous les esprits. Voici l'idée principale: Si les grands ne se laissent point attendrir par les pleurs des pauvres, c'est qu'ils sont pressés et sollicités par les passions qui veulent d'abord être satisfaites.

Bossuet personnifie ces passions, les transforme en pauvres du dedans qu'il oppose à ceux du dehors, les compare à une populace furieuse un jour d'émeute. --- Voilà bien un développement par rapprochement.

D'où vient aux grands une dureté si étonnante envers les pauvres ?

D'autres pauvres plus

Je ne m'en étonne pas, chrétiens. pressants et plus affamés ont gagné les avenues les plus proches et épuisé les libéralités à un passage plus secret. Expliquonsnous nettement je parle de ces pauvres intérieurs qui ne cessent de murmurer, toujours avides, toujours affamés dans la profusion et dans l'excès même ; je veux dire nos passions et nos convoitises. C'est en vain, ô pauvre Lazare, que tu gémis à la porte; ceux-ci sont déjà au cœur ; ils ne s'y présentent pas, mais ils l'assiègent; ils ne demandent pas, mais ils arrachent.

O Dieu! quelle violence! Représentez-vous, chrétiens, dans une sédition, une populace furieuse, qui demande arrogamment, toute prête à arracher, si on la refuse ainsi dans l'âme de ce mauvais riche; et ne l'allons pas chercher dans la parabole, plusieurs le trouveront dans leur conscience.

Donc, dans l'âme de ce mauvais riche et de ses cruels imitateurs, où la raison a perdu l'empire, où les lois n'ont plus de vigueur, l'ambition l'avarice, la délicatesse, toutes les autres passions, troupe mutine et emportée, font retentir de toutes parts un cri séditieux, où l'on n'entend que ces mots : Apporte, apporte : -Dicentes;-affer, affer: apporte toujours de l'aliment à l'avarice, du bois à cette flammie dévorante; apporte une somptuosité plus raffinée à ce luxe curieux et délicat ; apporte des plaisirs plus exquis à cet appétit dégouté par son abondance. Parmi les cris furieux de ces pauvres impudents et insatiables, se peut-il faire que vous entendiez la voix languissante des pauvres qui tremblent devant vous, qui, accoutumés à surmonter leur pauvreté par le travail et par leurs sueurs, se laissent mourir de faim plutôt que de découvrir leur misère ? C'est pourquoi ils meurent de faim; oui, Messieurs, ils meurent de faim dans les villes, dans les campagnes, à la porte et aux environs de vos hôtels; nul ne leur court en aide.

Hélas! ils ne demandent que le superflu, les miettes de votre table, quelques restes de votre grande chère. Mais ces pauvres que vous nourrissez trop bien au dedans épuisent tout votre fonds. La profusion, c'est leur besoin; non seulement le superflu, mais l'excès même leur est nécessaire; et il n'y a plus aucune espérance pour les pauvres de Jésus-Christ, si vous n'apaisez ce tumulte et cette sédition intérieure. Et cependant ils subsisteraient si vous leur donniez quelque chose de ce que votre prodigalité répand ou de ce que votre avarice ménage.

Bossuet.

No IX.

DISCOURS DE M. BRUNETIERE POUR LA DISTRIBUTION DES PRIX

À

L'ORPHELINAT DU VÉZINET.

(Euvre des Alsaciens-Lorrains.)

Mes chères enfants, vous ne savez peut-être pas ce que c'est qu'un "symbole," et c'est ce qui m'enhardit à vous dire que vous en êtes un, et l'un des plus éloquents qu'il puisse y avoir pour des Français. Ne l'avez-vous pas deviné, toutes petites encore, quand vous avez vu se poser sur vous des yeux, où la joie qu'inspirent toujours les grâces de la jeunesse s'obscurcissait de je ne sais quelle pitié grave et quelle tristesse méditative? Mais vous savez du moins, mes chères enfants, ce que c'est que le souvenir, vous savez ce que c'est que le regret, vous savez ce que c'est que l'espérance; et nous, ce qui nous émeut, quand nous vous regardons, filles d'Alsace et de Lorraine, c'est que vous êtes pour nous à la fois l'espérance, le regret et le souvenir.

Vous êtes le souvenir ! Cela veut dire qu'à ceux même d'entre nous qui comme moi - n'ont jamais foulé le sol de vos belles et glorieuses provinces, qui son nés bien loin d'elles, vous rappelez les époques les plus célébrées de notre commune histoire. Aux seuls noms d'Alsace et de Lorraine, nous trassail'ons et nous songeons de Jeanne d'Arc, de Turenne et de Kléber. C'est de là qu'elle est sortie, la vierge guerrière et pieuse, la vierge "Sainte," en qui s'est incarnée pour les étrangers, pour l'Anglais, l'Allemand, pour le Russe, pour l'Américain, l'idée même du patriotisme... C'est encore là, aux portes de l'Alsace, après une série de victoires qu'allait compléter un dernier triomphe, que Turenne est tombé, face à l'ennemi, Turenne, le grand capitaine, l'homme de guerre qui mêla sans doute aux nécessités inséparables de son héroïqque métier le plus d'humanité, et aux dures exigences de la discipline le plus d'amour du soldat. C'est là encore qu'est né Kléber, l'un des héros de l'épopée révolutionnaire, de ceux dont la bravoure étonna le monde, et, tandis que chez nous la Révolution se divisait contre elle-même, l'un de ceux qui ne travaillèrent au dehors, et jusqu'en Egypte, qu'à répandre, à propager, à mettre en pratique

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