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plans de Rodilardus! Race féline fut toujours race câline: combien s'y sont laissé prendre !

Notre doyen donc sera plus habile: on s'attend à une déclaration stupéfiante. Il opine qu'il faut

Attacher un grelot au cou de Rodilard.

Imbécile ! direz-vous; vous vous exposez à une mort certaine !— N'importe il s'agit bien de la mort, quand la république est en danger perdre la vie compte peu, quand la ruine d'un seul doit entraîner le salut commun. D'ailleurs

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Le moyen est donc nécessaire. Il est pratique en plus impossible à Rodilard de bouger, sans aussitôt donner l'éveil à toute la "gent misérable." Enfin, il est à la portée de chacun: " 'attacher un grelot"! quoi de plus facile ! En vérité, ce doyen a beaucoup d'esprit. Il semble pourtant que son confrère de la fable "le Chat-et le vieux Rat" en possède un peu plus le grelot ne lui eût promis "rien qui vaille."

Aussi, tous humblement de courber la tête. Simonsieur le doyen" ne voit aucun autre expédient à proposer, lui dont la prudence est connue, à quoi bon pour les menus ratons d'y contredire! Ce n'est pas plus vrai. Il en va tout ainsi dans la vie ; quand les puissants, les sages ont parlé, force est aux faibles de se taire. Heureux encore, si, tout en condamnant tout bas, ils ne vont pas jusqu'à approuver hautement! Heureux, dis-je, si

Chose ne leur paraît à tous plus salutaire.

La difficulté.

On se quitta.

III

Au troisième acte, le drame se dénoue. Il ne s'agit plus que d'employer le moyen si "prudent." Hélas! pourquoi la facilité de concevoir l'emporte-t-elle sur la force d'agir? Ne disons trop rien cependant: quand on voit pareil évènement se produire tous les jours chez les hommes, qu'offrirait-il d'étonnant chez de misérables rats? Archimède ne demandait qu'un point d'appui pour soulever le monde ; l'appui manqua et le globe demeura fixe sur ses bases. Ainsi des rats. Pour attacher le grelot, il suffirait d'un habile: le doyen, personne fort prudente, y semblerait tout

préparé. Par malheur, le doyen même fait défaut à l'entreprise ; des autres, l'un se croit trop sage, le second pas assez rusé. Tous se dérobent "si bien que sans rien faire, on se quitta."

Chez Archimède, il y avait volonté, décision; ici, on n'aperçoit que lâcheté, indécision. Tant il est vrai qu'une bête, si avisée qu'elle soit, trahit toujours la bête par quelque endroit !

Notez en passant la brièveté du dialogue qui anime l'action et précipite le dénouement. L'un dit "Je ne suis pas si sot"; l'autre "Je ne saurais"; et l'on se quitte sans autres formalités. Comme mainte assemblée parmi les hommes, le "conseil des rats" se termine en queue de poisson. Ne pourrait-on pas soupçonner ici quelque intention d'ironie chez le Bonhomme? Il le fera bientôt entendre clairement. Il en fut de leur projet comme des projets athéniens ceux-ci discutèrent, et Philippe s'empara de leurs provinces. Les rats se séparèrent sans rien exécuter et Rodilard continua leur déconfiture."

:

Ce dénouement est-il bien celui qu'on espérait ? Les chercheurs d'effet souhaiteraient sans doute une issue plus palpitante à ce drame. Si, par exemple, maître Rodilard tombait inopinément au milieu du docte sénat pour croquer le reste de la " gent trotte-menue," quel coup de théâtre! Fort bien; mais cette fin formerait double emploi avec celle du "Chat et le vieux Rat." Puis, elle ne concorderait pas avec la moralité à tirer. Le Bonhomme possède quelque grain de philosophie et

conter pour conter lui semble peu d'affaire.

Or, la leçon voulue en cet endroit doit découler du défaut d'exécution, non pas d'un malheur qui en serait la conséquence. Le retour de Rodilard n'a donc ici aucune raison d'être. Et la symétrie ? le chat, au premier acte, les rats au deuxième, les rats et le chat au troisième: voilà bien une disposition parfaite! Dieu merci ! la théorie de l'art pour l'art, inconnue à nos ancêtres classiques, le fut pareillement à La Fontaine.

* *

J'ai maints chapitres vus

Voire chapitres de chanoines.

Cette réflexion finale nous ramène à notre point de départ. Nous avions raison de le dire après Taine.

nullement sur une invention du poète : ce

Ce drame ne repose

dernier en a été le

témoin oculaire. Je parierais même encore une fois que cette délibération de rats voile un chapitre de chanoines. Ceux de la Sainte Chapelle, quoi! les mêmes peut-être que Boileau devait ridiculiser dans le "Lutrin." La Fontaine cède ici au goût de son temps: mordre chanoines était de mode au temps des prébendes. Pour. quoi lui en faire un crime, lorsque tant d'autres ne l'ont pas considéré comme tel?

La morale, énoncée en quatre vers, est une de ces vérités d'expérience, comme La Fontaine aimait à les exposer. Il n'est pas toujours docteur; parfois il se contente d'une simple constatation. Ainsi donc le monde est peuplé d'Aristobules et de Thrasybules entendez qu'il faut se garder de la prolixité dans les conseils. Conseillez, c'est bien; surtout mettez la main à l'œuvre ; aidez le faible, quand il succombe sous le fardeau; apportez enfin votre quote-part à la réalisation de l'œuvre commune. Au besoin n'hésitez pas à vous sacrifier, si le salut de tous en dépend! Morale tout anti-individualiste, qu'il serait bon de répéter souvant à notre siècle d'égoïsme.

Auteur dramatique, peintre, philosophe, moraliste, je dirais enfin décorateur: voilà encore La Fontaine, toujours lui-même, dans le Conseil tenu par les rats!"

N° III.

E. C.

N.-B.-Des Religieuses enseignantes nous ont prié de leur soumettre, outre la nomenclature des titres de devoirs littéraires, le plan et parfois aussi le développement completqui peuvent servir de jalons et de guides aux élèves. Cette réclamation nous paraît juste et légitime: nous nous faisons un plaisir d'y donner droit dès aujourd'hui, en prenant pour sujets de compositions littéraires des thèmes qui sont à la portée de tous. L'important, dans la formation des facultés, du goût et du style, est l'art de l'invention, de la disposition, de l'élocution, mis à profit d'une façon personnelle, intéressante et surtout littéraire.

Dans ce numéro de la REVUE, nous commençons à publier quelques-uns des devoirs que nous avons fait traiter par les élèves d'une même classe. Ces essais, tout modestes qu'ils sont, inspireront sans doute à d'autres professeurs la pensée de tenter quelque chose du même genre sur les sujets déjà indiqués dans notre publication, ou d'autres à leur choix.

Rappelons, en deux mots, que pour réaliser ces développements il faut recourir aux sources d'invention, aux notions sur le plan,que nous avons étudiées

l'an dernier dans cette REVUE (pages 199... et 343...). En cherchant le mot qui sert de titre au devoir dans le dictionnaire de LITTRÉ ou celui de BESCHERELLE, on trouvera aisément la matière de l'élocution ou du développement littéraire.

N'oublions pas qu'il est très important de chercher et de déterminer en classe, avec le concours de tous les élèves, le plan logique que chacun devra ensuite traiter en étude: cette méthode est indispensable jusqu'à complète initiation aux secrets de l'art d'écrire.

1. Le corps humain. 2. La tête.-3. Les yeux. -4. La physionomie.-5. La bouche.-6. L'oreille.-7. La langue.-8. Le gout 9. La voix.-10. L'odorat. -11. Le cœur.-12. Le sang. --13. La main.-14. Le pied.---15. Le squelette.-16. L'âge.

I. LE CORPS HUMAIN.

A. Plan.

I. Début: Perfection relative du corps humain... comparaison avec la nature inférieure... excellence de notre organisme, supériorité.

II. Milieu: 1. Organisme du corps humain : tête, buste, extrémités, viscères, sang, nerfs...-2. Fonctionnement de l'organisme : mouvement... entretien de la vie... relations extérieures... repos... sommeil... mort.

III. Conclusion: Beauté..... fragilité... néant... espérance chrétienne de la résurrection et de la gloire.

B. - Développement.

(Devoir d'élève.)

Ici-bas, il est un corps plus parfait que tous les autres : c'est le corps humain. La matière, sous ses aspects divers, se prête à mille transformations: elle est inerte et obscure dans le marbre ou le lingot d'or, lumineuse dans les astres lointains; elle est organisée et vivante dans le brin d'herbe, dans le tissu d'une feuille de rose, dans le tronc noueux du chêne; elle s'anime et se meut dans l'insecte inaperçu, dans l'aile frémissante ou multicolore de l'abeille et du papillon, dans la stature massive de l'éléphant. Mais elle s'ennoblit et s'élève merveilleusement, quand elle passe en la substance même de l'homme, pour y servir une âme raisonnable, libre, immortelle.

Unie à l'âme d'une manière substantielle, la matière qui compose le corps participe à la fois à sa dignité, à ses prérogatives, à son empire. Si l'homme est le "le roi de la création," il l'est par

son être tout entier, par l'âme et par le corps. Le mot même de corps appartient surtout au corps humain; il désigne dans le langage usuel le corps par excellence, le chef-d'œuvre des mains divines qui l'ont pétri à l'origine des âges.

Un coup d'œil, rapidement jeté sur son organisme et sur le fonctionnement de cet instrument, admirable de perfection, de légèreté et de force, suffira pour en découvrir la beauté et en laisser entrevoir la fragilité et le néant.

Ne pourrait-on pas comparer le corps humain à un édifice artistement construit? Le squelette en détermine la charpente cachée et la forme générale: près de 250 pièces, les unes longues, les autres courtes, d'autres plates ou renflées, entrent dans la structure de ce temple, s'enchevêtrent sans confusion, alternent avec symétrie, se soudent avec grâce, se solidifient avec l'âge et le temps.

Toute la construction se dresse avec élégance en ne s'appuyant que sur les pieds, que l'Ecriture nomme justement les bases: on dirait que l'homme ne touche la terre que pour en prendre possession et y régner; tandis que les animaux vivent courbés comme des esclaves condamnés à servir, le corps humain est droit comme celui d'un maître qui commande.

Les membres inférieurs forment comme deux colonnes, solides et résistants piliers qui ont le privilège de se plier au genou sans douleur et sans crainte de rupture. à eux seuls, ils égalent en hauteur le reste de l'édifice, sauvegardant ainsi la loi des proportions. Ils supportent sans gêne, sans lourdeur, sans embarras, le buste si habilement travaillé en une sorte de nef élancée, dont les côtes constituent la voûte protectrice: celle-ci s'articule en arrière sur la colonne vertébrale, et s'appuie par devant sur le solide revêtement de la poitrine.

Ce buste cache des merveilles en haut, c'est l'organe de la respiration et de la rénovation du sang; au milieu c'est l'organe moteur qui entretient la circulation et le phénomène de l'irrigation; puis une cloison ou un voile consistant sépare ce sanctuaire de la vie, de la cavité où s'élabore, dans le silence et l'inconscience, en dehors du domaine de la volonté libre, les fonctions de digestion, de nutrition, d'assimilation.

Le cou et les bras sont comme le transcept ou la croix de ce

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