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Ebranler, raffermir l'univers incertain;

Aux sinistres clartés de la foule qui gronde,

Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde:

Quel rêve ! - et ce fut ton destin," (1)

Enfin, Mesdames et Messieurs, Napoléon allait rencontrer un poète digne entre tous de comprendre et de chanter son génie. A partir de 1827, V. Hugo se constitua le prêtre de la religion napoléonienne. Fils de soldat, il avait maintes fois frissonné dans son enfance aux récits de son père, le général Hugo. Il avait vu Napoléon

"Cet homme souverain

Passer muet et grave, ainsi qu'un dieu d'airain

au milieu des acclamations populaires.

De tous se souvenirs de

jeunesse, aucun ne fut plus profond que celui-là.

comme il disait

Devenu homme, son âme, "'écho sonore," lui-même vibrait encore des ébranlements autrefois ressentis. En même temps son génie, épris de grandeur, trouvait dans la vie de Napoléon, un magnifique thème à lyriques effusions. Autrefois Mallet du Pan, un Genévois, avait dit de Napoléon alors à ses débuts : "Ce n'est pas pour l'histoire, c'est pour l'épopée que travaille ce jeune homme. Il est hors du vraisemblable. Une épopée ! le mot est juste: mais pour chanter une épopée, il faut un Homère. V. Hugo prit ce rôle pesant et le soutint.

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Dans les premières Odes qu'il consacra à Napoléon, V. Hugo subit visiblement l'influence de Chateaubriand : même dans l'éloge il n'oublie jamais de condamner la cruelle ambition de Bonaparte : "Il passa par la gloire, il passa par le crime

Il n'est arrivé qu'au malheur."

Il adjure les peuples d'aimer la liberté, de ne jamais la sacrifier à l'ensorcellement d'un homme.

Mais à mesure que Hugo se détache de ses idées royalistes et qu'il secoue les premières influences qui ont agi sur lui, il met

(1) La pièce se terminait par ces mots :

"Et vous, fléaux de Dieu, qui sait si le génie.

N'est pas une de vos vertus."

Lamartine se repentit plus tard de ces deux vers qui lui pesait "comme un remord," et il les modifia ainsi :

"Et vous, peuples, sachez le vain prix du génie

Qui ne fonde pas de vertus.

La correction est un peu plate: mais la conscience du poète fut tout de même soulagée.

moins de restriction à la louange. En 1827, son admiration éclate enfin dans la pièce célèbre Lui."

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"Toujours lui! lui partout ! ou brûlante ou glacée,

Son image sans cesse ébranle ma pensée.

Il verse à mon esprit le souffle créateur.

Je tremble, et dans ma bouche abondent les paroles,
Quand son nom gigantesque, entouré d'auréoles,

Se dresse dans mon vers de toute sa hauteur."

Le poète devient une sorte de sybille que fait frémir l'approche du dieu "ecce deus, ecce! " Gardien attitré de la gloire de Napoléon il la défendra de tout sacrilège. Il sera le plus ombrageux des pontifes ou des hiérophantes. En 1830, Louis-Philippe, devenu roi des Français, reprit le drapeau tricolore auquel la monarchie légitime avait substitué le drapeau blanc fleurdelisé. L'étendard d'Austerlitz et de Wagram se déployait donc de nouveau au-dessus des armées françaises. Hugo battit des mains; mais il voulut davantage et demanda que les restes de Napoléon, demeurés à Sainte Hélène, fussent ensevelis sous la colonne de la place Vendôme, à Paris. Deux mois plus tard, une motion fut faite en ce sens devant la chambre des députés, qui l'écarta, le sept octobre 1830, et passa à l'ordre du jour. La colère du poète se déchaîna dans l'Ode "à la Colonne ", où il rappelle par quels triomphes Napoléon forgea le monument que sa statue domine.

"Oh ! qui t'eût dit alors, à ce faîte sublime,
Tandis que tu rêvais sur le trophée opime
Un avenir si beau,

Qu'un jour à cet affront il te faudrait descendre
Que trois cents avocats oseraient à ta cendre
Chicaner ce tombeau."

Auguste Barbier riposta à Hugo, dans le morceau célèbre intitulé l'Idole" :

"Je n'ai jamais chargé qu'un être de ma haine

Sois maudit, ô Napoléon!"

Mais la protestation n'arrêta point le courant. Deux ans après, en août 1832, V. Hugo écrivait à l'occasion de la mort du duc de Reichstadt (l'Aiglon !) l'admirable pièce, dont le titre est "Napoléon II." Jamais son génie n'a déployé plus grande aile.

I

Mil huit cent onze! O temps où des peuples sans nombre
Attendaient, prosternés sous un nuage sombre,

Que le ciel eût dit oui !

Sentaient trembler sous eux les Etats centenaires,
Et regardaient le Louvre entouré de tonnerres,
Comme un mont Sinaï!

Courbés comme un cheval qui sent venir son maître !
Ils disaient entre eux: “Quelqu'un de grand va naître !
L'immense empire attend un héritier demain.
Qu'est-ce que le Seigneur va donner à cet homme
Qui, plus grand que César, plus grand même que Rome,
Absorbe dans son sort le sort du genre humain?"

Comme ils parlaient, la nue éclatante et profonde
S'entr'ouvrit, et l'on vit se dresser sur le monde
L'homme prédestiné,

Et les peuples béants ne purent que se taire,
Car ses deux bras levés présentaient à la terre,
Un enfant nouveau-né !...

Quand il eut bien fait voir l'héritier de ses trônes
Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes,
Eperdu, l'œil fixé sur quiconque était roi,
Comme un aigle arrivé sur une haute cime,
Il cria tout joyeux avec un air sublime:
L'avenir l'avenir! l'avenir est à moi !

II.

Non l'avenir n'est à personne !
Sire! l'avenir est à Dieu !
A chaque fois que l'heure sonne,
Tout ici-bas nous dit adieu;

L'avenir ! l'avenir ! mystère !
Toutes les choses de la terre,
Gloire, fortune militaire,
Couronne éclatante des rois,
Victoires aux ailes embrassées,
Ambitions réalisées,

Ne sont jamais sur nous posées

Que comme l'oiseau sur nos toits!

Oh! demain, c'est la grande chose!
De quoi demain sera-t-il fait ?
L'homme aujourd'hui sème la cause,
Demain Dieu fait mûrir l'effet.

Demain, c'est le cheval qui s'abat blanc d'écume.
Demain, ô conquérant, c'est Moscou qui s'allume,
La nuit, comme un flambeau.

C'est notre vieille garde au loin jonchant la plaine,

Demain, c'est Waterloo! Demain, c'est Sainte-Hélène !
Demain, c'est le tombeau !

IV

Oui, l'aigle, un soir, planait aux voûtes éternelles,
Lorsqu'un grand coup de vent lui cassa les deux ailes ;
Sa chute fit dans l'air un foudroyant sillon;
Tous alors sur son nid fondirent pleins de joie ;
Chacun selon ses dents se partagea la proie :
L'Angleterre prit l'aigle, et l'Autriche prit l'aiglon!

Encore si ce hanni n'eût rien aimé sur terre!...
Mais les cœurs de lion sont les urais cœurs de père :
Il aimait son fils, ce vainqueur !

Deux choses lui restaient dans sa cage inféconde :
Le portrait d'un enfant et la carte du monde,
Tout son génie et tout son cœur !

çaise.

Tous deux sont morts.

Seigneur, votre droite est terrible.

Vous avez commencé par le maître invincible,

Par l'homme triomphant,

Puis vous avez enfin complété l'ossuaire :

Dix ans vous ont suffi pour filer le suaire

Du père et de l'enfant !

Gloire, jeunesse, orgueil, biens que la tombe emporte !
L'homme voudrait laisser quelque chose à la porte,

Mais la mort lui dit non!

Chaque élément retourne où tout doit descendre :
L'air reprend la fumée, et la terre la cendre,

L'oubli reprend le nom.

(Chants du Crépuscule,)

L'éblouissement de pareils vers acheva de griser l'âme fran

D'autre part, on s'arrachait alors les "Mémoires,” parus depuis peu, des généraux ou des serviteurs de l'Empire. Jamais la curiosité des choses napoléoniennes ne fut plus générale ni plus passionnée qu'alors. Aussi nous l'allons voir la popularité du nom de l'empereur ne cessa de grandir de 1830 à 1840.

(A suivre.)

P. de LABRiolle.

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(Le premier facicule a été publié le 15 juillet 1900.)

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