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N° VIII.

Méthode théorique et pratique de composition littéraire.

(Suite. V. p. 66.)

III. Partie: Sujet circonscrit: Syllogisme et Elocution: 3o et 4e opération.

MESSIEURS,

Quelle est la solidité de ce plan? Sortirait-il intégral d'une épreuve? Je l'essaie. Du premier degré jusqu'au sommet la progression doit être ascendante. La progression dans les idées existe, si celle qui suit ajoute à celle qui précède, et si sa sœur troisième renchérit encore sur le sens qu'ont formé ses aînées.

"Vertus" et "qualités." Le dernier terme n'est que l'éclat projeté par le premier. En effet, "vertus" dans l'individu désigne le pivot autour duquel tourne tout le reste; le cortège sera moindre que la personne du roi. Mais "vertus" du particulier et "vertus" de la société ? Ces dernières se noient dans l'idée de vertus de la chrétienté. La "piété" est en tête des idées subordonnées aux vertus du cœur pourtant elle est supérieure à celles qui l'accompagnent! Nouvelle difficulté donc ? ou bien les exceptions sont fréquentes!

Pour trancher la question en litige, disons que c'est une différente loi qui ne porte aucune atteinte à celle que nous avons donnée. La piété est la rameau d'or d'où naissent les diverses autres ramilles; elle est le fondement de toutes les autres qualités qui "sans elle, ne sont rien." L'Apôtre qui a enseigné qu'elle est utile à tout" pourrait ajouter qu'elle est nécessaire à tout et quelle est "la colonne et le fondement" de la vie chrétienne.

Par une lecture où je m'efforcerai de faire ressortir le mot qui confirme l'idée, je vais faire revivre le plan tel que nous l'avons fait, afin de vous permettre d'en voir la progression.-Lecture du plan de la page 71 et 72.

L'aveu suivant est de Racine: " Lorsque mon plan est conçu, ma pièce est terminée " Marchons sur les traces des grands maîtres, mais ne les imitons pas à demi seulement. Leur appren

tissage fut rude; reproduisons-le pour nous; il fut lent, que le nôtre soit lent! La facilité originelle est le partage de rares génies; si elle nous manque, la "longue patience," qui est, dit-on, un autre génie, y suppléera.

Nous avons façonné le corps de notre composition. Recherchons une forme plus parfaite. Elle est littéraire, elle tient aussi et surtout de la dissertation: elle doit tendre à établir une vérité.

De cette influence heureuse que la chevalerie a répandue dans le monde, quelle idée se présente-t-elle d'elle-même ? Vous me répondez: "l'admiration de la postérité." Merci! Prêtez-moi cette réflexion, qui sera la majeure de mon syllogisme.

-Syllogisme !

-Mais... oui: syllogisme.

-Cela sent sa philosophie! c'est incompatible avec le libre essor des lettres !

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Honni soit qui mal y pense!" L'enseignement que nous recevons ne les a jamais séparées. Elles sont toutes deux filles du Vrai éternel, dont l'une est l'essence, l'autre la splendeur. Bannie soit la pensée de les désunir jamais!

Quel en est le rôle dans la circonstance? Il sera de donner un but à notre travail. Il sera de rendre solide l'ensemble d'une œuvre, ou mieux, d'assurer de sa solidité. Le syllogisme est-il complet et juste, correspond-il à votre dessein sur votre proposition? un succès vous est dès lors acquis, le plus important, le plus durable, celui du fond.

Nous m'avez donc passé votre majeure. J'en vois l'adéquate adaptation à l'influence de la chevalerie. C'est ma mineure, qui forme la proposition; et c'est précisément ce jugement personnel sur cette institution que développera ce corps créé par nous à l'instant il constituera la confirmation de la mineure J'en conclus, dans une péroraison, que la Chevalerie est vraiment digne d'admiration.

J'eusse introduit la majeure dans l'exorde ou début, si, ailleurs que dans le travail de la disposition, elle eût été en son endroit. Dans l'élocution, ici, elle retarderait et serait inutile. Si la thèse était moins connue, ce serait autre chose; elle siégerait au premier rang dans l'exorde. J'aurai recours à l'enthy mème, au syllogisme des orateurs, pour établir, en dernier ressort, ma propositlon de cette

sorte:

Mineure: La chevalerie a exercé une heureuse influence.

a) sur l'individu, qu'elle a orné des vertus du cœur, de mœurs honnêtes,

b) sur la société, qu'elle a relevée et dont elle a été l'exemplaire, b) sur la chrétienté, dont elle a été le salut et la libératrice, en défendant la foi, en repoussant le Maure et le Sarrasin. Conclusion: Donc la Chevalerie est digne d'admiration.

Vous en avez déjà intérieurement fait la remarque: chaque assertion que nous avons énoncée sur l'influence de la chevalerie, sur l'individu, par exemple, comporterait à volonté de nouveaux syllogismes; ainsi des autres.

Et nous voici au sommet de notre ascension: l'élocution couronnera le tout.

De

Nous

"Il y manque pourtant un début!" murmurent les uns. "Il n'a envisagé que le beau côté !" répondent les autres. ce chorus de critiques judicieuses il y a du profit à tirer. témoignons notre reconnaissance aux derniers, en considérant ce que la chevalerie se serait attiré de reproches; mais, comme nous n'avons pas entrepris d'en barbouiller la glorieuse histoire, tout en étant juste, nous n'en esquisserons que les ombres. Pour satisfaire aux autres, c'est précédés de cette triste oriflamme que nous entrerons en scène. Cicéron nous approuvera d'avoir attendu au dernier moment pour déterminer le début.

Le style devra, si possible, n'être pas trop lourd. Enfin, n'oublions pas que, comme thème, dans notre plan, nous avons restreint notre sujet aux proportions de ce que j'appellerais une personne morale." Va donc pour l'élocution.

(à suivre.)

Je vous parlerai aujourd'hui du grand mouvement d'imagination qui s'est fait autour de la figure de Napoléon, après que l'empereur fut tombé du pouvoir, en 1815. Ce mouvement, on le désigne généralement par le mot de "légende napoléonienne." Et vous allez voir en effet que c'est bien une légende véritable qui s'est épanouie sur le riche fond de l'histoire impériale: chose étonnante en un âge de science et de critique, et qui prouve l'ébranlement prodigieux que Napoléon a imprimé à l'imagination française. Sans plus de préambule, je commence.

I

Un jour l'empereur Napoléon alors en pleine puissance demandait aux personnages qui l'entouraient ce qu'on dirait après sa mort; et chacun s'empressait à un compliment ou à une flatterie. Il les interrompit en s'écriant: "Comment vous êtes embarrassés pour savoir ce qu'on dira? On dira Ouf!'" (1).

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Les événements, Mesdames et Messieurs, n'ont pas absolument justifié la prédiction de Napoléon.

Certes, pendant les dernières années de l'empire, et surtout à partir de la retraite de Russie, la France commença à éprouver un sentiment d'immense lassitude. Elle en avait assez de livrer ses enfants pour satisfaire à l'effroyable consommation de chair à canon requise par ces guerres incessantes. Elle succombait sous le faix des gloires napoléoniennes.

C'est ce qui explique qu'en 1814, le premier retour de la légitimité, personnifiée par le roi Louis XVIII, ait été accueilli avec joie par une bonne partie de la nation. La monarchie, c'était la paix ! Les mères allaient enfin pouvoir cesser de trembler en voyant grandir leurs enfants. Nul doute que la fusion de la légitimité et de la France ne se fût opéré très vite, si le gouvernement bourbonien avait su s'accommoder aux mœurs nouvelles et mieux ménager les susceptibilités des jeunes générations, élevées dans l'oubli ou dans la haine de l'ancien régime.

Malheureusement il accumula les fautes et s'aliéna un grand nombre de sympathies, surtout dans l'armée et parmi les paysans. Voilà pourquoi, quand, onze mois plus tard, Napoléon, échappé de l'île d'Elbe, aborda en France, il la trouva préparée à le recevoir. Déjà les maux qu'il avait causés étaient 66 presque

(1) Voir SÉGUR, Mémoires. T. II. p. 456,

oubliés." L'aigle vola sans résistance de clocher en clocher et se posa sur les Tuileries désertées par la monarchie légitime.

Trois mois plus tard, celle-ci rentrait en France, et Napoléon, vaincu à Waterloo par l'Europe coalisée, rendait son épée à l'Angleterre.

Il sortait de l'histoire : il allait entrer vivant dans la légende.

II

Sainte-Hélène acheva de donner à cette physionomie presque surhumaine l'auréole du malheur.

Séparé violemment du monde civilisé, Napoléon fut transporté sur cet îlot malsain et soumis à une surveillance, dont lord Rosebery nous disait récemment dans une admirable étude, le caractère inquisitorial et despotique. Aucun gouvernement ne protesta contre ce douloureux internement, ou plutôt je me trompe : " une seule prière" se fit entendre en faveur de l'exilé. Cette supplication émanait d'un vieillard que l'empereur, quelques années auparavant, avait arraché de ses états, traîné malade et défaillant à travers la France, et durement séquestré à Savonne, puis à Fontainebleau. Le 6 octobre 1817, le pape Pie VII écrivit les lignes suivantes au cardinal Consalvi :

"La famille de Napoléon nous a fait savoir par le cardina Fesch que le rocher de Sainte-Hélène est mortel, et que le pauvre exilé se voit dépérir à chaque minute. Nous avons appris cette nouvelle avec une peine infinie... Nous sommes certains d'entrer dans vos intentions en vous chargeant d'écrire de notre part aux souverains alliés et notamment au prince régent d'Angleterre... Nous entendons que vous lui recommandiez d'adoucir les souffrances d'un pareil exil. Ce serait pour notre cœur une joie sans pareille que d'avoir contribué à diminuer les souffrances de Napoléan. Il ne peut plus être un danger pour quelqu'un, nous désirerions qu'il ne fût un remords pour personne."

Touchantes paroles, Mesdames et Messieurs, qui resteront comme un des plus beaux titres de gloire de ce noble pape dont l'enflexible douceur défia Napoléon tout puissant et plaignit Napoléon malheureux !

D'ailleurs, la cruauté même du traitement dont Napoléon fut victime ne fit que servir sa gloire et idéaliser davantage sa figure. Les cabinets européens avaient voulu le mettre dans l'impossibilité de nuire et l'expulser définitivement de la scène politique: ils ne

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