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En dernier lieu, Voltaire émet discrètement et délicatement son avis, et formule plus finement encore sa requête: Permettes...

6. Style. D'abord, en deux lignes simples et naturelles de ton et de forme, l'auteur de la lettre semble aborder le gouverneur, à qui il laisse ignorer son dessein.

Par une série d'antithèses spirituelles, saisissantes, pittoresques même, où la variété et l'agrément du tour le disputent à la gradation inattendue du fond, le subtil protecteur s'insinue dans l'esprit du baron d'Espagnac et paraît s'égayer en sa présence, comme s'il avait d'avance obtenu gain de cause pour son client. Que l'on remarque ces termes :

Il me dit... je lui répondis; -il ajouta... je lui répliquai; il m'avoua... je lui fis la confidence; -il me conjura... il me protesta (vieilli, comme verb. tr.)

Voltaire est presque inimitable dans le choix et la disposition des nuances de la flatterie, dans l'art de se courber avec grâce devant les grands et de leur baiser les pantoufles d'une façon mignonne et souriante. La plus grande partie de sa carrière s'est même écoulée à jouir du bonheur d'y traîner la langue, avec la sérénité d'une conscience que rien ne saurait inquiéter, avec le calme d'un visage que rien ne saurait faire rougir.

Cette lettre est au moins une bonne action à son avoir : on est charmé de songer qu'un tel homme ait fait ouvrir à deux battants la porte des Invalides à un obscur vétéran, qui essuya plus de coups de feu sur le champ d'honneur, que le poète courtisan n'en tira jamais à des lapins.

B. Lettre de L. Veuillot à sa petite nièce.

MA NIÈCE MARGUERITE,

LE TRÉPORT, 31 juillet 1868.

Je regardais la mer. Elle était bleue au loin, verte de près, blonde sur le bord avec de grosses franges comme de l'argent. Il y avait un gros soleil qui la faisait briller, et elle chantait en dansant et en brillant. C'était très beau. Alors un oiseau est venu près de moi, et il me regardait tandis que je regardais la mer.

Je lui ai dit : Qui es-tu? -Je suis un oiseau du bon Dieu qui vole sur la mer du bon Dieu. -Oiseau du bon Dieu volant sur la mer du bon Dieu, que veux-tu ? Alors il me dit : il y a une petite fille qui aime bien le sucre d'orge et le chocolat, mais qui n'aime point l'étude; la connaîs-tu? -Je crois la connaître. Cette petite fille est dans un couvent à Paris ; la connais-tu ? --Je la connais. Cette petite fille n'est jamais la première de sa classe ; la connaistu? Oui, je la connais bien.

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Eh bien, alors, reprit l'oiseau, il faut que cette petite fille commence à travailler, et à être sage, et à servir le bon Dieu. Son papa et sa maman vont l'amener au Tréport; elle verra la mer, elle jouera sur les galets, elle sera baignée par Michel. Je vois qu'on aime bien cette petite fille-là: il faut qu'elle mérite de devenir la petite fille du bon Dieu et de la Sainte Vierge.

Ainsi parla l'oiseau du bon Dieu, qui vole sur la mer du bon Dieu. Et moi je dis à l'oiseau : —Que faut-il qu'elle fasse la petite fille? Car elle n'est pas méchante, mais c'est une tête légère tout à fait.

L'oiseau reprit :-Quand elle sera dans l'église du Tréport, elle dira : "Mon Dieu, accordez-moi la grâce d'être votre petite fille et celle de la Sainte Vierge.” Si elle fait bien cette prière, tout ira bien: et le bon Dieu donnera des ailes à son âme pour voler au ciel comme je vole sur la mer. Alors l'oiseau du bon Dieu ouvrit ses ailes grandes et fortes, et il s'envola bien loin, bien loin, sur la mer du bon Dieu.

Ma nièce Marguerite, si tu connais cette petite fille qui va venir au Tréport, dis-lui bien tout cela. Moi je suis ton oncle, et je t'aime beaucoup.

*

* *

ANNALYSE RAISONNÉE.

I. Pensées.-L'auteur semble avoir l'intention de donner à sa jeune nièce une double leçon de morale: l'amour du travail et de la prière.

A l'exemple du bon La Fontaine, il fait appel tour à tour aux sens, à l'imagination, au sentiment: chez les enfants cette voie conduit à la réflexion et à la persuasion, d'une façon plus certaine. Comme le fabuliste il donne la parole aux oiseaux, et cette parole raisonnée éclaire, instruit, moralise avec grâce et agrément.

Mais L. Veuillot se réserve la jolie surprise de la fin: "Si tu connais cette petite fille..., dis-lui bien tout cela.”

Marguerite, parcourant d'un œil vif et alerte l'écriture de son oncle, ne songe point à elle-même, quand elle lit ces mots : Il faut qu'elle commence à travailler, à être sage.. ; c'est une tête légère... Peut-être même n'a-t-elle compris le trait inattendu des deux dernières lignes qu'à la troisième lecture de la lettre, peut-être aussi la maman s'est-elle vue dans la nécessité de suggérer: la petite fille, c'est toi-même.

Il y a bien d'autres petites Marguerites sur terre !

2. Ordonnance.-L'artiste transporte sa nièce en esprit au bord de la mer... en plein soleil de mıdı... au milieu des mouettes des falaises normandes du Tréport.

L'un de ces oiseaux interrogé parle, répond, renseigne l'oncle qui feint de ne pas connaître la petite fille... Puis il annonce le voyage de la famille aux bains de mer, moralise comme un maître

et un catéchiste de première communion, donne même l'espérance du ciel si beau, dont la maman a si souvent parlé à Marguerite...

3. Style. L'écrivain s'est baissé jusqu'à la taille d'une enfant de sept ans dans ce ravissant chef-d'œuvre.

Il y a lieu vraiment d'aligner ici les qualités des pensées et des sentiments, dont nous avons parlé précédemment (p. 12.): originalité, naturel, candeur, ingénuité, simplicité, naïveté, délicatesse, grâce, etc. Ne dirait-on pas que c'est le langage d'un enfant parlant à un enfant ?

Je

Je regardais la mer... bleue... verte... blonde... gros soleil... C'était très beau. Alors un oiseau... il y a une petite fille... Eh bien, alors. vois qu'on aime bien... Et moi je dis... Alors l'oiseau...

Moi je suis ton oncle, et je t'aime beaucoup.

Voilà l'artiste, aussi habile maître dans le dessin léger d'une aquarelle que dans l'exécution d'un tableau grandiose et sévère.

*

* *

C.-Lettre d'une mère.

Donnons la parole à une mère, dont le fils, résidant à Ottawa,
La nouvelle inatten-

a été emporté en quelques jours de maladie.

due de la mort de son enfant arrache à celle qui l'aimait des accents si vrais et si émus qu'ils se passent de commentaires :

M...

FRANCE, S. M..., 16 décembre 1899.

C'est le cœur brisé, que je vous prie de bien vouloir agréer mes sentiments de vive et profonde reconnaissance, pour tout ce que vous avez fait en faveur de mon enfant bien aimé, mort entre vos bras. Soyez mille fois béni pour tout ce que votre cœur de Père et d'apôtre vous a suggéré pour consoler et encourager mon cher H... à mourir en parfait chrétien !

Soyez béni aussi, M pour les bonnes lettres de consolation et de résignation que vous nous adressez ! Continuez à nous parler de ce cher disparu, que vous avez apprécié, connu et aimé, de ce cher enfant qui a quitté si jeune le toit paternel pour n'y jamais revenir, qui est mort au milieu de nombreux amis, mais sans parents, loin, bien loin, sur une terre étrangère, en exil !. Que c'est affreux ! Nous sommes inconsolables, et même au pied de la Croix, nous ne pouvons que pleurer et répéter: "Ayez pitié de nous, Seigneur !"......

Lui, si jeune, si beau, pour qui l'avenir s'ouvrait riant encore peut-être ! il dort maintenant de son éternel sommeil, dans le caveau de notre famille, où une foule énorme et sympathique l'a accompagné, il y a dix jours seulement ! Nous prierons pour lui, et il priera pour nous, car je le sens au ciel ; et un cœur de mère ne se trompe point, quand il s'agit de ses enfants!

Je lui parle, je l'invoque, comme autrefois, lorsqu'il était enfant et il me semble qu'il me répond. Son âme immortelle réside au milieu de nous, comme une sœur fidèle.

Le cher H...! il est mort bien jeune, à vingt-trois ans !... Des souvenirs les plus touchants nous arrivent d'Ottawa: fleurs fraîches et bien conservées qui entouraient le cercueil de mon pauvre enfant comme un hommage rendu à sa jeunesse, lettres d'amis pleines de condoléances et d'amers regrets, photographies si bien réussies dans leur triste et émouvante réalité, messes souscrites pour le repos de son âme, tous ces souvenirs nous touchent au plus profond du coeur, et en même temps nous transpercent l'âme d'un glaive de dou

leur !...

Que la Mère de toutes les douleurs allège les nôtres !... Mais que de temps il faudra pour amener un peu de calme dans mon âme! L'apaisement, s'il se fait, ne se fera qu'à la longue, et que de choses brisées à tout jamais ! Toujours une place restera vide au foyer domestique et plus de fêtes de famille complètes : un enfant, le fils aîné, sur lequel nous fondions tant de belles espérances manquera, toujours au rendez-vous !

Pardon, M..., pour le décousu de cette lettre, mais c'est une mère qui pleure son enfant, et qui, par cela même, n'est pas responsable de l'incohérence de ses pensées.

Merci, encore une fois, M.., à vous et aux amis consolateurs du cher défunt. Ensemble prions le Dieu de miséricorde d'avoir pitié de lui et de nous, et de nous réunir un jour dans la céleste patrie.

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1. Il faut aux élèves du temps, du travail, de la lecture, des recherches minutieuses, avant de pouvoir manier avec aisance les mots de notre langue, avant de démêler leurs significations diverses, de les agencer avec art, agrément et harmonie.

2. Essayons de leur suggérer, au moyen d'exemples variés, la méthode à suivre pour acquérir insensiblement la valeur et la propriété des termes.

Prenons les dérivés et les composés du mot chanté, dans la fable de la cigale et la fourmi.

* *

I.-DÉRIVÉS.

1. Un élève écrit à ses parents :

"Le jour de la fête de M. le Supérieur, la chorale du séminaire a exécuté en son honneur une ravissante composition musicale, composée d'un récitatif et de strophes variées..

Il suffisait de dire une ravissante cantate; c'est le mot propre, que justement ignorait notre élève.

2. Une pensionnaire écrit de son côté à sa mère :

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Mademoiselle Agnès, l'amie dont je vous ai déjà parlé, a chanté, ces jours-ci, dans une soirée musicale pour une œuvre de charité. Quel talent et quelle voix ! C'est une cantatrice admirable !.."

Il fallait dire chanteuse; la cantatrice est uniquement celle qui chante sur les théâtres mondains, et qui est pourvue de toute l'habileté que la science et l'exercice peuvent lui donner. —La chanteuse chante pour son plaisir, ou dans un salon, ou dans un atelier, ou dans la rue, ou dans une église, et toujours des morceaux pour lesquels une grande habileté n'est point exigée.

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3. Un touriste écrit ceci dans son carnet :

En Italie, au pied des Apennins, un berger m'a ravi d'admiration ; il jouait sur sa cornemuse une suave mélodie d'un genre langoureux et sentimental..."

Cantilène est le terme propre, plus court et plus expressif que les quatre mots qui prennent sa place.

4. Tout le monde sait que le mot cantique désigne aujourd'hui un chant religieux en langue vulgaire.

Mais ce que l'on sait moins sans doute, c'est le sens du même terme dans ces vers de l'Esther de Racine :

Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces cantiques

Où vos voix, si souvent, se mêlent à mes pleurs... (Esth. 1, 2.)
Prêtres, préparez vos cantiques... (Ib. 111, 9.)

Chez les Hébreux, ce terme signifiait chant religieux pour louer et remercier Dieu, pour exalter sa puissance, sa grandeur, sa gloire.

Au figuré, l'on dit familièrement :

Vous l'avez échappé belle, vous pouvez chanter un beau cantique ; ce qui veut dire : vous pouvez remercier Dieu de vous avoir protégé.

5. Le sens ordinaire de chanson n'échappe à personne. Mais comment expliquerez-vous ces vers de Molière :

Ne nous amusons point, ma fille, à ces chansons. (Tart. 11, 2.)
Chansons que tout cela !...
(Ecol. des m. 1, 2)

Le mot pris au figuré et familièrement signifie propos rebattus qui reviennent sans cesse comme une série de refrains; il s'emploie alors au pluriel.

Que veut dire ce proverbe: Je ne me paie pas de chansons? sinon Je veux des effets et non des paroles en l'air.

6. Chansonnette est un diminutif de chanson et indique pro

prement une petite chanson.

D'une manière spéciale, il signifie chanson comique.

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