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(b). Ex.-"

Barbare, qu'as-tu fait ? Avec quelle furie

As-tu tranché le cours d'une si belle vie?

Mais parle De son sort qui t'a rendu l'arbitre ?
Pourquoi l'assassiner? Qu'a-t-il fait ? A quel titre ?
Qui te l'a dit ?"

[RAC. Andr. V. 3.]

50 Le tour exclamatif offre plus de souplesse, de variété, de délicatesse, de force, d'éclat pour rendre tous les mouvements de la sensibilité.

(a). Ex. "O nuit désastreuse! ô nuit effroyable! où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle: Madame se meurt, Madame est morte !... Quoi donc ! elle devait périr si tôt ! Le matin elle fleurissait, avec quelles grâces! vous le savez..." [Boss. O. H. d'Angl.] Malheur à l'âme impie qui

(6). Ex.—“ Levez-vous, Seigneur, levez-vous !.. loin de vous est sans Dieu, sans espérance, sans éternelle consolation!

[FENELON].

(c). Ex." Mon Dieu ! que les moments qui délivrent d'une si terrible pensee font sentir un inconcevable plaisir !" [MME DE SÉVIGNÉ.]

Ex.

Quoi ! mortes ! quoi ! déjà sous la pierre couchées !
Quoi! tant d'êtres charmants sans regard et sans voix !
Tant de flambeaux éteints! tant de fleurs arrachées !

[V. HUGO.] Remarques. Il est important, pour le bon emploi de ces tours de phrase, de consulter :-(a) les dispositions où l'on se trouve, puisque le langage écrit ou parlé, est la manifestation de l'âme ;-(b) le sujet que l'on traite, car tous ne comportent point ces diverses formes d'élocution au même degré ;-(c) les personnes auxquelles l'on s'adresse.

Il est certain que le mélange de ces procédés de langage imprime au style la variété, qui plaît et qui apparaît si naturellement dans les conversations soignées et de bon goût.

5. Défauts. Il est facile d'éviter les défauts les plus communs, que les novices dans l'art d'écrire reproduisent comme à

plaisir et par négligence. En voici quelques-uns.

1. Les répétitions de mots.

Ex. Il est temps de vous aller reposer. Songez que vous devez vous lever demain avant l'aurore pour aller à la fête."

2.

(BERN. DE SAINT-PIERRE).

L'emploi épidémique des verbes avoir et être, non pas

comme auxiliaires, mais comme verbes substantifs.

Ex.-Elle n'avait pas le sentiment de sa dignité: elle perdait...

Mes cousins sont aujourd'hui à Paris habitent...

3. L'emploi des verbes faire, venir, savoir, trouver, et cent autres d'un usage fréquent en conversation, mais insipides en langage écrit.

Ex.-Je viens vous faire mes adieux je vous adresse...

Je ne sais où trouver l'adresse de...: j'ignore l'adresse de..... 4. Les mots parasites, surtout les conjonctions. Ex.-Lorsque j'aurai quitté ce lieu d'exil: Après mon départ de...

Après que nous eûmes abordé...: En abordant, à notre arrivée... 5. Les termes équivoques.

Ex." Le chien toujours empressé pour son maître est prévoyant pour ses seuls amis... [BUFFON, Hist. nat.] — Les amis de qui? -- du chien?

6. Les épithètes ou qualificatifs insignifiants, banals, usés. Ex. -Larmes amères... douce rêverie... beau jour... spectacle émouvant... 7. Les locutions vicieuses qui pullulent dans les romans. Ex. Superbe était la matinée... Admirable fut sa conduite... A seule fin de... Il ne répondait pas, fatigué qu'il commençait à être...

8. Les surcharges, les longueurs ou mots trop nombreux. (a). Ex.-Les femmes n'ont pas de limites dans leurs sentiments; parfois elles valent mieux, d'autres fois moins que les hommes.

La Bruyère exprime la même pensée en quelques mots :

"Les femmes sont extrêmes; elles sont meilleures ou pires que les hommes."

.

(b). Ex. Il y avait sur sa figure d'un jaune brun, dans sa prunelle noire et ardente, dans sa bouche froide et dédaigneuse, dans son attitude impassible et jusque dans le mouvement absolu de sa main longue et maigre, ornée de diamants, une expression de fierté arrogante et de rigueur inflexible que je n'avais jamais rencontrée." [G. SAND. La dern. Ald.]

Voilà un style rococo, c'est-à-dire suranné, de mauvais goût, diffus, où chaque nom s'accompagne de son qualificatif incolore : c'est le ridicule dépassant l'exagération. Il serait plus ridicule encore, le lecteur qui prendrait goût à de pareilles fadaises. En effet :

Figure brune eut suffi; jaune est une nuance qui se perd en route ;-pruneile ardente eut satisfait ;- impassibilité équivaut à attitude impassible ;—le mouvement absolu (?) de sa main veut dire sans doute le geste autoritaire ;— arrogance remplacerait bien l'expression de fierté arrogante, et rigueur inflexible paraît d'un accouplement banal.

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"Il y avait dans sa figure brune, dans son ardente prunelle, dans le dédain de sa bouche, dans son impassibilité et jusque dans le geste autoritaire de sa main maigre, une arrogance inflexible que je n'avais jamais rencontrée."

Cette phrase n'est pas encore une merveille, car elle revient à dire:

“Il y avait de l'arrogance dans son dédain et de la rigueur dans son impassibilité."

Alors, que voulait donc exprimer l'auteur ?-Rien, ou à peu près; c'est l'art de délayer une idée.

6. Mérites.—Une construction régulière produit les mérites de style qui donnent à la phrase toute sa beauté, à la pensée tout son éclat et sa valeur. En conséquence, la phrase devra posséder:

1. L'unité, c'est-à-dire que toutes ses parties devront concourir à produire sur l'esprit l'impression d'un seul objet.

Ex." Lorsque nous fûmes à l'ancre, ils me conduisirent sur le rivage, où je fus reçu par mes amis qui m'accueillirent avec la plus vive tendresse." [Fén. Tél.] -Point d'unité dans cette phrase. Disons :

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Lorsque nous eûmes jeté l'ancre, je descendis sur le rivage où je fus reçu par mes amis qui m'accueillirent avec tendresse.”

Remarque. L'unité est l'un des caractères propres aux grands écrivains du XVII siècle : il suffira d'étudier dix lignes de Pascal, de La Bruyère, de Bossuet, de Fénelon, pour s'en convaincre.

2. La symétrie, qui consiste en une certaine ressemblance dans la constructions et dans le développement des propositions opposées.

Ex.--"Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées; Racine se conforme aux nôtres. Celui-là peint les hommes tels qu'ils devraient être ; celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier de ce que l'on admire et de ce que l'on doit même imiter; il y plus dans le second de ce que l'on reconnaît dans les autres ou de ce que l'on éprouve soi-même... Ce sont, dans celui-là, des règles et des préceptes; et, dans celui-ci, du goût et des sentiments. L'on est plus occupé aux pièces de Corneille; l'on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racines. Corneille est plus moral, Racine plus naturel. Il semble que Tun imite Sophocle et que l'autre doit plus à Euripide." [LA BRUY. I.]

Voilà le triomphe de l'art de varier par symétrie les formes successives d'un développement.

3o La progression continue et la gradation développent des idées qui se succèdent en renchérissant les unes sur les autres. Elles ont pour effet de donner à la pensée plus d'énergie, de faire

sur

l'esprit, sur l'imagination, sur le cœur, une impression toujours plus vive, toujours plus forte.

1. La gradation est ascendante, quand la force des termes,

l'ampleur et l'éclat des pensées vont croissant jusqu'au bout.

(a). Ex..

"Va, cours, vole, et nous venge." [CORN. Cid. I. 4.]

(b). Ex.-- “Que ne doit point le royaume à un prince qui a honoré la Maison de France, tout le nom français, son siècle, et, pour ainsi dire, l'humanité tout entière?" [Boss. O. Fun.]

2. La gradation est descendante, quand la force des expressions, l'étendue des idées vont diminuant jusqu'à la fin.

(a). Ex.

.— « Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.“ [LA FONT. II. 14.] (b). Ex.- Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple est abattu." [Boss. D. d'Orl.]

Remarque. Nous parlerons plus loin de l'harmonie des mots et des phrases, élément considérable de l'élégance et du bon style.

CONCLUSION.

1. La propriété des termes produit la clarté du langage. En effet, la convenance des mots avec l'idée supprime les à peu près et la confusion, ne laisse rien d'incertain, rien de nuageux dans l'esprit.

2. La propriété engendre aussi la concision qui consiste à dire tout ce qu'il faut et rien que ce qu'il faut; la précision, qui exprime la pensée en aussi peu de mots que possible.

Dans les mots, la précision choisit les expressions de telle sorte que chacune soit l'image fidèle de l'idée correspondante sans y rien ajouter.

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Ex. La mort ravit tout sans pudeur." [LA FONT. VIII, 1.]

Voilà deux termes qui sont à la fois propres et précis.

Dans les phrases, la précision exclut les mots de pur remplissage, les epithètes oiseuses, les périphrases obscures et superflues.

Ex. Cependant, le vent balançait sur ma tête les cimes majestueuses des arbres. Chacun a son mouvement. Le chêne au tronc raide ne courbe que ses branches; l'élastique sapin balance sa haute pyramide, le peuplier robuste agite son feuillage mobile, et le bouleau laisse flotter le sien dans les airs comme une longue chevelure," [BERN. DE ST. PIERRE. Paul et Virg.]

Pas un seul adjectif qui n'apporte son trait au tableau et n'en augmente le charme; tous sont utiles.

Dans le développement de la pensée, la précision exige qu'on n'environne point l'idée principale d'idées accessoires qu'elle contient et suggère d'elle-même, qui n'offrent aucun intérêt particulier c'est alors la concision.

Ex. Je m'embarquai un soir à Québec pour Terre-Neuve.

Langage précis et juste.—Voici du verbiage:

"Je venais à peine d'arriver de Montréal à Québec, et je descendis au port; là, j'avisais un pilote et m'informai auprès de lui de l'heure du départ et du prix du passage; enfin, après avoir attendu plus longtemps que je ne l'avais cru d'abord, on leva l'ancre, et l'on partit..."

3. La propriété imprime au style la force, la richesse aussi bien que la pureté, le naturel, la facilité, la sobriété.

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