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Il s'ensuit nécessairement que la connaissance exacte des mots du dictionnaire et de leurs significations diverses donnera à l'écrivain l'usage facile de la propriété des termes; comme cette connaissance fait défaut aux novices dans l'art d'écrire, leur style fourmille d'expressions impropres et inexactes.

4. Div. 1o Le mot ou terme est concret, quand il exprime quelque chose de réel, de matériel: Ex.-Papier; ou encore une qualité considérée dans un sujet : Ex-Papier rouge.

20 Le mot ou terme est abstrait, quand il exprime une chose qui n'est réelle que dans l'esprit, ou encore une qualité séparée du sujet. Ex.-Innocence, rougeur.

3o Le mot ou terme est général, quand il convient à tous les êtres d'une même classe.

Ex.-Temple, qui désigne les édifices religieux de tous les cultes.

Il se remplace parfois par la périphrase.

Ex-Ceux qui, par état, ne sont faits que pour importuner les autres : les mendiants. (BUFFON).

Les écrivains du XVIII siècle ont singulièrement abusé de la périphrase et des termes généraux, comme celui-ci.

Ex.-Un criminel: un pécheur.

4o Le mot ou terme est particulier, quand il convient aux individus d'une même espèce. Ex.-L'église.

5. Sources. Comment s'assurer de la propriété des termes ? En usant des procédés suivants :

10 L'étymologie qui indique le sens primitif et le sens actuel des mots, la filiation d'un mot par rapport à un ou plusieurs autres mots dont il dérive.

Ex.-"Ce temps (de la mort), hélas ! embrasse tous les temps.

Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,

Il n'en est point qu'il ne comprenne

Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine." (LA FONT. VIII. 1). Ce dernier terme signifie aujourd'hui un bien fonds, une terre avec fermes et château ;-au XVII siècle, il exprimait l'empire absolu du seigneur sur la chose possédée ce dernier sens éclaire le sens du mot domaine employé par La Fontaine, et en établit la force; il signifie : A l'heure de l'agonie, la mort a un empire absolu sur tous les moments de notre vie.

20 La lecture attentive, raisonnée, analytique, assidue de nos grands écrivains.--Nous en donnons l'idée dans l'explication des auteurs que nous avons choisis

30 La traduction soit fidèle, soit élégante, des ouvrages en langue étrangère. -Nous y reviendrons plus tard.

4o Le recours fréquent à un bon dictionnaire, où les sens des mots, les locutions, les synonymes sont indiqués et accompagnés de citations.

6. Défauts.-L'impropriété des termes s'engendre par :

1o L'usage du terme inexact, qui laisse entendre autre chose que l'idée que l'on veut exprimer.

Ex.

L'inexpérience indocile

Du compagnon de Paul-Emile

Fit tout le succès d'Annibal. (J. B. ROUSSEAU, Odes).

Compagnon est impropre, inexact; il eût fallu collègue, pour désigner le consul Terentius Varron, le second chef de l'armée romaine à la journée de Cannes.

2o L'emploi du terme faible, du mot outré, dont l'un dit trop, l'autre trop peu.

Ex.-"La Révolution se fonde sur la déclaration des droits de l'homme." (DE BONALD, Lég.)

L'homme n'a-t-il que des droits, sans être soumis à des devoirs ? Le terme est exagéré.

Ex.-Le père de l'enfant prodigue était inconsolable du départ de son fils. Départ est faible; il faudrait abandon, perte.

3o L'usage du mot vague, flottant, qui exprime confusément plusieurs notions.

Ex. Les conquêtes de la civilisation, de la liberté moderne (?)-Le progrès moderne ; les idées contemporaines.—Les garanties de l'Etat (?).

Que signifient en réalité ces termes ronflants, et cent autres de même sonorité creuse ?

4o L'emploi du terme équivoque, qui dit deux choses, sans en préciser aucune, et n'est acceptable que comme plaisanterie. Ex.-Il n'est rien moins que votre bienfaiteur.

Veut-on dire il est certainement votre bienfaiteur; ou bien, il ne l'est guère, il ne l'est pas du tout?

5o La confusion des termes semblables:

Les homonymes sont des mots de même prononciation, bien que d'origine et d'orthographe différentes.

Ex.-Chaîne, chêne.

Les paronymes sont des mots qui n'ont de ressemblant que le son qu'il font entendre.

Ex.-Saint, sain, sein, seing, cinq.

Les synonymes se rapprochent par la ressemblance de leur signification.

Ex. Mort, trépas, décès: mort, trépassé, défunt, décédé.

II.-La Phrase.

1. Déf.-La phrase est l'arrangement ou la disposition des mots selon la nature de la pensée et le génie de la langue.

Les éléments qui la constituent sont les idées cachées sous les mots liés entre eux comme les anneaux d'une chaîne, pour former une ou plusieurs propositions.

La proposition-selon les règles de la syntaxe—est principale ou secondaire; cette dernière est à son tour coordonnée ou subordonnée, laquelle est complétive, relative, circonstantielle...

2. Div.—19 La phrase est simple, quand elle ne renferme qu'un verbe au mode personnel.

Ex.-Le cœur pur pénètre le ciel et la terre.

20 La phrase est composée, quand elle embrasse une Ou plusieurs propositions secondaires.

Ex.-Le malade que vous avez visité est décédé ce matin.

3o La phrase est inverse, si l'on intervertit l'ordre ordinaire des mots. On l'emploie :

a. Quand on donne la première place à une impression vive et forte.

Ex. - Il s'est rencontré un hom.ne capable de traduire en jugement le chef d'un grand peuple.

b.—Quand on lui donne la dernière place.

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Ex. Nous ressemblons tous à des eaux courantes ; nous sortons de la même origine, et que cette origine est petite." (Boss, H. de Fr.)

c.-quand on place au milieu l'impression faible ou défavo

rable.

Ex." Si la nature nous porte à mentir, et le mensonge est toujours odieux et défendu, néanmoins celui qui est engagé dans cette faiblesse honteuse. ." (Boss. Enf. prod. I. P.)

3. Formes. Les formes diverses de la phrase concourent à la variété, à la richesse, à l'éclat, à l'harmonie du style.

10 Complément circonstanciel en tête; quelquefois le verbe.

Ex. A l'heure douloureuse de l'agonie suprême, l'âme humble et obéissante tressaillera d'allégresse.

Ex.-Connaître, aimer, servir Dieu, souffrir, travailler, mourir même pour Jésus-Christ, voilà la vie du chrétien.

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20 Locutions initiales diverses, utiles et nécessaires souvent, souvent aussi lourdes, plates, inutiles.

Ex. C'est... que; c'est... qui; quant à... (moi); [n'écrivons jamais tant qu'à (moi)]; eu égard à; voilà pourquoi; la raison en est que, etc...

3o Pléonasme ou surabondance de termes pour insister sur la pensée.

Ex.-"Je l'ai vu, dis-je, vu de mes yeux..." (MOL. Tart. v, 3.)—Elle viendra cette heure de suprêmes angoisses où la vie,souillée d'iniquités,sera soumise au jugement d'un Dieu outragé.

40 Ellipse ou suppression d'un ou plusieurs mots que l'esprit peut facilement suppléer.

Ex." Belle tête, dit-il, mais de cervelle, point!" (LA FONT, IV, 14.)
Ex." Diseurs de bons mots, mauvais caractère." (PASCAL, Pens. vI, 22.)

5o Anacoluthe ou construction grammaticale qui n'est pas suivie jusqu'au bout selon les règles.

Ex.-"Regardant la justice divine si fort emflammée contre nous, et que d'ailleurs il est impossible d'y résister." (Boss. III Dim. ap. Pent.) Ex.-Ce Dieu grand et juste que deviendra l'effet de ses menaces.

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4. Tours. Les tours de phrase servent à révéler l'état de l'esprit de l'écrivain et l'effet qu'il veut produire sur ses lecteurs. Nous les énumérons dans l'ordre de leur importance et de leur valeur littéraire.

1o Le tour affirmatif, le plus simple, le plus ordinaire, se présente spontanément, quand la pensée et le sentiment sont paisibles, modérés.

Ex. "Les hommes aiment la grandeur : ils la haïssent, l'admirent, la méprisent. Ils l'aiment parce qu'ils y voient tout ce qu'ils désirent, plaisirs, honneurs, puissance; il la haïssent, parce qu'elle les rabaisse, les humilie, leur fait sentir la privation de ces biens; il la méprisent ou feignent de la mépriser, afin de s'élever dans leur imagination au-dessus des grands, et de se bâtir ainsi une grandeur imaginaire par le rabaissement de ceux qui sont l'objet de l'admiration du peuple" (NICOLE, Mor.)

Mais n'oublions pas que, lorsque la pensée est forte, énergique, le sentiment grand, noble, élevé, ce tour atteint dans l'occasion à la haute éloquence et même au sublime.

(a). Ex.

Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux. .

L'Eternel est son nom; le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,

Juge tous les mortels avec d'égales lois,

Et du haut de son trône interroge les rois. (RAC, Esth, 111, 4.

(b). Ex

-"Je suis maître de moi comme de l'univers :
Je le suis, je veux l'être... O siècles!...
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie.”

(CORN. Cinna, v. 3.)

20 Le tour négatif renferme plus d'énergie que le tour précédent, révèle souvent l'émotion de l'âme, parfois la douce mélancolie, tantôt l'emportement, tantôt la véhémence indomptable de la volonté.

(a). Ex.-"Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux." (La F. Phil.) (b). Ex.- Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode...

(c). Ex.

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Et je ne hais rien tant que ces contorsions

De tous ces grands faiseurs de protestations
Non, non, il n'est point d'âme....

(MOL. Mis. 1, 1.)

"Jamais Homère n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques... Jamais nulle ode grecque ou latine n'a pu atteindre à la hauteur des psaumes de David. Jamais nul poète n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu..." (FÉNELON.)

3o Le tour impératif présente la pensée, le sentiment, l'image, sous la forme d'un conseil, d'une prière, d'un ordre, d'une défense: il peint avec vivacité, agrément, compassion, etc. (a). Ex. N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde.

(MALHERBE, Odes.)

(b). Ex. -Oh! soyons bons à ceux qui pleurent et qui souffrent !.. N'exigeons point de nos parents le prix avant la victoire sur notre caractère, ni le salaire avant la solde entière de la dette immense contractée e vers eux.

(c). Ex.—“ Qu'on ne demanae plus maintenant jusqu'où va l'obligation d'assister les pauvres ; la faim a tranché le doute, le désespoir a terminé la question." (Boss. Serm.)

4o Le tour interrogatif marque tantôt une incertitude de l'esprit, tantôt une émotion de l'âme : il provoque la réflexion et peint avec force.

(a). Ex.-"Qu'est-ce que le sublime ?... Est-ce une figure? Naît-il des figures ? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime... ? Où entre le sublime?

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Il exprime aussi l'ironie ou le sarcasme, comme les violences de la fureur.

(a). Ex.-"Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire

Voltige-t-il encor sur tes os décharnés?..." (Le même).

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