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Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes !
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton."
La chanvre étant tout à fait crue,
L'hirondelle ajouta; Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.

Dès

Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes et réseaux

nairement son effet. -"perte" est syn. de disparition par la mort.
Fig.: Per-
dition de l'âme : La perte entière de nous-mêmes est une perte irréparable.
BOURD. Et. malh. 2.

29 v.-Prophète“ il faudrait à la rigueur: prophétesse: le mot est pris au fig.: celui, celle qui annonce ce qui doit arriver. -"Prophète de malheur": celui qui ne prédit que des malheurs. "babillarde" qui aime le babil, le bavardage futile, enfantin.

30 v.-Emploi." occupation, fonction. Etre sans emploi ; -chef d'emploi. Le vers est ironique et irrévérencieux.

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32 v. Eplucher" nettoyer une chose, en ôter ce qu'il y a de gâté ou d'inutile: c'est le sens exact du mot. —Au fig.: Relever ce qu'il peut y avoir de défectueux dans une personne, une chose. "Canton, partie d'un pays considérée comme distincte et séparée des autres.

33 v.—“Crue“ p. pass. de croître, rarement employé, à cause de son paronyme crue, p. pass. fém. de croire, trois vers plus bas.

34 v.- -Sans se laisser rebuter, touchée de compassion pour les jeunes imprudents, l'hirondelle revient à la charge pour la troisième fois. —“Ceci... bien" blâme général et sentencieux, tour familier mais plein de sens et de bon

sens.

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35 v. Mauvaise... venue"; proverbe ; ils abondent dans le recueil des fables. Mauvaise graine: se dit des écoliers, des jeunes gens malins, et aussi, par mépris, des mauvaises personnes. C'est de la graine de niais: cela ne peut tromper que les sots.

36 v. Crue en rien," ajouté foi en quoi que ce soit : Je vous crois en cela, sur votre parole...

38 v.-"Couverte,“ ensemencée (après la moisson et le labour). C'est un terme d'agriculture.

40 v.-" Feront... guerre," au fig.; famil.: chercher querelle à quelqu'un: Ne lui faites point la guerre sur tout ceci. SÉv. L. 453; faire la guerre à quelque chose: l'attaquer, la détruire: Elle fait... à ses beaux cheveux. SÉv. L. 55. -Faire... au pain: en manger beaucoup.

41 v.-Reginglettes" piège fait d'une branche flexible dont l'extémité,

Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place;
Demeurez au logis ou changez de climat :
Imitez le canard, la grue et la bécasse.

Mais vous n'êtes pas en état

De passer, comme moi, les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes.

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur."
Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

Ouvrait la bouche seulement.

repliée de force, tient une planchette mobile sur laquelle on a répandu du grain; l'oiseau en se posant sur la planchette la fait basculer, et la planchette reginglant (se redressant) fait jouer un ressort et retient l'oiseau prisonnier.— "réseaux" petits filets ou rets à mailles.

43 v.-Ne... place" très joli vers qui fait image et une sorte d'harmonie imitative.

44 v.-" Demeurez... climat," alternative difficile à suivre en pratique, et comment émigrer en compagnie de bons coursiers comme le canard (sauvage), la grue, la bécasse ?

45 v.-" -"Etre en état de" être dans une situation telle que l'on peut...: Son âme était en état de paraître devant Dieu. SÉv. L. 204. --Etre hors d'état de donner, ôter le pouvoir de. En état en bonne conditien (Fables, IV 12.

46 et 47 v.-La babillarde amplifie à plaisir; corrige son avis de tout à l'heure changez de climat. La Fontaine a-t-il voulu peindre ce trait particulier aux donneurs de conseils, à savoir l'abondance des paroles dont ils ne calculent pas la portée entière? On le croirait en lisant les deux vers qui

suivent.

48 v. Qu'un... sûr“; à quoi bon alors énumérer tout les autres avec complaisance? N'était-il pas plus simple de dire tout de suite:

49 v. "C'est de... mur." Ces conseils excellents paraissent ennuyer les visillons le poète a tout calculé en les mettant ainsi dans la bouche de la conseillère.

50 v.

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-"Las de l'entendre“; las, qui n'est plus en état de soutenir l'effort, le travail. - Loc. prov.: On va bien loin quand on est las: on va encore loin quand on croit ne pouvoir plus aller. Etre las de la guerre, ou faire quelque chose de guerre lasse: être à bout de résistance.

51 v. "Jaser" se dit des oiseaux, de la pie, du geai, du perroquet. -Au fig.: Babiller doucement et bavarder malignement.

52 v

"Cassandre" fille de Priam, roi de Troie, qui avait reçu d'Apollon le don de prophétie, mais à la condition que ses prédictions ne seraient pas écoutées.

Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.

No II.

L'HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX,

ANALYSE LITTÉRAIRE.

Tout le monde connaît la charmante hirondelle, son caractère sociable, son amour de la liberté, la voluptueuse aisance de son vol "décrivant au milieu des airs, dit Buffon, un dédale mobile et fugitif, dont les routes se croisent, s'entrelacent, se fuient, se rapprochent, se heurtent, se roulent, montent, descendent, se perdent, et reparaissent pour se croiser encore en mille manières." Voilà le personnage que nous présente aujourd'hui La Fontaine. A dire vrai, on hésite à croire qu'un être si léger, si volage puisse être un sage conseiller. Les apparences trompent quelquefois, témoin, précisément, l'aventure que voici :

Une hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris.

Ce premier vers d'introduction rappelle déjà la grâce, la bonhomie du style de La Fontaine. "En ses voyages," Dame hirondelle a la passion des voyages au long cours. Quand finit la belle saison dans nos climats, la frileuse s'en va vers des zones plus chaudes, pour nous revenir au printemps. De ces longues pérégrinations on peut croire que la gentille voyageuse recueille une foule de renseignements précieux, de notions pratiques, car, comme le dit finement le fabuliste,

Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.

54 v.—“Il en prit,“ il en arriva aux uns comme aux autres, c'est-à-dire que les oisillons, comme les Troyens, passèrent le reste de leur vie dans la servitude.

56 v.-") -"Nous... nôtres," morale de la fable exprimée en deux vers devenus proverbes : nous avons tous confiance en nos lumières et, sans écouter les conseils de l'expérience, nous ne croyons au danger qui nous menace, au malheur qui nous attend que quand il est venu,“

En tous cas, l'hirondelle sur laquelle La Fontaine appelle notre attention n'a pas voyagé par plaisir seulement, mais aussi et surtout dans un dessein d'utilité réelle, elle a voulu voir et savoir, et cette sagacité a merveilleusement développé chez elle ce sens divinatoire des choses de la vie qui s'appelle l'instinct.

Celle-ci prévoyait, etc.

aux matelots.

A ceux qu'étonnerait encore cette minutieuse prévoyance de l'hirondelle, les naturalistes diront qu'il n'y a là rien de surprenant. C'est, en effet, un phénomène partout observé qu'à l'approche de l'orage l'hirondelle abaisse son vol pour effleurer le sol ou la surface des eaux. La cause en est que cette oiseau exclusivement insectivore doit alors chercher sa nourriture dans les plus basses couche d'air où sont comme refoulés tous les insectes.

La Fontaine, qui a l'extrême bon goût, ici comme ailleurs, de ne point convertir la fable en leçon d'histoire naturelle, La Fontaine constate le phénomène sans se préoccuper d'en savoir les causes, et parce que ce phénomène est un indice précieux pour les gens qui voyagent sur mer, toute notre sympathie est dès lors assurée à la prévoyante hirondelle.

Ayant esquissé le portrait du personnage principal, le poète indique généralement l'époque et le lieu de l'action.

Il arriva..

maints sillons.

Nous sommes à l'époque des semailles, en pleine campagne, aux abords d'une chènevière. Et brusquement, sans que rien nous y ait préparés, l'hirondelle entre en scène pour manifester son mé

contentement:

"Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons... qui voltigent et gazouillent au second plan, insouciants du danger qui se prépare.

Je vous plains...

La même sollicitude dont l'hirondelle a fait preuve pour le salut des matelots se renouvelle ici en faveur des petits oiseaux, mais avec un empressement et un désintéressement tels que, vraiment, ce n'est plus seulement de la sympathie, mais de l'admiration que nous concevons pour cette héroïque conseillère. Le danger n'existe pas pour elle-même, car dit-elle,

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Mais vous, pauvres petits, si jeunes! et si inexpérimentés! Qu'allez-vous devenir?

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L'allure des six vers qui précèdent, le ton un peu solennel de l'avertissement, la gravité de l'alexandrin, et surtout cette très ⚫ pittoresque image "d'une main qui par les airs chemine," image qui semble vouloir nous donner l'illusion d'un fantôme malfaisant, tout cela fait pressentir la gravité du danger.

Pour impressionner davantage l'âme des petits étourdis auxquels elle s'adresse, l'hirondelle change de ton, fait voir le danger prochain,

Un jour.....

loin,

énumère avec force et rapidité tous les engins à la gent ailée redoutables :

De là..

vous attraper..

Remarquez l'énergique expression "naîtront" rendue plus forte encore par le retranchement de l'article devant les terribles noms qui suivent. On n'accusera pas la conseillère de cacher le danger ; son langage est franc, sans détours :

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terrible alternative, qui ne peut être évitée qu'en suivant ce conseil ou plutôt cette injonction :

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La croire, les petits écervelés n'en eurent garde; ils lui rirent au nez, disant

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Tel est le premier Acte de ce drame pathétique. Comme matière d'entr'acte, chacun de nous ne pourrait-il pas faire réflexion sur lui-même et se demander s'il n'imite pas quelquefois les oisillons de la fable, quand des gens d'expérience, professeurs, institutrices ou autres, lui suggèrent un conseil.

On pourrait croire que dame hirondelle eût, elle aussi, pris son parti de la légèreté de ses jeunes voisins, et qu'elle les eût abandonnés à leur malheureux entêtement. Non, cependant; son bon cœur s'y refuse; elle pousse la sollicitude jusqu'au bout. A quelque temps de là,

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voyant les petits oiseaux folâtrer aussi imprudemment qu'auparavant,

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