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C'était en ce moment que la Providence envoyait au père de famille une joie domestique, celle de la naissance de son douzième et dernier enfant,

N° III.

DEUX PASSIONS.

Collectionnez-vous ? La chose est dangereuse. Cela fait perdre du temps, de l'argent et souvent aussi de l'espace. Néanmoins, le collectionneur, l'homme "curieux de quelque chose," selon l'expression de La Bruyère, est un type fort répandu dans ce monde, et dont la postérité n'a fait que se multiplier, depuis le portrait de Démocède, l'amateur d'estampes, et de Diphile, l'amateur d'oiseaux.

L'esprit de collection prouve l'existence de l'idéal. Raisonnable ou non, le collectionneur se crée un but et y tend de toutes ses forces. Bien entendu les limites du rêve s'élargissent à mesure que la réalité s'efforce de les remplir. Il ne manque plus qu'un Callot au Démocède de La Bruyère, et cette lacune désole l'amateur.

Notre siècle a découvert des variétés de collections que les siècles précédents ne connaissaient pas, --ce qui ne veut pas dire que les anciennes aient disparu le moins du monde. Peut-être en sera-t-il des bibelots japonais et des vieilles faïences comme il en était, il y a un siècle, du sucre et du café: ce qui fut article de luxe pénétrera dans tous les foyers de l'avenir.

Nous venons de passer dans une rue, et dans les vitrines de trois magasins assez rapprochés l'un de l'autre, deux sortes d'objets ont frappé nos yeux des timbres-postes, et des cartes postales illustrées.

La

Voilà les nouveaux venus parmi les objets collectionnés. vogue même des derniers ne date que d'hier. Qui sait quelle est, parmi les choses banales qui nous entourent, et que nous ne songeons pas à collectionner, celle qui fera fureur demain ?

Mais hâtons-nous de parler du timbre-poste, car il est question de supprimer ce mignon carré de papier colorié, ornement du coin. de nos missives, et qui, au dire des symbolistes, aurait son langage comme les fleurs. Le timbrage mécanique nous menace, et, si les

ingénieurs continuent, ce sont les appareils automatiques, distributeurs, timbreurs ou autres, que nous pourrons bientôt collectionner.

Le timbre a pour lui sa petitesse. Comme objet de collection, c'est tout ce qu'il y a de moins encombrant. Il concentre ensuite en lui une foule de particularités : grandeur, couleur, nationalité, prix, effigie, inscription, disposition des éléments, lesquelles donnent, en le diversifiant de toutes manières, le plaisir d'établir des catégories.

Collectionner des timbres, c'est apprendre au moins quelques bribes d'histoire contemporaine et de géographie, et enregistrer des notions rudimentaires sur les diverses formes de gouvernement.

On n'ignore pas l'âpreté avec laquelle les grands collectionneurs se disputent les timbres rares, et l'on a vu, dernièrement encore, unn dame mauricienne faire le voyage d'Europe pour venir vendre, au prix de cinquante mille francs, un vieux timbre de son île dont le principal mérite était de contenir une inscription erronée: Post office au lieu de Post Paid. C'était un premier essai dont les exemplaires avaient été jetés au rebut.

La carte postale, plus volumineuse que le timbre-poste, est beaucoup plus maniable que l'affiche. Elle aussi offre un caractère artistique, et a l'avantage d'admettre des "genres" extrêmement divers.

C'est à l'Allemagne, pays fertile en gravures, que l'on doit l'extraordinaire diffusion de ces cartes. Des villes ont pris naissance, assure-t-on, par suite du simple besoin qu'avaient les touristes d'expédier des cartes de tel ou tel endroit dont le site leur paraissait une excellente matière à photographie.

Car une vraie collection de cartes postales illustrées ne doit comprendre que des cartes dûment timbrées par la poste. Sans cela il n'y aurait qu'à faire des râfles chez les marchands, ce qui n'est pas malin.

La carte postale saisit au vol l'actualité. Elle a représenté Déroulède, Guérin, le Fort-Chabrol, le président Kruger, elle reproduit les grands tableaux des musées, les monuments de toutes les villes, des paysages, des fantaisies, des caricatures. Elle devient même une réduction de l'affiche, qu'elle copie artistement. Les événements n'ont pas eu le temps de passer, qu'elle les a déjà

matérialisés, avec ou sans délicatesse. Le Théâtre-Français fumait encore qu'elle faisait sa proie de la pauvre Mlle Henriot. La représentation de l'Aiglon a fait surgir des silhouettes napoléonniennes. Pour la Mi-Carême, ce sont les cavalcades qui fournissent l'illustration des correspondances.

Ce carré de carton, en un mot, n'unit pas seulement le grave au doux, mais le sublime au grotesque, et tous les goûts sont amplement satisfaits.

Tout bien compté, c'est encore avec la carte postale que le collectionneur peut obtenir la meilleure résultante de commodité, de variété et d'esthétique. C'est sur elle que se fixerait notre choix si nous collectionnions quelque chose. Mais nous nous en tenons au plus prudent, qui est de se rien collectionner du tout.

*

* *

La seule chose vraiment utile à collectionner, ce sont les bonnes actions. Encore est-ce une de ces collections dont le collectionneur ne peut guère jouir comme des autres, car elle a, lorsqu'il la contemple, une regrettable propension à s'évanouir.

N° IV.

G. D'AZAMBUJA.

MONSIEUR,

UNE VOIX DE FRANCE.

Aux Canadiens-Français.

M. de Labriolle m'a remis la lettre dont vous avez bien voulu le charger pour moi, et je n'ai pas eu moins de plaisir à la lire qu'à la recevoir de ses mains.

Les marques de sympathie dont il a accompagné sa démarche, ne pouvait, en effet, que me rendre plus sensible le nouveau témoignage d'affectueuse confiance si précieux déjà, qu'après tant d'autres votre lettre m'apportait, de la part des Canadiens-Français.

Des liens anciens, que je ne saurais oublier, m'attachent aux sociétés catholiques du Canada. Il y a un quart de siècle, entrant dans la vie publique au moment où s'annonçait en France, pour l'Eglise catholique, des luttes dont elle n'est pas encore sortie, je recevais de vos compatrictes des encouragements dictés par le

profond sentiment d'une double communauté de croyance et de race; et l'une de vos sociétés, en m'offrant le diplôme, pieusement conservé, de membre honoraire, m'unissait à vous encore davantage par cette plus spéciale confraternité.

Depuis vous voulez bien le rappeler des invitations réitérées me sont venues de votre pays, à l'occasion de vos fêtes nationales, et l'honneur que j'en reçu n'a d'égal que mon regret de n'y pouvoir répondre.

Que de fois ce regret s'est accru, aux récits des amis plus heureux que leur bonne fortune avait conduits aux rives du SaintLaurent, et qui revenaient parmi nous le cœur tout vibrant de votre chaleureux accueil! ou bien, lorsque, rencontrant dans nos réunions catholiques quelqu'un des représentants de votre nation, nous les entendions parler, avec un accent demeuré le témoin de sa vieille origine, la langue que Champlain enseignait, il y a trois cents ans, aux enfants de la Nouvelle-France!

Votre lettre ravive mes regrets : elle y ajoute, pour moi, celui de ne pouvoir, cette fois encore, satisfaire à votre attente, même sous la forme que vous me suggérez avec tant de bienveillance, en vous offrant pour le JOURNAL le tribut d'une passagère mais réelle collaboration.

Au milieu des multiples devoirs que m'impose l'heure présente, le temps me manquerait pour le faire, et je dois vous prier d'accepter seulement ces quelques lignes de remerciement et d'ex

cuse.

Cependant, puisque vous avec bien voulu faire appel à mon concours, permettez-moi d'adresser à mon tour une invitation à vos lecteurs et à vous-même.

Quelques-uns d'entre eux viendront, sans doute, cet été, visiter notre exposition internationale où votre pays tient, dans son pavillon spécial, une place si brillante.

J'ose les prier de ne point borner leur attention aux spectacles grandioses que l'art, l'industrie et le commerce de toutes les nations offriront à leurs yeux, au milieu des beautés d'une mise en scène qui révèle chez nous vous vous en féliciterez comme d'une gloire familiale une si féconde puissance de travail et d'intelli

gence.

Parmi ces merveilles, enfantées par le rude labeur des humbles et payées si souvent au prix de leurs souffrances, se cache dans l'austérité de l'exposition "sociale," le tableau trop bref, mais profondément instructif, de tout ce qu'ont fait pour eux, en ce siècle,

la charité, l'amour du peuple et le noble souci de sa condition morale ou matérielle.

La foule ne remarque guère ces représentations graphiques, ces modestes photographies, ces plans d'édifices, ces vitrines où rien de brillant ni de curieux n'attire les yeux. Elle passe, indifférente ou lassée, étourdie par le bruit des fêtes, grisée par le spectacle magique de l'ensemble. Les hommes d'étude et de réflexion s'arrêtent seuls, intéressés, frappés et bientôt profondément émus, en contemplant cet admirable leçon de choses, en songeant à ce que ces chiffres, ces cartes, ces statistiques, racontent, en leur aridité, d'efforts consciencieux, d'initiatives hardies et généreuses.

C'est vraiment l'âme de ce siècle qui vit entre ces murs sévères, tandis que son génie éclate au dehors avec sa fiévreuse activité. Je ne pense pas qu'aucune réponse plus éloquente puisse être opposée par le dévouement social, patient et efficace, aux imprécations du socialisme révolutionnaire, violent et stérile.

Mais la visite de cette exposition sociale porte avec elle une autre leçon qui sera, j'en suis sûr, particulièrement goûtée des Canadiens-Français, et remplira, comme les nôtres, leurs âmes chrétiennes d'une légitime fierté. S'ils y trouvent la glorification de toutes les œuvres sociales, ils y verront aussi et j'ose dire surtout celle des œuvres catholiques. L'exposition de 1900 n'est pas seulement la frappante démonstration de l'universelle sollicitude qu'éveille aujourd'hui le sort des travailleurs: elle est encore le plus éclatant démenti opposé, par les faits et par les résultats, à ceux qui accusent les catholiques d'êtres les ennemis du peuple.

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Déjà partout ailleurs, dans les galeries du "Champ de Mars" où se développe l'histoire de l'enseignement, dans celles où se succèdent les admirables institutions créées pour les indigents, les infirmes et les malades, le visiteur aura, presque à chaque pas, rencontré les traces multiples et profondes de l'Eglise catholique.

An Trocadero," il aura, dans un pavillon spécial, aperçu, en une touchante et magnifique synthèse, le vivant tableau des souffrances endurées, des conquêtes accomplies par nos missionnaires, pour la propagation de la foi et l'honneur du nom français, depuis l'Extême-Orient jusqu'au pôle austral, des glaces de l'Alaska aux brûlants rivages de Madagascar.

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