Page images
PDF
EPUB

n'avait jamais vu la défunte, et, malgré les sombres draperies aux franges d'argent et le corbillard à panaches, on ne lisait sur ces bouches fermées et dans ces yeux calmes, qu'un deuil de politesse.

Le luxe et la foule, dans une cérémonie funèbre, me donnent toujours une sensation pénible, et je suis, malgré moi, un peu choqué de voir, derrière un cercueil, ce long cortège d'indifférents. Certes, ce sont là des rites très explicables. Je consens très volontiers que le sentiment est respectable qui fait déployer par la famille tant de pompe et de sympathies-plus ou moins sincères-autour des affligés. Néanmoins, dans ces circonstances, je ne sais pourquoi je pense toujours à une bière sous un simple drap noir, tout simplement posée sur deux tréteaux, dans une pauvre église de village, à la bière d'un brave homme de mort, entourée seulement par quelques amis ayant pour de bon les yeux rouges, et derrière laquelle une vieille servante agenouillée égrène. en pleurant, son chapelet à demi usé.

*

[ocr errors]

Cependant, l'orgue gémit, les chants éclatèrent, et la sublime et poignante musique de la liturgie romaine produisit son effet accoutumé. Les physionomies devinrent graves, les chuchotements s'éteignirent, un silence imposant règna. L'on se souvint qu'il y avait une morte dans ce cercueil, qui disparaissait sous les roses et les chrysanthèmes; et, mêlé aux plaintes déchirantes de la maîtrise et aux parfums entêtants et amers des fleurs d'automne, on sentit flotter dans l'espace je ne sais quoi de formidable et de majestueux. Me suis-je trompé ? J'eus alors le sentiment que tous ces hommes réunis par un simple devoir de civilité, que tous ces Parisiens sceptiques pensaient à la mort.

Moi, j'écoutais les chants, les admirables prières, dans lesquelles revenait, à chaque instant, le même mot: Requiem... Requiem æternam .. sempiternam.

Le Repos !...

Qu'elle est touchante et profonde, cette pensée de l'Eglise catholique qui, lorsqu'elle prie pour les morts, supplie Dieu de leur accorder, avant tout et surtout, le repos ! Quelle sagesse ! Quel jugement difinitif porté sur la vie, où tout, même ce que nous appelons le bonheur, est une fatigue !

Le repos Combien la belle prière avait raison de demander le repos pour elle, pour eux, pour moi, pour nous tous !

Mais ce qu'elle implore avec tant d'insistance et d'ardeur, ce

qu'elle promet aux justes, aux repentants, aux hommes de bonne volonté, ce n'est pas, ce ne peut pas être le repos dans le néant. Car la vie, cette vie à laquelle nous nous cramponnons avec désespoir parce que nous ne connaissons qu'elle encore, la vie n'est qu'une lutte sans trève et une longue souffrance; et les plus insouciants d'entre nous, ceux que peut encore endormir l'opium éventé de l'optimisme, se réveillent parfois couverts d'une sueur froide d'épouvante. Non, ce n'est pas vrai ! Non, ce n'est pas vrai ! Nous ne nous résignerons jamais à croire que la vie n'a pas d'autre but qu'une chute dans un gouffre, et que nous n'avons vu la lumière du soleil que pour vider jusqu'à la lie cette coupe de misères et d'iniquités ! Humbles et pieux, nous allons vers les morts qui nous aimèrent, nous nous inclinons sur leurs tombeaux et nous leur demandons le secret de l'éternité.

Moi aussi, je me penche sur des tombes vénérées. Hélas! resteraient-elles muettes ? Auprès d'elles, je retrouve un peu de mon âme d'enfant.

La foi y coulait comme une source fraîche sous de grands arbres. Puis les saisons ont passé. Le doute, sombre et triste automne, a laissé tomber sur l'eau vive les feuilles jaunes et les branches sèches, et l'a couverte de débris. Lève-toi, vent froid de novembre, qui balayes toutes les impuretés. Débarrasse la source de cette dépouille flétrie et m'y laisse boire! Oui, que je m'y désaltère, car j'ai soif d'espérance, soif d'immortalité, de celle d'outre-tombe! Que cette eau délicieuse me rende la foi naïve de mes quinze ans, la foi sereine, exempte de terreurs et de superstitions! Qu'elle me permettre de croire encore que mes bien-aimés ne sont pas anéantis à jamais, qu'ils m'attendent dans la lumière, et que cette mort, dont chaque minute me rapproche, n'est pas le repos dans les ténèbres, mais un repos divin, le repos dans la certitude, où nous saurons enfin ce que c'est que le bonheur, ce que c'est que la justice, ce que c'est que la gloire éternelle !

(D'après FR. Coppée) (1).

(1) Cité par Gasquy: La narr. fr. No 41.

C.-Classe de Rhétorique.

N° I.

LE GÉNÉRAL DE SONIS (1)

(Esquisse biographique.)

I.-L'Homme.

(1) Le 25 août 1825, fête de saint Louis, roi de France, un garçon naissait, à la Pointe-à-Pitre (île de la Guadeloupe), au lieutenant Gaston de Sonis. L'on associa, dans le nom de l'enfant, le nom de son père et celui du grand saint qui semblalt l'accueillir à son entrée dans la vie : on l'appela Louis Gaston.

Sa mère était une créole remarquablement belle; elle avait de plus cet air rêveur et légèrement triste qu'ont souvent les âmes destinées à quitter prématurément le monde, et ce quelque chose d'achevé que le malheur ajoute comme un rayon visible à tout visage humain." Je la vois encore, disait plus tard l'enfant devenu homme, se promenant le soir avec calme et en silence sur le petit balcon qui entourait notre demeure, presque au-dessus de la mer, que de là elle aimait à contempler au loin. ||

(2) Lui-même, il goûta de très bonne heure le charme séduisant de la belle nature qui l'environnait. Les grands spectacles enchantaient son imagination naissante, et parlaient à son jeune cœur. Tantôt, assis au balcon de la maison paternelle, il regardait, lui aussi, les grandes vagues, qui semblaient accourir des profondeurs infinies de l'Océan pour se briser et mourir au rivage de l'île ; ou bien il écoutait les vieilles chansons des matelots, dont le bruit lointain lui arrivait, à travers la distance, comme l'écho

(1) Voir: MGR. BAUNARD: La vie du général de Sonis ;-ABBÉ BERTRIN ; Les grandes figures catholiques.

Rien n'est plus utile que de savoir tracer une esquisse biographique ; l'occasion s'en présente si souvent que nous avons tenté nous-mêmes un essai à l'intention de nos lecteurs.

(1) Circonstances de temps, de lieu, de personnes: elles amènent le sujet tout naturellement et l'exposent sans détours inutiles; l'analyse et l'observation suffisent à faire surgir les détails: c'est à l'écrivain de faire un choix parmi les idées qui naissent et s'épanouissent sous ses pas. Que l'on remarque les transitions d'un paragraphe à l'autre.

recourt même à

(2) L'imagination embellit les moindres détails; elle l'hypothèse, pourvu que celle-ci soit vraisemblable. -Ex.: "Tantôt, assis... Tantôt, les yeux attachées... gloire."

d'une confuse et mélancolique harmonie. Tantôt les yeux attachés sur le radieux et immuable azur du ciel, il contemplait les astres innombrables, qui étincelaient dans le silence de la nuit sereine. C'est le premier livre, où il ait lu le nom et appris la grandeur de Dieu. Plus tard il habituait ses enfants à y lire à leur tour; il aimait à répéter, après David, que le firmament prêche son divin auteur, et que les cieux racontent sa gloire.

(3) C'est dans les voyages, auxquels était obligée sa famille, qu'il pouvait satisfaire son goût plus à l'aise, et admirer la splendeur des belles nuits étoilées. Un soir, couché au fond d'une pirogue, sur un matelas de couvertures, il se laissait doucement bercer par les flots, et rêvait la tête tournée vers le ciel tout brillant de diamants, au milieu du silence universel, que troublait seulement le bruit des rames frappant l'eau en cadence. Un autre jour, c'est à travers les mornes, petites montagnes isolées des Antilles, que la famille voyageait. Une belle litière à brancards portait la mère et les enfants: elle était attelée de deux mulets, l'un devant l'autre. L'on avançait ainsi dans des sites sauvages, à travers des rivières qui bondissaient sur les rochers avec l'impétuosité et le fracas des torrents. -Souvent aussi, disait le général revenant vers ces chers et lointains souvenirs, mon père me prenait avec lui, sur le devant de sa selle, assis sur un oreiller. C'était entre lui et moi d'interminables conversations, des caresses sans fin."

(4) Déjà sa vocation commençait à se révéler : il n'avait pas de passe temps plus doux, dans sa ville natale, que d'aller, avec sa vieille négresse Berthilde, voir les soldats faire l'exercice sous les ordres de leurs officiers, dont les uniformes luisaient au soleil...

* **

(5) Louis-Gaston avait sept ans, lorsque son père, nommé au

(3) Les idées de ce paragraphe commence le récit de l'enfance du général : l'imagination s'y mêle aux données transmises par des notes autobiographiques. C'est une habilité de savoir glisser dans la narration descriptive des réflexions et des citations qui servent à faire revivre le héros.-Ex.: "Souvent aussi... sans fin."

(4) Autre trait vrai et naturel, se rattachant à la circonstance qui annonce la carrière du futur soldat.--Mgr Baunard ne se contente point de ces menus événements, parce que son intention a été d'écrire une Vie aussi complète que possible.

(5) Changement du lieu de la scène, résumant en quelques lignes rapides ce qui concerne les membres de la famille ; il y a place pour des développe

2me Dragons, quitta la Guadeloupe, et l'emmena à Paris. Sa mère devait rester quelque temps aux Antilles, auprès du grandpère, dont l'âge et la santé réclamaient sa présence et ses soins. Elle dit adieu à son enfant ; c'était, hélas ! un adieu éternel. Elle mourut trois ans après sans l'avoir revu.

(6) Cependant Gaston, au sein de la grande ville de Paris, avait commencé ses études : il était entré au collège Stanislas, aujourd'hui encore sous la direction des Petits Frères de Marie, où M. Doumic occupe la chaire de rhétorique... "J'y fus, dit l'enfant, de la part de mes maîtres, l'objet des attentions les plus délicates et des soins les plus bienveillants."

Sa jeune âme s'y ouvrit à la piété, et s'y parfuma, comme une fleur dans un air pur et sous les chauds rayons du soleil. A dix ans, il méritait d'être admis à la première communion. II apporta à la Table-Sainte un amour de Dieu au-dessus de son âge, et une transparente innocence de cœur qu'aucun souffle n'avait ternie. La grâce céleste y descendit comme dans un vase de cristal, et s'y trouvant bien, s'y établit et la remplit tout entière. "Délicieux souvenirs de ma première communion, écrivait-il non loin de la tombe, je ne vous ai jamais perdus vous êtes un baume qui avez consolé bien souvent les mauvais jours de ma vie !" (7) A partir de 1837, nous le trouvons au collège de Juilly, dirigé par les Prêtres de l'Oratoire, et où son père avait voulu qu'il achevât ses études. Au témoignage de l'un de ses condisciples, c'était alors un adolescent bien élancé, bien pris, plutôt gracieux que vigoureux, aux traits fins, à la tenue distinguée, aux manières aristocratiques, ardent et intrépide dans tous les exercices du corps, avec un goût et des aptitudes pour le cheval, où l'on pouvait pressentir le futur officier de cavalerie; camarade sympathique d'ailleurs, simple et doux, d'une piété forte et profonde, qui mettait sur son amabilité même une grâce de plus et comme un reflet d'en haut.

*

(8) Cependant il songeait à faire choix d'une carrière : la mer ments plus étendus et qui ne manqueraient point d'intérêt : on sait qu'il s'agit seulement d'une esquisse.

(6) Nouvelle circonstance de lieu; mot extrait d'une lettre de l'enfant. On note le fait de la première communion : n'a-t-il point une place de choix dans la vie de toute âme chrétienne ?

(7) Nouveau changement de scène, avec une esquisse du tempérament et du caractère, toujours en vue de la carrière du jeune homme.

« PreviousContinue »