Page images
PDF
EPUB

L'histoire, l'astronomie, la météréologie, il savait tout, tout...

A quelques jours de là, nous entendions Monsieur le curé dire à son vicaire, avec une émotion qui nous était inconnue-" M. Godelier est bien malade, il peut mourir d'un moment à l'autre ; mon Dieu, que va-t-il arriver ?"

Or, le soir de cette même journée, la vieille gouvernante de l'agonisant, une sainte fille que le vieux révolutionnaire laissait libre dans ses dévotions, se présentait au presbytère à la nuit tombante, et priait Monsieur le curé de se rendre auprès du malade, qui l'avait demandé lui-même. A cette nouvelle inattendue, et néanmoins si désirée, le brave prêtre, si solide pourtant et si peu sensible, eut une velléité d'évanouissement. Nous le vîmes s'appuyer sur la cheminée de sa pauvre salle à manger, lever au ciel ses yeux remplis de grosses larmes, tandis que la sueur lui perlait au front. Il ne répondit rien, mais on voyait ses lèvres prier. En ces moments suprêmes, où le sort d'une âme va se décider pour l'éternité, les consciences sacerdotales sont agitées dans leurs profondeurs. Elles sont comme écrasées sous le poids de de leur responsabilité, et de la sublimité du ministère qu'il leur faut remplir.

Monsieur le curé suivit en silence la bonne vieille, qui était pâle elle-même comme sa coiffe de toile. Une sorte de frayeur étrange nous avait tous saisis. Nous sortîmes sans mot dire; et, le long du chemin, nous entendîmes les gens, devant leur porte, qui se disaient à voix basse: "M. Godelier va mourir !" Ce brave peuple, chrétien avant tout, ne songeait plus à la vie satanique du vieux persécuteur, si ce n'est pour réclamer à Dieu son pardon. A l'heure de l'Angelus, un grand nombre de personnes pieuses, des enfants que cet homme avait rendus pauvres et orphelins, vinrent s'agenouiller sur les dalles de la vieille église, pour supplier le Seigneur d'amollir son âme.

Le lendemain matin, j'étais éveillé de bonne heure, et sans me donner le temps de rien prendre, je courus à la cure en passant par les champs et les jardins, pour éviter le terrible coin de M. Godelier.

M. le curé avait passé la nuit près du moribond. Quand il était sorti dans la matinée, rentrant au presbytère, les gens avaient pensé voir un revenant, une figure de l'autre monde. Que

ces deux hommes Mais le reste, je le

s'était-il passé dans cette nuit? Comment s'étaient-ils abordés ? On ne l'a jamais su. sais, je l'ai vu de mes yeux, entendu de mes oreilles, pendant que, accroupi sur mes talons, près du lit de cet homme effrayant, trempé d'une sueur glacée, j'éprouvais l'émotion la plus forte que j'ai jamais ressentie de ma vie, longue déjà et suffisamment tourmentée.

*

* *

A l'appel de la cloche, la plus grande partie de la population du bourg était accourue. Un instinct secret, un mouvement de curiosité peut-être, une pensée de miséricorde et de pardon avaient touché toutes les âmes. Lorsque le prêtre eut déposé sur l'autel le saint ciboire, et qu'il se fut tourné, suivant l'usage, vers la foule agenouillée pour annoncer la route qu'il allait prendre et la maison qu'il allait visiter, il fut un certain temps sans pouvoir proférer une seule parole. Son émotion gagna l'assistance.

- "Notre divin Sauveur a pardonné, dit-il enfin; suivez-moi tous. Priez beaucoup, et, vous aussi, sachez pardonner." Notre qualité d'enfants de chœur nous appelait dans cette demeure jusque-là évitée et maudite. Nous approchions en tremblant. Nous connaissions bien ces fenêtres, toujours soigneusement masquées de vieux rideaux, autrefois rouges, ayant gardé la couleur sinistre d'un linge imprégné d'un sang mal lavé.

Trois cents personnes au moins suivaient le très saint Sacre

Presque tout le monde pleurait. J'avais des bruits dans les oreilles; à peine pouvais-je respirer; le cierge vacillait dans mes mains tremblantes. Nous trouvâmes la porte ouverte à deux battants; les fenêtres de la rue étaient égalemeut ouvertes, et du milieu du chemin, l'assemblée pouvait contempler le moribond, assis sur une modeste couchette blanche, et adossé à plusieurs coussins. Les murs couverts d'une vieille tapisserie de toile cirée me parurent une merveille; aucun de nous n'avait jamais contemplé pareille splendeur. Mais quand nous vîmes la tête nue, le crâne luisant et jaune, le regard inquiet encore, mais adouci, de ce malheureux qui avait été la terreur et l'effroi de toute notre vie, nous tombâmes à genoux, comprimant à grand peine les battements précipités de nos cœurs.

Monsieur le curé déposa le saint ciboire sur une petite table ornée de fleurs, d'un grand et très beau crucifix d'ivoire. Il jeta l'eau bénite sur le malade et dans l'appartement, et venait de pro

noncer l'auguste parole de la sainte Liturgie : maison et à tous ceux qui l'habitent !"

"Paix à cette

"La paix s'écria de toute la force dont il était capable M. Godelier, la paix !" Puis, avec le ton de familiarité que le jargon révolutionnaire avait mis à la mode, et dont l'infortuné n'avait pas l'idée de se défaire à cette heure suprême :

-“Curé, ajouta-t-il, la paix peut-elle bien venir dans cette maison? Tu me la promets, toi, mais Jésus-Christ sanctionne-til bien ta promesse ? La sainte Ecriture, que tu lis tous les jours, a dit une parole formidable: Il n'y a point de paix pour les impies C'est trop juste, d'ailleurs. Jésus-Christ peut-il abandonner le droit de ses amis qui sont morts pour sa cause et que j'ai tués ? Leurs enfants que je vois là, peuvent-ils me pardonner? En ontils le droit ? En auraient-ils le courage? L'histoire des siècles ne mentionne point un scélérat qu'on puisse me comparer... moi, prêtre, pense-tu me donner confiance, avant que je ne paraisse devant mon Juge, qui est là, qui me voit, qui m'entend, qui me connaît, hélas ! et auquel je n'ai à présenter qu'un tardif repentir? Caïn, qui n'avait tué qu'un frère fut maudit pour jamais!"

[ocr errors]

Dis

Mon ami, Caïn ne s'est pas repenti comme vous; il ne s'est pas humilié comme vous. Notre bon Maître offrait le pardon à Judas plus coupable que Caïn il l'a refusé !..

-Judas! mais auprès de mois c'était presque un honnête homme. Il ne connaissait pas Jésus-Christ comme moi; il n'eut pas comme moi, sans doute, une sainte mère. Il vendit son Maître, c'est vrai. Et moi, n'ai-je pas vendu tous les miens, mon père, mes frères, mon unique sœur ! J'aurais vendu ma mère ellemême, si elle eût été vivante !... Judas a vendu pour de l'argent : c'est presque une excuse, son avarice l'aveuglait. Moi! c'est la rage du sang, l'âpre et effrayable joie de le voir couler en plus. grande abondance qui m'a fait livrer aux bourreaux toute une contrée... Aussi, je suis pauvre ; je n'ai amassé que des remords, la honte, l'horreur de moi-même, et cette terreur dont je ne puis me défendre, bien que tu me dises d'espérer... Oh! si seulement il n'y avait que Jésus-Christ entre toi et moi !... Mais tous ces voisins, les enfants, les femmes de mes anciens camarades d'enfance que j'ai fait enfouir demi-vivants à la croix des martyrs ! Encore une fois, se peut-il jamais qu'ils me pardonnent

[ocr errors]

Mon frère, dit le curé, dont les larmes inondaient le

visage, mon cher frère, ils ne seraient pas là, si tous, ils ne vous avaient déjà pardonné. Les martyrs sont les amis de ceux qui les ont fait entrer dans la gloire... Le sang des martyrs est rédempteur comme le sang de Jésus-Christ: il demande grâce... Vous voyez bien que le Seigneur vous pardonne, puisqu'il est venu chez

vous...!!

Et comme le bon prêtre voulait lui faire embrasser le crucifix, le vieillard, qui versait ses premières larmes, arrêta sa main, qu'il baisa avec transport :

[ocr errors]

C'est assez, c'est trop déjà d'embrasser la main de celui qui le porte. Madeleine ne baisa que les pieds de Jésus... Mairtenant, mon Père, sur ce crucifix de ma mère qui est au ciel, répétez-moi ce que vous venez de me dire; affirmez-moi que JésusChrist, que tout ce pauvre monde ici présent me pardonnent, qu'ils peuvent et veulent me pardonner !„

Oui, oui, cria l'assemblée, d'une seule voix qui se perdit dans les sanglots.

A ce cri de l'assemblée, le visage du mourant, encore effrayant tout à l'heure, semble se transfigurer. Le feu du repentir avait brûlé ce bois vénéneux, la cendre en était blanche et pure. Cette humiliation publique, qui nous glaçait d'effroi, avait relevé cette âme tombée aux portes de l'enfer. La foi divine, inhérente à ce sol béni de la Vendée, avait inondé ces sommets d'orgueil. C'était l'effet de la prière au ciel d'une mère sainte et jamais oubliée. C'était le fruit tardif, mais presque inévitable, d'une première communion qu'un ange n'eût pas mieux faite.

Quand M. le curé, s'étant penché sur le moribond pour l'absoudre de nouveau, récita les prières préparatoires de la communion, M. Godelier joignit les mains qu'il allongea sur son visage. Les larmes coulaient le long de ses grands bras tout décharnés. Il reçut la sainte hostie avec un calme, une piété, une bonne grâce d'enfant plein de confiance. Puis il baissa la tête et ferma les yeux. Il fut ainsi deux jours et deux nuits sans prendre de nourriture et sans prononcer une seule parole, les mains croisés sur le crucifix de sa mère.

Quand il sentit approcher la dernière heure, il voulut qu'on l'étendît sur le carreau, la face contre terre, la bouche collée sur l'image du Christ Il disait et redisait sans fin: " Mon Sauveur Jésus, ayez pitié de moi !"

Ainsi mourut cet homme, auquel on reprochait plus de trois cents assassinats dans la paroisse et les environs. La goutte de sang réparatrice du Sauveur avait couvert, et comme enseveli, cette épouvantable hécatombe. Ces souvenirs ne s'effacent point de la mémoire ; et ce n'est pas à nous, presque témoins de ces jours horribles qu'il faut venir raconter les merveilles de 1793!

CH. R. Annales de la Prem. Com. T. I. 1882

N. V.

Un enterrement de première classe.

A PARIS. (1)

Je ne connaissais pas la personne qui venait de mourir, et je n'étais venu que pour témoigner ma sympathie à l'un des membres de la famille, qui est mon ami. Comme il occupe une haute situation, il y avait là l'élite de la société parisienne; et cette élite,— vous le savez, -est une cohue.

C'était un de ces enterrements qui sont une distraction pour le quartier, un de ces enterrements, où le menu peuple s'ameute au seuil de l'église, ou les badauds montrent du doigt, en les nommant, les gens célèbres qui descendent de voiture.

Ils arrivèrent en très grand nombre, montrant leurs visages connus de tous et depuis longtemps, leurs visages, pour ainsi dire, usés à force d'être vus et pareils aux effigies des monnaies qui ont trop circulé. Tous s'efforçaient, sans doute, de donner à leurs physionomies un caractère de gravité décente. Néanmoins, des amis se reconnaissaient, échangeaient, à distance, un coup d'œil soudain plus clair, un demi-sourire. Presque aucun,il faut le dire,

(1) C'est sur des sujets de ce genre que l'on peut s'exercer utilement à la composition: est-il rien de plus commun qu'un enterrement? Encore faut-il un certain art pour en faire le récit d'une façon intéressante.

M. Coppée prend deux idées seulement; la peinture des physionomies des personnes et l'idée de repos que suggèrent les paroles du chant liturgique.

Lorsque le célèbre poète écrivait ces lignes, il était encore incrédule, mais non un impie endurci et obstiné : c'est l'état d'âme que traduisent les trois derniers paragraphes du morceau. Tout le monde sait aujourd'hui, que M. Coppée est revenu à la foi de son enfance et qu'il édifie le monde entier par l'inspiration chrétienne de ses écrits, prose et vers.

« PreviousContinue »